- Gesellschaft, Kultur
L’infrastructure, pas la culture
« Mir sin hei net zu Amsterdam » et autres faux prétextes pour lesquels vous avez préféré les bouchons au vélo ce matin.
Pourquoi les Luxembourgeois ne se déplacent-ils pas à vélo? À travers les chantiers et bouchons, il peut pourtant diviser certains temps de trajets urbains par deux. Malgré cela, la part des cyclistes dans les transports urbains à Luxembourg reste marginale par rapport à d’autres villes européennes. Celles dans lesquelles le vélo a décollé le montrent: le seul moyen d’encourager durablement le cyclisme dans les déplacements quotidiens est un réseau continu et cohérent qui sécurise le cyclisme et le rend agréable.
Bien sûr, il y a des obstacles qui resteront toujours assez importants pour certains et qui font que d’autres moyens de transport leur semblent plus attractifs. Même dans les villes les plus cyclables où les habitants effectuent sans problème à vélo des déplacements jusqu’à une dizaine de kilomètres, il n’est pas la meilleure réponse pour tous les déplacements. Ces raisons, peut-être vraies pour quelques personnes, sont souvent généralisées à toute la population et justifient, de manière contreproductive, un investissement insuffisant dans une infrastructure inadéquate, qui consolide finalement la place de la voiture dans les transports.
Toujours une bonne raison…
Ce n’est pas la topographie. Oui, une ville plate favorise le cyclisme, mais ce n’est pas une panacée, et les vallées ne sont pas insurmontables. La ville d’Aarhus, malgré les clichés sur le Danemark, a de fortes côtes et un vent marin incessant qui n’a rien à envier à une côte d’Eich ; la part modale du vélo y est de 18%. Grenoble, ville la plus plate de France, n’arrive que difficilement à 6%. Les vélos électriques de moins en moins chers se répandent, et les ascenseurs du Grund et du Pfaffenthal ne désemplissent pas: nous savons comment sortir de nos vallées.
Il pleut, alors. Ou il fait trop froid. Ou trop chaud aussi ? On arriverait au travail en empestant la transpiration. Comment feraient donc les Amstellodamois qui travaillent en costume ? Ils portent un gros manteau en hiver. Un pantalon imperméable, vendu quelques euros chez les vélocistes, permet de rouler sous la pluie. Et pour ne pas transpirer ? Non, les bureaux ne sont pas équipés de douches: on roule simplement moins vite qu’un cycliste sportif, tout comme on marcherait plutôt que courir. À Copenhague, des vagues vertes pour vélos sur les grands axes évitent même de devoir accélérer après chaque feu rouge, pour moins se fatiguer.
Les courses et les enfants à transporter sont écartés dès qu’on observe deux enfants traversant le pont rouge dans le bac d’un vélo cargo ou une cycliste dans un supermarché avec ses sacoches. Tout ce qui tient dans un caddie peut, dans le pire des cas, tenir dans une remorque de vélo.
N’importe qui peut réfuter ces mythes en parcourant un week-end son trajet quotidien à vélo. Le chemin sera un peu différent au début, mais les problèmes qu’on imaginait n’en sont souvent pas.
Il faudrait plus de voitures et de parkings pour encourager le commerce ? Au contraire, partout sur terre, toutes les études montrent qu’une mobilité douce est positive pour le commerce1. Où est-il est plus intéressant d’ouvrir un nouveau magasin en Ville, rue Philippe II ou rue Joseph II ?
La platitude la plus pernicieuse, car plus difficile à vérifier soi-même, est que le problème résiderait dans notre culture. Il faudrait finalement forcer le Luxembourgeois si on voulait dépasser les quelques% de part modale à vélo, même en ville. Il n’enfourcherait jamais son vélo, même si les problèmes étaient rares et les avantages évidents.
En plus de prendre les gens pour des idiots incapables de décider de façon rationnelle quel moyen de transport utiliser, l’argument de la culture a aussi la mémoire courte. Les routes luxembourgeoises étaient pleines de cyclistes il y a quelques décennies, alors que les vélos étaient lourds et moins avancés. Le Luxembourgeois n’est donc pas congénitalement incapable de se déplacer à vélo. C’est un choix circulaire sur des décennies de favoriser la voiture qui fait que tout le monde a une voiture qui fait favoriser la voiture qui fait que vraiment tout le monde a une voiture.
Créer un réseau cohérent
Si toutes ces raisons sont des prétextes, qu’est-ce qui fait que certaines villes sont plus cyclables que d’autres ? Il suffit de demander aux non-cyclistes ce qui les démotive, ce que plusieurs études ont fait2: le facteur principal qui décourage du cyclisme, c’est la peur du trafic automobile. Ce n’est pas qu’une question de statistiques d’accidentologie ; pour attirer de nouveaux cyclistes, les itinéraires cyclables doivent également les faire sentir à l’aise et en sécurité. Ceci est particulièrement vrai pour les tranches de la population que l’on croise plus rarement sur les voies cyclables luxembourgeoises ; les jeunes hommes, naturellement plus audacieux, sont moins sensibles à de tels risques.
La meilleure façon de convertir les noncyclistes au vélo, c’est ce que les villes européennes avec les taux de cyclisme les plus élevés ont toutes en commun: des réseaux complets de pistes cyclables séparées. La part du cyclisme dans les transports a baissé à l’apparition de la voiture, même au Danemark et aux Pays-Bas, jusqu’à ce que ces pays recommencent à construire des infrastructures cyclables. Ailleurs et plus récemment, Séville, qui n’avait pas de tradition du vélo dans les transports, a adopté les bonnes pratiques nordiques pour étendre son infrastructure, et multiplié le nombre de cyclistes par dix. Le facteur le plus déterminant pour prédire le succès d’un système de vélopartage est la qualité de l’infrastructure cyclable3. La raison pour laquelle les vélos en libreservice font jusqu’à douze fois plus de déplacements par jour dans d’autres villes? Il n’y a pas de raison de penser que ce n’est pas vrai pour le cyclisme en général.
