Les droits des travailleurs européens sont-ils garantis ?
Les conditions d’emploi dans les administrations publiques dans une perspective européenne
Une lectrice a fait parvenir à la rédaction la contribution ci-dessous. Elle soulève un réel problème qui touche non seulement les fonctionnaires et employés du secteur public, mais aussi ceux du secteur privé et du secteur paraétatique. À titre d’exemple on peut citer les professeurs d’universités étrangères qui acceptent un appel de venir enseigner à l’Université du Luxembourg ; selon leur âge ils risquent de perdre tout ou une partie de leurs droits de pension acquis à leur ancien poste de travail à l’étranger. La question de la reconnaissance de l’ancienneté et des acquis de l’expérience se pose même à l’intérieur d’un État : si un employé change de patron, il pourra librement négocier la reconnaissance de son expérience pour la fixation de son nouveau salaire. L’État luxembourgeois par contre ne reconnaît l’expérience acquise dans le secteur privé que pour moitié et jusqu’à un maximum de 12 ans si l’on change vers le secteur public. La rédaction de forum a donc conscience du fait que le problème soulevé dans l’article est plus large. forum
50 ans après l’entrée en vigueur du règlement européen sur la libre circulation des travailleurs (octobre 1968), il devrait être clair et évident que le libre choix de travail à l’intérieur de l’Union est non seulement un droit fondamental des travailleurs et de leurs familles, mais qu’il a aussi contribué en même temps, de façon considérable, au fait que le projet de paix européen a pu se développer.
Or, les travailleurs avec une grande expérience professionnelle dans une administration publique d’un autre Etat membre peuvent rencontrer des obstacles injustifiés quant à la bonification de l’ancienneté.
Ainsi, au Luxembourg, il existe plusieurs exemples d’obstacles et de problèmes à la libre circulation :
- L’inobservation du droit de l’UE par les pouvoirs publics (législation non conforme ou mal appliquée) et ses conséquences pour les travailleurs migrants de l’UE
- L’inobservation du droit de l’UE par les conseillers juridiques
- Le défaut d’accès des travailleurs migrants aux informations ou aux moyens leur permettant de faire respecter leurs droits.
Les administrations publiques au Luxembourg doivent enfin appliquer les règles de l’UE et prendre les mesures nécessaires afin de respecter et de protéger les travailleurs de l’Union exerçant leur droit à la libre circulation de toute discrimination ainsi que de tout obstacle injustifié à l’exercice de ce droit.
Depuis le règlement du 15 octobre 1968, (CEE) n°1612/681, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté, les citoyens européens pratiquant la mobilité de travail dans d’autres Etats membres de l’UE ont le droit à l’égalité de traitement et à la non-discrimination en ce qui concerne, entre autres, la rémunération et les autres conditions de travail. Or, force est de constater que ce droit n’est toujours pas garanti aux travailleurs migrants à cause d’une mauvaise application du droit européen par les autorités publiques du Luxembourg.
La libre circulation des travailleurs est, depuis plus de 50 ans, l’un des principes fondateurs de l’UE dont bénéficient les citoyens de l’Union européenne. Elle comprend les droits de déplacement et de séjour des travailleurs et le droit d’exercer une activité professionnelle dans un autre Etat membre de l’Union européenne et d’être traité sur un pied d’égalité avec les ressortissants de cet Etat membre. La liberté de circulation des travailleurs a été confirmée dans l’article 45 du traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE) du 9 mai 20082 comme l’une des quatre libertés fondamentales des travailleurs et implique l’abolition de toute discrimination entre les travailleurs des Etats membres touchant à l’emploi, la rémunération et les conditions de travail.
En ce qui concerne les conditions d’emploi et de travail sur le territoire de l’Etat membre d’accueil, les travailleurs ressortissants d’un autre Etat membre ne peuvent être traités différemment des travailleurs nationaux en raison de leur nationalité. Ce principe d’égalité et de non-discrimination vaut également pour les travailleurs qui avaient exercé leur droit de libre circulation et qui retournent dans leur pays d’origine, et ne peuvent être traités différemment des travailleurs nationaux non mobiles
Conformément à l’article 45, paragraphe 4, du TFUE, la libre circulation des travailleurs ne s’applique pas aux emplois du secteur public. Il s’agit d’une exception à la règle générale de la libre circulation des travailleurs. Cette dérogation a toutefois été interprétée de manière très restrictive par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), selon laquelle seul l’accès aux postes impliquant l’exercice de l’autorité publique et la responsabilité de préservation de l’intérêt général de l’Etat peut être limité aux ressortissants de l’Etat membre.
