Le mouvement syndical européen est convaincu qu’il n’y a pas d’emplois sur une planète morte et que nous devons agir contre le changement climatique maintenant, avant qu’il ne soit trop tard. Nous savons également que le coût de l’inaction sera beaucoup plus important que si nous prenons des mesures fortes aujourd’hui. C’est pourquoi les travailleurs et leurs syndicats soutiennent le Green Deal européen (le pacte vert pour l’Europe) ainsi que les objectifs climatiques de -55 % d’émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici à 2030 et la neutralité carbone d’ici à 2050.
Lors du dernier Conseil européen des 10 et 11 décembre 2020, les Etats membres – après de longues et intenses discussions – ont accepté la proposition de la Commission européenne de revoir à la hausse les objectifs climatiques de l’Union européenne (UE) pour 2030, afin de réduire d’au moins 55 % les émissions de GES par rapport à 1990. Cette révision des objectifs climatiques était nécessaire et répond à une forte demande de la société civile, portée notamment par les jeunes et fortement soutenue par les syndicats. Les changements climatiques sont déjà bien visibles et affectent chaque jour les citoyens et travailleurs européens. Il est donc important de s’engager pour la neutralité climatique et de donner une orientation politique claire à l’Europe, surtout dans le contexte de crise due à la Covid-19, où les plans de relance auront une influence considérable sur les décennies à venir. Il s’agit par ailleurs d’un signal important à envoyer au reste du monde avant la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP26), qui sera déterminante pour la mise en œuvre de l’accord de Paris.
Cependant, il est trop tôt pour crier victoire. Maintenant qu’un objectif a été fixé, le plus dur commence. Il s’agit désormais de se mettre d’accord sur la manière de l’atteindre. Pour la Confédération européenne des syndicats, il est indispensable d’atteindre cet objectif par des politiques qui assurent une transition socialement juste. Autrement dit, une transition qui garantit des emplois de qualité pour toutes et tous, une transition qui réduit les inégalités et une transition qui est inclusive et solidaire. Toute mise en œuvre qui ne respecterait pas ces principes élémentaires de justice sociale ne fera que mettre en péril la transition écologique, car elle n’obtiendrait pas le soutien du public. Nous ne pouvons pas prendre ce risque. Pour le mouvement syndical, il est grand temps d’associer correctement les travailleurs aux discussions pour permettre de trouver une manière équitable de décarboner les différents secteurs. Il s’agit également d’apporter aux travailleurs et communautés les plus vulnérables un soutien suffisant pour que personne ne soit laissé pour compte dans ce processus.
La mise en œuvre du Green Deal européen
L’Europe a donc fixé un cap clair avec ces objectifs. Il s’agit maintenant de traduire ces objectifs par des politiques efficaces, inclusives et justes à travers le Green Deal européen. C’est d’ailleurs cette mise en œuvre qui soulève quelques inquiétudes au sein des syndicats européens. En effet, malgré le soutien apporté par les syndicats aux objectifs et au Green Deal proposé par la Commission, nous pensons qu’il convient de rectifier certains éléments.
Tout d’abord, il est clair qu’il existe une forte inadéquation entre l’ambition climatique annoncée et les moyens financiers développés pour une transition juste. Le Conseil européen de juillet, et donc les Etats membres, ont ainsi décidé de réduire le Fonds pour une transition juste en passant de 40 milliards d’euros (montant initialement proposé par la Commission) à 17,5 milliards d’euros. De l’avis de beaucoup de spécialistes, ce montant est tout à fait insuffisant pour assurer la transition des secteurs et régions fortement intensifs en énergie et ne laisser personne sur le bord du chemin. A titre de comparaison, l’Allemagne a décidé d’investir à elle seule 40 milliards d’euros pour soutenir la transition de son industrie uniquement dans les régions carbonifères allemandes. Par ailleurs, la Cour des comptes européenne nous indique qu’entre 2021 et 2030, chaque année, 1 115 milliards d’euros doivent être investis pour atteindre les anciens objectifs de l’UE pour 2030 (-40 % de GES). Si, comme envisagé, un tiers des fonds du plan de relance européen de 750 milliards d’euros sont consacrés à la transition écologique, nous sommes donc encore loin du compte.
A côté d’un financement suffisant, une transition juste signifie également des politiques qui soutiennent les personnes et les communautés les plus vulnérables grâce à la protection sociale et à la solidarité. La pandémie de Covid-19 a montré qu’en période de grands changements et en temps de crise, la protection sociale était cruciale pour accroître la résilience de nos sociétés et protéger les plus vulnérables. Ainsi, pour éviter les effets disruptifs d’une transition, les régimes de chômage temporaire, les systèmes de soins de santé, les allocations sociales ou les pensions sont particulièrement nécessaires. Par conséquent, le Green Deal européen devrait accorder une attention particulière à l’augmentation du niveau de protection sociale des travailleurs européens. Les travailleurs ne devraient pas perdre leurs revenus. Les travailleurs ne doivent pas être les victimes de la crise climatique.
Parallèlement à ces mécanismes, il convient également de mettre en œuvre des politiques actives sur le marché du travail marché du travail, qui offrent aux travailleurs les programmes de formation appropriés pour évoluer vers des emplois plus durables. Il s’agit aussi d’investir suffisamment dans les services publics et les infrastructures régionales afin d’offrir de nouvelles possibilités d’emploi dans les régions touchées. Tout cela devrait être réalisé grâce à des politiques planifiées à l’avance, conçues et mises en œuvre avec les travailleurs et pour les travailleurs, grâce à un dialogue social efficace.
