On pourrait se livrer une bataille de chiffres: combien de demandeurs d’asile en Europe en 2015, combien déjà au début de 2016? Remplissent-ils tous les conditions de la Convention de Genève pour avoir droit à la protection internationale, soit «craindre avec raison d’être persécutés du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques»?
Il s’agit d’un exercice d’intérêt statistique certain, mais ne cache-t-il pas les raisons qui poussent des centaines de milliers d’hommes et de femmes à partir, à dépenser la quasi-totalité de leurs biens et à risquer leur vie?
L’autre jour, Radio France-Info a cité une personne «rescapée» lors de la traversée depuis la Turquie qui évoquait le tarif des passeurs: en été de 1200 à 1500 dollars par adulte. Vu les risques, le tarif en hiver est réduit de moitié! Pour cette vingtaine de kilomètres, la traversée par ferry s’élève à 17 euros! Or, ces ferries ne sont pas accessibles aux réfugiés! Suite à l’absence de voies légales pour chercher de la protection ailleurs, ils se voient obligés de franchir les murs, barbelés et barrières élevés un peu partout sur leur parcours, depuis l’Asie mineure et les Balkans, vers l’Union européenne (UE). D’autre part, l’histoire nous enseigne que les frontières fortifiées ne «tarissent pas les flux», au contraire, elles les dévient: les réfugiés empruntent d’autres voies plus dangereuses et plus coûteuses.
Les personnes fuyant massivement la Syrie et l’Irak sont les «produits indirects» de Bush et Blair qui ont chassé du pouvoir Saddam Hussein. Des anciens dirigeants du parti de ce dernier se retrouvent en effet dans les rangs de Daech. Mais seulement une partie des réfugiés arrive jusqu’aux bords de l’UE. La plupart se trouvent en Turquie, en Jordanie et au Liban. Si l’UE avait la même proportion de réfugiés que le Liban, il y aurait 125 millions de réfugiés sur le territoire de l’UE… Une conférence de paix portant sur le conflit en Syrie est certes devenue possible, mais s’attendre à des résultats rapides relève de l’illusion.
«Tous les réfugiés ne sont pas persécutés, ce sont des réfugiés économiques!»
Qu’un Africain parte de Somalie vers la Lybie, qu’un Marocain prenne l’avion jusqu’à Istanbul, que des Nigériens essaient de franchir les clôtures entourant les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, à chaque fois, il s’agit de décisions difficiles! Que des Afghans parvenus jusqu’à Calais essaient de passer au Royaume-Uni est une illustration supplémentaire de l’absence d’un système d’asile harmonisé dans lequel le demandeur devrait avoir dans tous les États membres la même chance d’obtenir le statut de protection.
Mais revenons aux raisons économiques dénoncées par certains. À défaut de canaux légaux d’immigration, faire une demande d’asile reste souvent la seule voie, même si elle ne mène pas loin! Ce sont justement les raisons économiques, l’absence de perspectives, la destruction des bases de (sur)vie par des politiques commerciales européennes agressives qui poussent des jeunes d’origine africaine à chercher ailleurs un avenir meilleur. La faim et le désespoir ne sont-ils pas des raisons aussi compréhensibles que la persécution politique ou la guerre?
Des sommets européens peu brillants vers des «canyons» plein d’ombre
En 2015, les sommets des chefs d’État et de gouvernement ainsi que les réunions du Conseil des ministres JAI (Justice et Affaires intérieures) consacrés à la question des réfugiés se sont succédés. Une conférence afro-européenne a réuni les plus hauts responsables politiques de l’UE et africains les 11 et 12 novembre à La Valette. Près de deux milliards d’euros ont été promis par l’UE aux Africains: officiellement pour agir contre les causes des émigrations, plus prosaïquement pour les encourager à réadmettre leurs compatriotes que l’UE compte rapatrier (de force). Il faut savoir qu’une personne en situation irrégulière dans un État membre de l’UE, respectivement un demandeur de protection dont la demande d’asile a été définitivement refusée, ne peuvent être ramenés chez eux qu’avec l’accord de leur pays d’origine. Quinze jours plus tard, le 29 novembre, il y a eu une rencontre de trois heures entre les hauts responsables de l’UE et le Premier ministre turc à Bruxelles: la Turquie recevra trois milliards d’euros destinés à l’amélioration des conditions d’accueil des réfugiés pour ainsi les empêcher de continuer leur route vers l’Ouest.