En ce qui concerne le recrutement et les conditions de travail dans le secteur public des pays membres de l’UE, les citoyens d’autres pays de l’UE ainsi que les citoyens nationaux ayant pratiqué la libre circulation des travailleurs et retournant dans leur pays d’origine, doivent bénéficier du même traitement que celui réservé aux ressortissants non mobiles, notamment en ce qui concerne l’accès à l’emploi, les conditions de travail, comme le salaire et le grade, et surtout la reconnaissance de l’expérience professionnelle et de l’ancienneté.3
Selon le principe de primauté, le droit de l’Union européenne a une valeur supérieure aux droits nationaux des Etats membres. Les Etats membres ne peuvent donc pas appliquer une règle nationale qui serait contraire au droit européen.
Sur le plan de la jurisprudence de l’Union européenne, obligatoirement applicable par les administrations publiques de tous les Etats membres de l’Union européenne, les arrêts du 15 janvier 19984, du 30 novembre 20005 et du 26 octobre 20066 de la CJUE ont retenu qu’un Etat qui ne prend pas en compte l’expérience professionnelle et l’ancienneté acquises dans l’exercice d’une activité comparable au sein d’une administration publique d’un autre Etat membre par le travailleur communautaire a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 39 CE et 7 § 1 du règlement CEE n° 1612/68 du Conseil du 15 octobre 1968. La CJUE a estimé que les exigences qui s’appliquent aux périodes accomplies dans d’autres Etats membres ne doivent pas être plus strictes que celles applicables aux périodes accomplies au sein d’institutions comparables de l’Etat membre concerné et que de telles périodes doivent être prises en compte sans aucune limitation dans le temps.
Le Règlement (UE) n° 492/2011 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union7 est la version codifiée du règlement n° 1612/68 et de ses modifications successives. Il s’applique depuis le 16 juin 2011.
4% des citoyens européens en âge de travailler pratiquent la mobilité. Quitter son pays d’origine pour vivre et travailler dans un autre pays nécessite de l’ouverture d’esprit et du courage, et la volonté de s’adapter aux traditions du pays d’accueil, et, le cas échéant, faire l’effort d’apprendre une nouvelle langue. Les travailleurs migrants retournant dans leur pays d’origine représentent un grand atout par leur expérience professionnelle exceptionnelle.
Les défis qui restent à relever sont notamment les obstacles à la diffusion d’une véritable culture de la mobilité en Europe, notamment la question du retour dans le pays d’origine et de la non-reconnaissance par les administrations publiques de l’expérience acquise dans le cadre de la mobilité.
L’adoption de la Directive 2014/54/UE du 16 avril 20148, qui aurait dû être transposée au plus tard le 21 mai 2016 par les Etats membres, relative à des mesures facilitant l’exercice des droits conférés aux travailleurs par l’article 45 du TFUE et les articles 1 – 10 du règlement 492/2011 dans le contexte de la libre circulation des travailleurs prévoit expressément de nouveaux moyens de recours pour les travailleurs victimes de discrimination.
Cette directive invite les Etats membres à réaliser une application plus effective et uniforme des droits conférés par les règles de l’Union en matière de libre circulation des travailleurs et pour lutter contre le contournement de ces règles par les pouvoirs publics et par les employeurs publics.
En mars 2018, la Commission européenne a publié une proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant une Autorité européenne du travail, qui aidera les particuliers, les entreprises et les administrations nationales à tirer parti au maximum des possibilités offertes par la liberté de circulation des travailleurs. Son principal objectif est de garantir une meilleure mise en œuvre de la législation de l’Union européenne et de fournir des services d’aide aux travailleurs mobiles et aux employeurs. Ainsi l’Autorité européenne du travail contribuera à une circulation équitable des travailleurs, qui fait partie du socle des droits sociaux.
Le principe de la non-discrimination ne peut en aucun cas jouer en défaveur du salarié européen mobile. L’objectif de cette directive est de faciliter la mobilité des travailleurs et de permettre aux citoyens de l’UE d’être plus conscients de leurs droits et de fournir aux travailleurs migrants les moyens leur permettant de faire respecter leurs droits. Il s’agit de mettre fin aux obstacles à la libre circulation subis par les travailleurs migrants de l’UE à cause de l’inobservation du droit de l’Union européenne par les pouvoirs publics (législation non-conforme ou mal appliquée). Le Luxembourg, excellent exemple d’une population multiculturelle, ouverte et mobile, devrait en réalité être un exemple exceptionnel dans ce processus, plutôt que de créer des blocages.
1) Règlement (CEE) n° 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté ; lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:31968R1612:fr:HTML
2) Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) du 9 mai 2008 ; https://eur-lex.europa.eu/resource.html?uri=cellar:88f94461-564b-4b75-aef7-c957de8e339d.0010.01/DOC_3&format=PDF
3) https://ec.europa.eu/social/main.jsp?catId=465&langId=fr
4) Affaire C-15/96 Schöning
5) Affaire C-195/98
6) Affaire C-371/04
7) Règlement (UE) n° 492/2011 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union ; https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32011R0492&from=ES
8) Directive 2014/54/UE du 16 avril 2014 visant à faciliter l’exercice des droits conférés aux travailleurs dans le contexte de la libre circulation ; https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:32014L0054
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