Dans ce processus de transformation, nous ne serons pas toutes et tous logés à la même enseigne. Les secteurs verts et les investissements verts créeront des emplois dans l’UE, c’est un fait. Mais les lieux où ces nouveaux emplois sont créés ne coïncident souvent pas avec les lieux où les emplois sont perdus. Par exemple, le développement de l’énergie éolienne en mer ne se fait pas au même endroit que la fermeture d’une mine de charbon. Il convient donc d’accorder une plus grande attention au soutien du développement économique dans ces régions vulnérables. Des investissements ciblés sont nécessaires (infrastructures, éducation, recherche, technologies de pointe…) pour garantir un avenir à ces régions et leurs habitants. Les travailleurs des industries ont déjà été confrontés à des pertes d’emploi depuis des décennies en raison de la mondialisation et il est important que l’Europe tire les leçons des erreurs du passé. Si la décarbonation signifie la désertification économique, les populations s’opposeront aux politiques climatiques à long terme. Nous ne pouvons pas nous le permettre.
L’importance de la transition juste
Vous l’aurez compris, l’idée de transition juste n’est pas uniquement limitée au financement. Ce concept doit selon nous être central dans chaque politique publique. Aujourd’hui, pour la Commission européenne, la transition juste est uniquement abordée à travers le Fonds pour une transition juste et nous ne voyons pas assez de mesures de transition juste dans les autres initiatives du Green Deal européen. Pour être soutenu par la population, le Green Deal doit être porteur d’espoir. Au-delà de la dimension climatique, il doit garantir que les emplois de demain seront des emplois de qualité. Selon nous, une plus grande attention devrait être accordée aux conditions de travail des personnes dans les nouveaux emplois créés. Par exemple, la vague de rénovation est souvent présentée, à raison, comme un moyen de créer beaucoup d’emplois locaux. Cependant, à l’heure actuelle, les conditions de travail dans le secteur de la construction ne sont pas bonnes (contrat zéro heure, dumping social, etc.). La stratégie pour une vague de rénovation lancée récemment par la Commission européenne devrait donc inclure des normes sociales fortes pour garantir que les nouveaux emplois créés soient des emplois de qualité. Les mêmes remarques valent pour les emplois liés à l’économie circulaire dans le secteur de la gestion des déchets. Les normes de santé et de sécurité ainsi que des salaires minimums sont importants dans ces nouveaux emplois.
Ayons également à l’œil le développement des nouveaux secteurs qui apparaîtront et se développeront grâce au financement des plans de relance. Si un pays investit largement dans l’éolien ou dans l’hydrogène propre, c’est bon pour le climat. Mais quelles seront les conditions de travail et les négociations collectives dans les secteurs soutenus ? C’est pourquoi le soutien financier aux stratégies de décarbonation doit être lié au respect total des droits syndicaux. En outre, dans un souci de justice sociale, il nous semble logique que si un secteur est largement soutenu par des fonds publics, cela ne doit pas conduire à moyen et à long terme à de plus fortes inégalités à travers des versements de dividendes et autres bonus aux actionnaires. Le financement public devrait permettre de réduire les coûts pour les travailleurs et leurs communautés au nom de la justice sociale, afin de les convaincre des avantages des politiques climatiques.
Toujours sur les impacts sociaux des politiques climatiques, il est important que le Green Deal n’entraîne pas une augmentation de la pauvreté et des inégalités d’accès à l’énergie. Des mesures comme la taxe carbone peuvent en effet avoir des effets fortement régressifs en termes de distribution des cours et donc affecter davantage les personnes les plus vulnérables. Il est particulièrement important que les politiques vertes soient conçues de manière à compenser les ménages à faibles revenus et à réduire les inégalités. Le récent mouvement social des Gilets jaunes en France illustre parfaitement cette nécessité de prendre en compte les impacts des politiques climatiques sur les revenus et les inégalités.
L’action climatique et une fiscalité équitable
Enfin, il est important d’avoir à l’esprit que la crise climatique ne fera que renforcer les inégalités existantes si nous n’établissons pas un lien fort entre l’action climatique et une fiscalité équitable. Respecter les accords de Paris nécessitera des investissements importants. Pour que la transition soit socialement juste, il est essentiel de mettre en place un système de taxation équitable au niveau européen et international afin de dégager des recettes supplémentaires pour soutenir l’action en faveur du climat, la protection sociale et la relance économique. A cet égard, la CES soutient la proposition d’une taxe sur les transactions financières, d’une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS) et d’une taxe numérique. Les épaules les plus larges et ceux qui s’en sortent le mieux doivent contribuer à l’effort collectif.
En résumé, pour le mouvement syndical, il est essentiel que la transition écologique soit une transition socialement juste. Le Green Deal européen doit donc renforcer sa gouvernance pour garantir un processus démocratique inclusif qui inclut les citoyens et les travailleurs dans la conception des mesures et leur mise en œuvre. Le maintien et la création d’emplois de qualité ainsi que des conditions de travail décentes doivent être au cœur de notre stratégie pour accéder à une société juste et écologique. L’adhésion à ce projet – qui devra réconcilier notre bien-être avec les limites physiques de notre planète – doit se construire à tous les niveaux : européen, national, régional, sectoriel et dans l’entreprise.
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