Les enseignements de «RUHR.2010 –Kulturhauptstadt Europas»

«Du savoir-fer au savoir-faire!» Au demeurant, la devise proposée par Claude Frisoni pour la candidature eschoise à la Capitale européenne de la culture promet de faire des étincelles. Il faut cependant veiller à ce que le feu d’artifice ne finisse pas en pétard mouillé, alors que le paradigme suggéré est celui mis en avant par plusieurs des cités postulantes en transition postindustrielle.

L’heure peut-être de se tourner vers les enseignements du projet «RUHR.2010 – Kulturhauptstadt Europas». Celui-ci a non seulement l’avantage d’avoir embrassé une région héritière, comme le «Minett» luxembourgeois, d’une riche tradition sidérurgique, mais de bénéficier également de la réputation d’avoir été une manifestation particulièrement réussie1. Ce regard est favorisé par le fait que RUHR.2010 a donné lieu à un suivi académique important2. Le bilan, que nous aborderons à travers quelques publications, révèle – sans grande surprise – des similitudes évidentes, mais aussi des différences notables avec «notre» Bassin minier. Il serait sans doute sage de ne pas ignorer ces dernières en vue de 2022.
RUHR.2010, une manifestation qui vient à point nommé

Le Bassin minier luxembourgeois n’a pas été absent de «Luxembourg – Grande Région 2007». Bien au contraire. Deux des projets majeurs de la programmation, à savoir «All you need» et «ReTour de Babel3» étaient logés dans le sud du pays, sur des friches sidérurgiques4. Force est de constater que les thématiques mues par ces expositions – développement durable et migrations – continuent à préoccuper au plus haut degré les sociétés européennes. Leur mise en avant a donc été des plus légitimes. Force est cependant également de reconnaître que ces projets sont restés sans inscription institutionnelle durable dans le paysage culturel luxembourgeois, même s’ils continuent à produire des effets dans la nébuleuse associative.

L’analyse des causes de ce relatif échec est complexe. Sans vouloir se retrancher derrière des explications faciles, on peut admettre que l’incidence de la crise économique n’a certainement pas été propice à la concrétisation d’utopies culturelles5. La littérature touchant à RUHR.2010 nous permet cependant d’avancer une hypothèse complémentaire, à savoir celle que, peut-être, les temps pour la consolidation de tels projets n’étaient tout simplement pas encore mûrs, certains prérequis n’étant éventuellement pas assurés.

En 2007, les mutations n’étaient que promesse dans le Bassin minier, alors qu’en 2010, dans la Ruhr, les transformations arrivaient à maturité. L’ouvrage collectif Zwischen Rhein-Ruhr und Maas. Pionierland der Industrialisierung –
Werkstatt der Industriekultur 6 nous enseigne par exemple qu’à l’occurrence de la «capitale européenne de la culture, la valeur du patrimoine industriel était bien établie dans la Ruhr». Dans une Allemagne décentralisée où les spécificités régionales comptent, l’administration du patrimoine du land Rhénanie-du-Nord-Westphalie a notamment porté précocement une attention prépondérante à l’héritage industriel en tant que vecteur de l’identité locale. Au Luxembourg, le patrimoine industriel, s’il n’a pas été absent des préoccupations publiques, a cependant toujours fait figure de parent pauvre face aux patrimoines rural, féodal et ecclésiastique. Du moins pour ce qui est de sa communication extérieure7. Aujourd’hui, la situation de départ paraît bien plus favorable. Évoquons à ce sujet, outre les acquis de «2007», les activités développées localement par le Fonds Belval autour des hauts-fourneaux8 ou le Festival de la culture industrielle et de l’innovation mis en œuvre depuis 2014 par la Fondation Bassin Minier9.
Des atouts préalables non négligeables

La contribution de Christa Reicher10 au même volume insiste sur l’importance complémentaire des travaux de l’Internationale Bauaustellung (IBA) Emscher Park (1989-1999)11. Cet organisme a largement réussi à arracher le patrimoine industriel de la Ruhr à une vision exclusivement passéiste et à en faire le moteur par excellence du redéploiement urbain. Diverses «cathédrales industrielles» ont été réinvesties de nouvelles fonctions, à l’image du Gasometer (Oberhausen) ou de la Zeche Zollverein (Essen). Ces lieux-phares «ré-encodés» bien en amont de RUHR.2010 ont, de l’avis de l’ensemble des auteurs, joué un rôle fondamental dans la communication du projet12.

Milena Karabaic évoque, quant à elle, un autre avantage dont a pu bénéficier RUHR.2010, à savoir une tradition de coopération transversale bien assise13. En effet, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, la gestion de la culture ne relève pas du gouvernement central du land, mais d’associations de communes, les Landschaftsverbände. Celles-ci représentent des réseaux institutionnels solides, dotées d’administrations publiques conséquentes. Le Bassin minier ne peut se reposer en contrepartie que sur des organismes de droit privé plutôt fragiles, comme Pro-Sud, la Fondation Bassin minier ou encore l’Office de tourisme régional Redrock.

