Les eaux souterraines au Luxembourg

Au Luxembourg, une moitié de l’approvisionnement en eau potable est assurée par les eaux souterraines, et l’autre par l’eau de surface provenant du lac de barrage de la Haute-Sûre. L’eau de pluie est à la source de l’une comme de l’autre. Une partie de cette eau retourne à l’atmosphère, soit par évaporation, soit par l’évapotranspiration des plantes, une autre s’infiltre dans le sol, et une dernière enfin s’écoule rapidement en surface jusqu’aux ruisseaux et rivières récepteurs.

L’eau d’infiltration s’écoule verticalement par gravité, à travers ce que les hydrogéologues appellent la zone insaturée (les pores du sol, puis de la roche), jusqu’à la nappe phréatique, qui se développe lorsqu’une couche rocheuse sous-jacente présente une résistance plus importante à l’infiltration. Nous quittons alors le domaine de la zone insaturée pour celui de la zone saturée. L’écoulement à travers le sol et la roche est en général très lent, même dans le cas de sols sablonneux et des aquifères de grès fracturés comme on les rencontre dans le Guttland luxembourgeois. Pour l’aquifère du grès de Luxembourg, cette formation rocheuse émergeant en spectaculaires falaises dans le Mullerthal et à Luxembourg-Ville, il a été calculé qu’il faut à l’eau en moyenne vingt-quatre mois pour traverser la zone insaturée pouvant atteindre cent mètres d’épaisseur, puis encore environ une décennie avant d’émerger à la surface au niveau d’une des nombreuses sources drainant l’aquifère. Ce sont ces sources qui, captées, assurent une bonne partie de l’alimentation en eau potable du Grand-Duché.

Aire d’alimentation de captages et pesticides

Les hydrogéologues appellent « aire d’alimentation » l’ensemble des surfaces d’où l’eau d’infiltration s’écoule vers un captage d’eau souterraine. Au Grand-Duché, la plupart des aires d’alimentation se situent en zone rurale et, par conséquent, englobent des surfaces boisées et des terres agricoles. En s’infiltrant ou en s’écoulant en surface, l’eau de pluie peut entraîner des substances problématiques, comme les pesticides appliqués aux cultures en agriculture conventionnelle, largement majoritaire au Luxembourg, ou leurs produits de dégradation. Ce processus est appelé lessivage. Il dépend de nombreux facteurs météorologiques comme le volume et l’intensité des précipitations et la température de l’air, du type de sol et des caractéristiques des molécules elles-mêmes, qui sont plus ou moins mobiles et se dégradent à des vitesses différentes dans les sols. Ainsi, dans les mêmes conditions météorologiques et pour le même type de sol, un pesticide à la fois peu retenu par l’humus ou les argiles des sols et lentement dégradé par les microorganismes pourra atteindre des concentrations dans l’eau d’infiltration des centaines de fois supérieures à celles d’un pesticide plus fortement fixé dans les sols et dégradé plus rapidement. Etant donné que la teneur en humus, tout comme la densité en micro­organismes, diminue très rapidement à partir des trente premiers centimètres du sol, les pesticides lessivés sous cette couche superficielle sont très peu retenus ou dégradés dans le reste de la zone insaturée ou dans la zone saturée. Les temps de passage à travers ces deux zones étant néanmoins beaucoup plus longs que dans la couche superficielle des sols (de plusieurs mois à plusieurs années, comparé à quelques semaines), les processus de dégradation des pesticides, bien que beaucoup plus lents, peuvent néanmoins réduire de manière non négligeable les concentrations. Toujours pour le grès de Luxembourg, il a été calculé dans le cas de l’herbicide atrazine que les deux tiers de la masse lessivée des terres agricoles peuvent être dégradés lors du passage à travers les zones insaturées et saturées. Le problème de la contamination des eaux souterraines n’est pourtant pas réglé pour autant, car la dégradation complète d’un pesticide en eau et en dioxyde de carbone passe par des étapes intermédiaires et les molécules formées au cours de ces étapes peuvent avoir conservé certaines caractéristiques toxiques du pesticide dont elles sont issues.

