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La mise en ligne d’archives numériques sous «Creative Commons»

En tant qu’institut culturel, les Archives nationales de Luxembourg (ANLux) sont notamment appelées à collecter, inventorier et conserver à long terme tous documents à intérêt historique national en provenance de producteurs aussi bien publics que privés. Pour remplir ces missions, les ANLux ont intensifié leurs efforts en matière de numérisation de fonds et collections d’archives depuis plusieurs années. Le présent article vise à énoncer les principes de la numérisation, à fournir des indications sur trois fonds digitalisés et à exposer le travail de recherche indispensable à la mise en ligne.

Pourquoi dématérialiser?

La numérisation a pris au XXIe siècle un essor rapide dans les services d’archives, car elle permet de faciliter l’accès aux documents tout en évitant la dégradation irréversible des originaux due à leur manipulation physique. Il s’y ajoute que la numérisation de documents permet aussi la réalisation de copies de sauvegarde et remplace de ce fait la technique du microfilmage à moyen terme. Le facteur de la conservation physique des documents, indépendamment de leur support, joue donc un rôle essentiel lors du choix des fonds et collections à numériser. Une fois les documents dématérialisés, les ANLux cherchent à les rendre accessibles au public, à des fins scientifiques et pédagogiques, via leur site Internet et, éventuellement, sur des portails archivistiques partenaires. La mise en ligne d’archives implique que les originaux, conformément à l’article 31 du règlement d’ordre intérieur des ANLux, ne sont plus consultables physiquement pour des raisons de conservation.

Le grand avantage de la consultation en ligne, du point de vue du lecteur, réside dans le fait que ce dernier n’a plus besoin de se déplacer dans la salle de lecture des ANLux. Le lecteur peut dorénavant, moyennant une connexion Internet, consulter à son aise les archives sur son écran d’ordinateur, tablette ou smartphone. Il convient de souligner que les copies numériques sont des représentations authentiques des originaux et que leur résolution est suffisamment haute pour permettre une consultation aisée, rapide et détaillée. En plus, lesdites copies sont sauvegardées sur des supports fiables garantissant leur conservation pérenne.

Travaux préliminaires en vue de la mise en ligne

Toute mise en ligne nécessite plusieurs réflexions au préalable, notamment en matière de droits d’auteur1. En vertu de l’article1 de la loi modifiée du 18 avril 2001 sur les droits d’auteur, les droits voisins et les bases de données, «les droits d’auteur protègent les œuvres littéraires et artistiques originales, quels qu’en soient le genre et la forme d’expression, y compris les photographies, les bases de données et les programmes d’ordinateurs […]»2 La propriété intellectuelle est détenue, sauf dispositions contraires, par son auteur, respectivement si ce dernier est décédé, par ses héritiers légaux ou ses légataires. L’auteur est le seul à décider de l’utilisation de son œuvre, qui est protégée par la loi durant son vivant respectivement pour une période de 70 ans à partir de la date de son décès. À partir de ce moment, la gestion des droits revient aux ayants droit. Il est donc indispensable de contacter l’auteur ou ses ayants droit au préalable et de négocier les conditions d’une éventuelle utilisation de l’œuvre.

Ainsi, il faut présenter aux détenteurs des droits les «mesures de protection» devant s’appliquer aux documents numérisés en cas de mise en ligne et de diffusion à grande échelle. Les ANLux ont opté pour les licences ou contrats types Creative Commons, qui offrent une solution idéale et facile à l’utilisation des œuvres. Dans le souhait d’une gestion homogène de la situation des droits et à la recherche d’un compromis unissant les intérêts des chercheurs au respect des droits d’auteur, la licence ouverte Creative Commons CC BY-NC-ND a été retenue. Cette licence donne à toute personne physique ou morale la possibilité de réutiliser les œuvres tout en respectant les conditions suivantes:

1) Attribution (BY) – L’utilisateur doit attribuer l’œuvre de la manière indiquée par l’auteur de l’œuvre ou le titulaire des droits
2) Pas d’utilisation commerciale (NC) – L’utilisateur n’a pas le droit d’utiliser cette œuvre à des fins commerciales
3) Pas d’œuvres dérivées (ND) – L’utilisateur n’a pas le droit de modifier, de transformer ou d’adapter cette œuvre.