Le 22 septembre 2015, les ministres de l’immigration, réunis en Conseil JAI sous la présidence de Jean Asselborn, sont finalement parvenus à un accord pour relocaliser 160000 réfugiés de la Grèce et de l’Italie vers les autres États membres. Alors que normalement les décisions se prennent par consensus au JAI, cette fois-ci il a fallu recourir à un vote. C’est donc par majorité qualifiée que la décision a été prise. À ce moment-là, le gouvernement polonais «Kaczynski» qui aurait risqué d’ébranler la majorité qualifiée, n’était pas encore en place. Or, la décision est restée quasiment lettre morte puisque fin janvier 2016, seulement quelques centaines de réfugiés auront été relocalisés. La mise en œuvre des «hot spots» où il est prévu d’enregistrer les réfugiés en Grèce et en Italie et à partir desquels on compte les répartir sur les États membres, prend beaucoup de temps.
Faute de politiques concertées, de nombreux États membres agissent seuls, réinstallent des contrôles aux frontières ou les ferment carrément: c’est la mort de l’espace Schengen! D’autres ont mis fin au règlement de Dublin, qui veut que la demande d’asile soit examinée dans le pays par lequel le demandeur est entré dans l’UE, d’autres encore fuient l’obligation d’examiner toute demande de protection – une obligation fixée dans la Convention de Genève!
Le Grand Duché: élève modèle?
Le plan de répartition qui tient compte du PIB de chaque État membre, du nombre de ses habitants et du nombre des réfugiés déjà accueillis, a attribué au Grand-Duché 557 personnes… mais à ce jour, il n’en a accueilli que 30!
L’ensemble des dispositions légales européennes mettant à jour les règles communes en matière de demandes d’asile, le «paquet d’asile II», a été adopté en 2013. Les États membres avaient deux ans (jusqu’au 21 juillet 2015) pour transposer ces directives européennes en droit national. Ceci n’a été le cas pour le Luxembourg que le 18 décembre 2015 et sans doute, il sera condamné par la Cour de justice de l’UE, avec 19 autres États membres dont la France et l’Allemagne. Une illustration de plus de l’absence d’une volonté politique!
Il faut absolument saluer la grande vague de sympathie envers les réfugiés dans la population du Luxembourg et l’engagement politique, tant au niveau du gouvernement qu’au niveau de beaucoup de communes, parfois confrontées à des «nimbystes» locaux. Tout de même, la question demeure quant à la durée de cette vague de sympathie. Sans surestimer des agissements nauséabonds présents dans les médias sociaux, il faut prendre au sérieux des réserves, voire des peurs existantes, ne pas perdre de vue les familles en risque de pauvreté, les travailleurs en situation précaire qui pourraient se sentir rejetés encore davantage par l’attention portée aux réfugiés. De plus, les politiciens ont admis ouvertement: «Nous ne savons pas ce qui nous attend.» Il est rare que des hommes ou femmes politiques fassent pareil aveu. Or, qui d’entre nous sait ce qui nous attend? Qui prétend que les flux se tariront quand le conflit en Syrie prendra fin, quand les perspectives économiques en Afrique ne pousseront plus des jeunes sur les routes de l’exil?
Savons-nous pour autant ce qu’il faut préserver?
Les valeurs à la base de l’UE sont durement mises en cause: les obligations de la Convention de Genève sont remises aux oubliettes, la solidarité entre les États membres est passée de mode (alors que par exemple la Hongrie et la Pologne doivent leur essor en grande partie aux anciens États membres), le «chacun pour soi» est devenu une priorité, la course à être le moins attractif, c’est-à-dire le plus rébarbatif se trouve à l’ordre du jour.
Finalement, un autre danger guette: les fonds destinés à la coopération et au développement, donc pour agir contre les causes des émigrations économiques, risquent d’être consacrés in fine au renforcement des régimes autocratiques qui voudront plaire à l’UE en acceptant des expulsés contre monnaie sonnante et trébuchante. D’ailleurs, la Suède a déjà commencé à affecter une partie de son budget de coopération au «traitement» des réfugiés sur son sol. u
Als partizipative Debattenzeitschrift und Diskussionsplattform, treten wir für den freien Zugang zu unseren Veröffentlichungen ein, sind jedoch als Verein ohne Gewinnzweck (ASBL) auf Unterstützung angewiesen.
Sie können uns auf direktem Wege eine kleine Spende über folgenden Code zukommen lassen, für größere Unterstützung, schauen Sie doch gerne in der passenden Rubrik vorbei. Wir freuen uns über Ihre Spende!