Pesticides et produits de dégradation

Les pesticides utilisés actuellement en agriculture se dégradent en règle générale très rapidement afin d’assurer une protection suffisante des cultures, tout en limitant leur potentiel de lessivage vers les eaux souterraines. Il s’est néanmoins avéré que bien souvent, ce ne sont plus à l’heure actuelle les pesticides eux-mêmes qui peuvent contaminer les nappes aquifères, mais certaines des molécules produites par leur dégradation dans les sols ou la roche. Ces produits de dégradation peuvent en effet être plus mobiles et plus difficilement dégradables que le pesticide lui-même, tout en conservant certaines de ses caractéristiques toxiques ou en en présentant d’autres, différentes de la molécule initiale. Donc, si la dégradation rapide de la plupart des pesticides autorisés actuellement pour un usage agricole est un progrès pour la protection des eaux souterraines par rapport aux pesticides plus persistants utilisés autrefois, cette propriété a paradoxalement pour conséquence un potentiel accru de contamination par les produits de dégradation de pesticides. Ceux-ci étant en général moins bien caractérisés que les pesticides, en particulier en ce qui concerne leur toxicité sur le long terme, l’Etat luxembourgeois ne tolère par principe de précaution que des concentrations traces dans l’eau destinée à la consommation humaine. Dans le cas où un pesticide ou un produit de dégradation atteint des concentrations supérieures à la valeur paramétrique de 100 nanogrammes par litre, le service compétent du ministère de la Santé est tout d’abord chargé d’évaluer le potentiel de toxicité du composé. Dans les cas très rares où le contaminant présenterait un danger immédiat pour la santé humaine, la mise hors service est obligatoire, accompagnée le cas échéant de distribution d’eau en bouteille si la perte de la ressource ne peut être compensée de suite. Un tel approvisionnement d’urgence n’a jamais été nécessaire au Luxembourg pour des dépassements concernant les pesticides.

En l’absence de danger immédiat, différentes mesures peuvent être appliquées. L’application du pesticide en question peut être restreinte ou interdite dans l’aire d’alimentation, tandis que le ou les captages concernés sont soit mis hors service, soit placés sous un régime de dérogation autorisant la distribution de l’eau pour une durée de temps donnée. Si une alternative immédiate existe pour assurer l’alimentation en eau potable, la solution la plus courante est la mise hors service. Si, par contre, le fournisseur ne dispose pas d’une alternative techniquement et économiquement raisonnable pour maintenir la fourniture d’eau dans le secteur concerné, une dérogation temporaire est accordée. Cette dérogation oblige l’exploitant à rechercher une solution alternative (connexion à un fournisseur voisin, voire à un syndicat, afin d’être en mesure d’effectuer un mélange avec une eau non contaminée, autoépuration de l’aquifère dans les cas favorables, installation d’une unité de traitement). La mise en place de conduites d’interconnexion ainsi que l’installation d’une unité de traitement permettant de retirer la molécule de l’eau demande du temps pour la planification, les autorisations, la construction et la mise en service. De plus, le fonctionnement et l’entretien d’une installation de traitement consomment beaucoup d’énergie et produisent parfois des déchets. Cette solution est par conséquent réservée au cas où la ressource est essentielle pour l’approvisionnement en eau potable et si le temps nécessaire pour que l’aquifère se purifie naturellement du contaminant est bien supérieur au laps de temps jusqu’à la mise en service de l’unité de traitement. Si le dépassement de la valeur paramétrique est faible, il peut au contraire suffire d’attendre quelques années après la mise en place de mesures de restrictions dans l’application du pesticide pour que les concentrations retournent naturellement sous cette valeur, auquel cas une mise hors service ou une dérogation temporaire s’avère suffisante.

Conclusion

Une protection efficace des eaux souterraines contre les contaminations par les pesticides et leurs produits de dégradation en aire d’alimentation passe, d’un côté, par un suivi de la qualité des eaux dans les captages et, de l’autre, par une collaboration avec le monde agricole visant à une utilisation raisonnée et une réduction des pesticides en grandes cultures. Une telle approche complémentaire doit permettre non seulement de pérenniser la qualité des eaux souterraines destinées à l’alimentation en eau potable, mais contribue également à améliorer la qualité des rivières luxembourgeoises dépendantes des aquifères pour leur débit en période sèche.

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