La décision de rendre accessible les archives en question sous la licence Creative Commons requiert un effort important en matière de clarification des droits, qui se fait en plusieurs étapes. D’abord, il faut identifier les détenteurs des droits dans le cadre d’une recherche diligente. Tel un détective, l’archiviste se met à la recherche des auteurs ou des ayants droit à l’aide d’outils tels qu’annuaires téléphoniques, moteurs de recherche en ligne, bases de données étatiques ou encore tables décennales. Ces démarches sont parfois particulièrement laborieuses, voire même non concluantes pour certains noms de famille très répandus au Luxembourg. Quoiqu’il en soit, les ANLux ont réussi à retrouver la plupart des témoins, des photographes ou leurs héritiers. En ce qui concerne les plans de l’ARBED, aucune recherche diligente n’a dû être effectuée, vu que tous les droits sont détenus par l’ARBED elle-même.
Ensuite, il faut sensibiliser les détenteurs des droits et les encourager à permettre une réutilisation des œuvres en question. Dans le cas des recherches des ANLux, presque toutes les personnes concernées se sont montrées enchantées de voir figurer leurs œuvres, ou celles de leurs proches, dans des projets scientifiques et pédagogiques sous l’égide des ANLux. En dernier lieu, il est judicieux de fixer les clauses de l’arrangement par écrit. Dans le cadre des projets ANLux, les modalités mentionnées plus haut ont été fixées d’un commun accord dans des conventions bilatérales entre les ANLux et les parties concernées régissant le cadre légal de l’exploitation, de la communication et de la reproduction des œuvres.

En général, la mise en ligne recueille l’approbation du grand public. Notons toutefois que le choix des ANLux en matière de licence, notamment dans le cas de la collection photographique du Service gouvernemental d’expansion économique et touristique, a fait l’objet de critiques à cause de son caractère «trop restrictif» essentiellement en matière d’utilisation commerciale. Le choix de la licence, comme déjà dit, résulte des négociations et par conséquent d’un compromis entre un institut culturel à vocation scientifique et des particuliers détenteurs de droits d’auteur. Sachant que les contrats types Creative Commons ne sont pas de nature exclusive, l’utilisateur final est libre de contacter les ayants droit et de négocier avec eux un accord bilatéral levant les restrictions en vue d’une utilisation à des fins commerciales et/ou la création d’œuvres dérivées. Remarquons encore, selon les dires de Jean-Luc Putz, juge au tribunal d’arrondissement de Luxembourg et auteur de plusieurs publications en matière de droits d’auteur, qu’il n’y a à l’heure actuelle «pas de jurisprudence luxembourgeoise exhaustive et complète, de sorte que de nombreuses questions d’interprétation restent ouvertes»3.

Des ambitions futures…

Certes, la clarification des droits n’est pas toujours facile et constitue un travail de longue haleine. Ainsi, la numérisation de documents d’archives nécessite, en guise de préparation, un travail d’inventoriage conséquent et rigoureux de la part de l’archiviste. La numérisation et la mise en ligne ont des effets bénéfiques aussi bien sur les documents originaux que sur les travaux des chercheurs. La mise à disposition de sources numérisées est un enjeu capital pour la compétitivité des chercheurs travaillant au Luxembourg. Cet enjeu s’est accru au cours des dernières années avec le développement des Digital Humanities au sein des universités, c’est-à-dire de méthodes de recherche alternatives recourant aux nouvelles technologies pour exploiter des corps de sources numérisés.

Dès lors, les ANLux devront maintenir leurs efforts en matière de numérisation dans les années à venir pour contribuer activement à la sauvegarde du patrimoine national écrit. À l’ère numérique, il ne faut pas non plus oublier que la diffusion des documents atteint des proportions jusqu’à présent insoupçonnées: le patrimoine luxembourgeois est désormais accessible aux chercheurs du monde entier. Ainsi, depuis le mois de juillet 2014, les Archives nationales contribuent activement au Portail européen des archives: en mettant bon nombre de leurs documents digitalisés sur le site www.archivesportaleurope.net, les ANLux y facilitent l’accès pour les chercheurs au niveau européen et font connaître ce patrimoine historique luxembourgeois à un plus large public. Malgré le coût élevé aussi bien du point de vue financier qu’en matière de recherche scientifique à faire ex ante, les avantages de la numérisation l’emportent donc clairement.

1 La protection des données privées est également un volet crucial à prendre en considération. Pour des raisons pratiques, il n’est pas possible d’insister davantage sur cet aspect dans le présent article.
2 Loi modifiée du 18 avril 2001 sur les droits d’auteur, les droits voisins et les bases de données in Mémorial A, n° 50, 30.04.2001, pp. 1042-1056.
3 Putz, J. (2013). Le droit d’auteur, Windhof, p. 53.

 

 

 

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