Le consortium RUHR.2010 a donc pu s’appuyer sur des prémisses extrêmement favorables, une dette que reconnaît d’ailleurs l’ouvrage RUHR. Vom Mythos zur Marke, qui interroge la success story de RUHR.201014. La publication traduit largement la vision de ceux qui ont géré la manifestation. En effet, on compte parmi ses contributeurs Fritz Pleitgen, coordinateur général du projet, ou encore Oliver Scheytt, gestionnaire de sa phase préparatoire. Le document puise dans le vaste fonds documentaire collecté en marge des manifestations de la «Kulturhauptstadt», l’organisme gestionnaire de RUHR.2010 ayant scrupuleusement pris soin de garder trace de chacune de ses démarches ou des rigoureuses procédures d’évaluation de ces dernières15.

Refonder une identité et remettre la Ruhr sur la carte des régions européennes

En pratique, RUHR.2010 a été géré par un think thank de spécialistes représentatifs du monde des médias, de l’université et du marketing. Tout en étant largement issus du bercail régional, les hommes et les femmes qui en faisaient partie n’étaient pas impliqués dans les contingences locales. Ce dernier aspect a été d’une importance capitale, car il a permis à l’organisme coordinateur de contenir et d’arbitrer les rivalités des acteurs de terrain. En dépit de cette structuration verticale, l’écueil d’un centralisme excessif a pu être évité grâce à un échange constant avec la base institutionnelle et associative. Une grande attention a été portée à la valorisation des ressources locales. À ce titre, le projet «Local heroes» a été l’occasion de placer, à tour de rôle, chacune des entités participantes sous le feu des projecteurs pendant une semaine. Il s’agissait en effet, comme le précisent les auteurs, non seulement de convaincre les 53 communes concernées, mais encore de gagner à la cause les 5,3 millions habitants de la Ruhr, qui représentaient l’essentiel du gisement de visiteurs de la manifestation16.

À travers la devise «Wandel durch Kultur – Kultur durch Wandel», le consortium RUHR.2010 s’était assigné deux objectifs:
– Proposer une nouvelle identité au niveau local. Celle-ci reposerait certes sur le passé industriel, mais valoriserait également la plus-value générée par l’expérience des mutations entraînées par la disparition de cette ressource commune.
– Éviter à la Ruhr l’image pitoyable d’une région sinistrée, précaire et sale, en la remettant sur la carte de l’Europe en tant que lieu de culture(s)17.

Le véhicule choisi pour transporter cette double aspiration était le concept d’une métropole polycentrique dont les activités culturelles représenteraient le liant.

Pour illustrer l’idée d’une métropole unique, on a fait participer en concomitance, au sein même de la région, un maximum d’acteurs du terrain à des projets, ceci afin de leur faire «habiter» en quelque sorte le nouveau cadre identitaire. Des manifestations comme «Schachtzeichen» témoignent tout particulièrement de cette philosophie. Les sites des anciens puits d’extraction charbonniers de la Ruhr étaient marqués par des ballons statiques jaunes qui révélaient de la sorte l’ancienne géographie extractive de la région. En même temps, des activités témoignant des nouveaux usages des lieux se déroulaient au pied des anciennes installations18.

Pour la visibilité extérieure, RUHR.2010 s’est très largement reposé sur les ressources préexistantes dans la région, à savoir les multiples réseaux internationaux et jumelages. Le projet «Twins» a proposé un cadre européen durable à ces activités19.

Quelles leçons tirer de RUHR.2010 ?

La réelle plus-value apportée par le consortium a été de positionner durablement la région en tant que métropole de culture et d’avenir. Ce résultat a été obtenu grâce à un travail de marketing extrêmement pointu, avec pour effet d’établir la Ruhr en tant que marque. C’est à cela que les gestionnaires de la manifestation se sont essentiellement consacrés.

Pour ce qui est des manifestations, ils ont eu la sagesse de ne pas casser des dynamiques locales existantes, mais de simplement les magnifier par des apports extérieurs habiles. Cette pratique a donné à RUHR.2010 un effet durable qui ne se traduit pas à travers la mise en place de nouvelles institutions, mais essentiellement par le maintien de réseaux thématiques20.

La divine surprise de RUHR.2010 a été d’après Dietmar Osses, commissaire de l’exposition «Helden» au LWL-Industriemuseum, l’intérêt confirmé du public pour la mémoire du «savoir fer» que certains représentants de la classe politique auraient souhaité voir gommée de la programmation, au profit exclusif du «savoir-
faire». Le patrimoine industriel s’est en effet avéré être un vecteur indispensable à la communication des nouvelles réalités21. u

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