La ville de Copenhague avec presque 800000 habitants investira en 2017 près de 19 millions d’euros dans son infrastructure cyclable déjà largement développée. Combien investissons-nous au Luxembourg ?
Il ne suffit cependant pas de construire partout à tout prix n’importe quelle infrastructure cyclable et de copier aveuglément les exemples du passé. Le choix de certaines lignes directrices techniques plutôt que d’autres est un choix politique. Les élus ne peuvent pas se substituer aux experts et aux planificateurs de la circulation, mais doivent être conscients que toutes les pistes cyclables ne naissent pas égales.
La façon dont les infrastructures sont conçues, leur design, fait toute la différence. Là où nous construisons des infrastructures cyclables, nous devons adopter les habitudes et meilleures pratiques des pays où la part du cyclisme est élevée. Ces lignes directrices éviteraient par exemple les intersections dangereuses, ou les pistes cyclables bidirectionnelles qui doublent statistiquement le nombre d’accidents aux intersections. Les lignes directrices du
ministère des Transports alertaient pourtant déjà il y a 16 ans (!) sur ce problème.
Il y a dans toutes les villes de plus en plus de cyclistes ; est-ce que, grâce à nos investissements, l’évolution du cyclisme dans les transports au Luxembourg s’accélère ? Le taux d’évolution par rapport aux autres villes européennes pourrait à la fois être une mesure de notre progrès, et une consigne que l’exécutif donnerait aux planificateurs, comme une banque centrale reçoit une cible d’inflation. On éviterait ainsi l’infrastructure Potemkine, construite uniquement pour faire croire que la situation est mieux qu’elle ne l’est.
La construction d’un vrai réseau cohérent, continu et de qualité au Luxembourg, malgré les avantages qu’elle apporterait, se heurte cependant elle aussi à des idées reçues tenaces.
Une planification à repenser
La planification de la circulation se base souvent, au niveau technique, sur un modèle théorique du trafic. Ce modèle ne prend en compte ni les piétons, ni les cyclistes, ni la façon dont l’infrastructure influence la masse de trafic, ni la substituabilité, c’est-à-dire la possibilité de passer d’un moyen de transport à un autre lorsque celui-ci devient plus attractif.
Ce qui peut paraître très théorique et abstrait est pourtant simple: il n’y a aujourd’hui aucun usager du tram parce qu’il n’y a pas encore de rails. Une fois le tram construit, ceux qui passeront de leur voiture au tram ne créeront plus de bouchons. Ce qui est évident pour le tram se produira, quel que soit le moyen de transport rendu plus attractif.
Une confiance aveugle dans ce modèle qui trahit une certaine myopie s’oppose donc à la construction d’infrastructures cyclables et piétonnières, sous prétexte qu’une réduction de la capacité automobile créerait des bouchons. Proposer une offre alternative de qualité contribuerait pourtant même à réduire la congestion automobile en réduisant les conflits aux intersections et en encourageant d’autres façons de se déplacer pour les trajets courts.
Il n’y a donc pas «pas assez de place» pour construire des infrastructures cyclables. Il y a un budget fixe de mètres de largeur sur chaque route, et le choix de leur allocation, qui favorise certains moyens de transport et en défavorise d’autres, est politique et non technique. Tant mieux si chaque mètre, chaque seconde de feu rouge, ont été efficacement utilisés pour la voiture jusqu’ici ! Nous savons allouer nos ressources en fonction des besoins, ce qui n’empêche pas l’allocation de changer quand ces besoins évoluent. Même les rues les plus étroites du pays ont la place pour laisser passer les piétons et les vélos.
370 Luxembourgeois meurent chaque année précocement des conséquences de la pollution atmosphérique4. Les rues du Luxembourg explosent aux coutures: elles ne peuvent plus supporter le trafic presque totalement automobile d’un pays de près de 600000 habitants où rentrent chaque matin près de 200000 frontaliers.
Heureusement, certaines décisions politiques commencent à aller dans le bon sens. Les places de parking gratuites sur le lieu de travail continuent à attirer les voitures de fonction fiscalement avantageuses, mais elles se font concurrencer par des carottes très généreuses sur les vélos. La nouvelle loi sur les pistes cyclables prévoit des itinéraires traversant les milieux urbains.
Un système de transport efficace lubrifie le marché de l’emploi. Réduire les 33 heures de bouchon annuelles moyennes à Luxembourg-ville5 ne serait pas qu’un agacement en moins, mais améliorerait la qualité de vie et, finalement, la compétitivité du pays.
Il n’y a pas de bonne raison qui s’oppose à la construction d’un vrai réseau cyclable. C’est le moment de donner un grand coup de pédale.
1 http://www.citylab.com/cityfixer/2015/03/ the-complete-business-case-for-converting-streetparking-into-bike-lanes/387595/
2 Voir par exemple : Pooley C, Tight M, Jones T, Horton D, Scheldeman G, Jopson A et al. Understanding walking and cycling: summary of key findings and recommendations. Lancaster University, 2011. http:// eprints.lancs.ac.uk/50409
3 Médard de Chardon C, Caruso G, Thomas I, Bicycle sharing system ‘success’ determinants, Uni.lu, 2017. https://doi.org/10.1016/j.tra.2017.04.020
4 European Environment Agency, Air quality in Europe — 2016 report; https://www.eea.europa.eu/publications/ air-quality-in-europe-2016
5. INRIX, 2016 Global Traffic Scorecard, http://inrix. com/scorecard-city/?index=13
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