Mon expérience de la grève des femmes

Neuchâtel, juin 2019

C’est en plein été 2018 que j’ai pour la première fois entendu parler de la grève des femmes. Une de mes meilleures amies, qui travaillait à l’époque pour une association féministe genevoise à côté de ses études à l’université, m’avait parlé d’une réunion de préparation à la grève et nous avions décidé de nous y rendre ensemble. Je me suis donc retrouvée dans la salle communale du Faubourg à Saint Gervais à discuter avec au moins 50 autres femmes des raisons de notre engagement et de ce que nous voulions voir changer. C’était très émouvant parce qu’il y avait des femmes de générations différentes et d’opinions politiques opposées, mais qui se sont quand même toutes rassemblées pour organiser le mouvement. Il y avait aussi celles qui avaient participé à la grève du 14 juin 1991, qui étaient à la fois désespérées qu’il y ait encore besoin d’une grève en 2019 et très enthousiastes en voyant que les nouvelles générations s’intéressaient au mouvement.

Une grève en préparation

Nous avons commencé par un tour de table. Chacune pouvait prendre le micro et expliquer les raisons pour lesquelles elle était présente (je précise ici que le groupe d’organisation de la grève à Genève était réservé aux femmes*1). Rapidement, plusieurs grands thèmes ont émergé des discussions comme l’égalité salariale, les violences faites aux femmes, le problème du congé parental (en Suisse les pères ont un jour de congé uniquement à l’arrivée de leur enfant) ou encore l’inégalité que subissent les femmes au moment de la retraite. Le but de cette réunion était aussi de donner un nom au mouvement. Après quelques discussions sur la question de savoir s’il fallait parler de comité, de groupe ou d’assemblée est venue la question principale de savoir s’il fallait parler de grève des femmes ou de grève féministe. À Genève, la majorité dont je faisais partie a voté pour le terme « féministe » qui permettait plus clairement d’inclure les hommes dans le mouvement. Cette décision n’a cependant pas été prise dans toutes les villes suisses.

Mon départ de Genève en avril 2019 pour Neuchâtel m’a empêchée de m’engager dans l’organisation à Genève et j’ai donc été très heureuse qu’on me propose de participer à l’organisation de la grève à l’université de Neuchâtel. J’ai rapidement rejoint le comité qui se composait principalement d’étudiantes, qui ont fait un travail extraordinaire pour mettre sur pied notre action. Nous nous sommes réparti les tâches. Un des groupes s’est chargé d’écrire un manifeste avec nos revendications principales, que j’ai eu ensuite l’honneur de remettre à un membre du rectorat lors d’une cérémonie officielle le jour de la grève. Il y était entre autres question des problèmes d’inégalité dans le monde universitaire. Nous avons par exemple demandé l’instauration d’un environnement de travail égalitaire et agréable à vivre, l’éradication des violences sexistes ou encore la visibilisation et l’encouragement des carrières académiques féminines, encore trop rares, surtout aux niveaux supérieurs comme celui de professeur ordinaire. Le « care » et les conséquences du travail parental sur les carrières féminines font aussi partie des revendications importantes (le manifeste est disponible sur la page Facebook du comité UniNE – Grève des femme.x.s, grève féministe : https://www.facebook.com/uninegrevedesfemme.x.s/).

Le jour de la grève

Le jour de la grève a été un moment très particulier pour moi, je suis très heureuse d’y avoir participé. J’ai vraiment eu l’impression de vivre un moment historique. Un groupe d’étudiantes du collectif était allé redécorer les bâtiments de l’université avec des guirlandes de slogans, de clitoris et des vulves en tissus. À l’université, nous avons commencé par un discours, puis nous avons remis le manifeste au rectorat avant de nous engager dans une marche bruyante. Armés de sifflets, de casseroles ou de haut-parleurs nous sommes allés faire le plus de bruit possible dans tous les bâtiments de l’université, dans les bibliothèques, dans les cafétérias. Arborant t-shirts et drapeaux violets aux emblèmes de la grève, nous hurlions des slogans et tapions sur nos casseroles. Hurler ainsi en groupe était libérateur et exaltant, surtout lorsque nous entrions dans des bibliothèques, des lieux silencieux dont nous dérangions la tranquillité.

La marche terminée, nous sommes tous allés à la gare pour rejoindre le cortège principal, une foule violette venue non seulement de Neuchâtel, mais aussi de toutes les petites villes des environs. Il y avait des femmes de tous âges, certaines aux seins nus avec des inscriptions peintes sur le corps, des hommes, des familles. Le collectif de la ville de Neuchâtel avait aussi redécoré la ville. Des slogans féministes s’affichaient, des rubans violets étaient accrochés aux arbres… La statue de David de Pury (un bienfaiteur de la ville de Neuchâtel) sur la place principale était habillée de violet et la plaque commémorative avait été cachée par une autre, utopique et rêvée, commémorant la décision du Conseil d’État d’inscrire la parité hommes-femmes dans la constitution. Une large pancarte avec le slogan historique « Du pain et des roses » accueillait les manifestants sur une autre place de la ville où des stands de nourriture et de musique avaient été installés. Certaines rues avaient pris pour la journée des noms de femmes célèbres.

De la gare, le cortège est descendu à travers la ville ; c’était une marée humaine marchant pour une même cause, scandant des slogans et chantant l’hymne « Debout » du MLF. Il y avait une ambiance très festive ; et c’était incroyablement exaltant, encourageant et me donnait le sentiment de ne pas être seule à me battre. Les informations ont par la suite compté plus de 5000 personnes à Neuchâtel et plus de 500 000 dans toute la Suisse. J’ai été particulièrement heureuse de voir qu’il n’y avait pas seulement des femmes, mais aussi des hommes dans le cortège ; je trouve cela très encourageant pour la suite du combat.
Ce n’est qu’un début

La doctorante en histoire que je suis voit également cette grève comme un moment fort de mobilisation pour les femmes en Suisse. Je connais de nombreuses personnes qui ont, à l’occasion de cette grève, marché pour la première fois en cortège dans la rue en manifestant pour une cause politique. Quant à moi, je n’avais jamais organisé de grève, ce qui était aussi le cas de nombreuses de mes collègues du collectif de l’université. Cette grève m’a beaucoup appris sur l’aspect pratique d’une mobilisation et tout ce qu’il faut faire pour qu’elle soit réussie. Toute cette organisation a également permis à des réseaux fémi­nistes de se créer et de s’étendre. D’ailleurs, de nombreux collectifs de grève à l’image de celui de l’université de Neuchâtel ont décidé de se constituer en associations, afin de rester actifs même après le 14 juin. Selon moi, l’une des conséquences les plus immédiates et bénéfiques de cette grève, c’est justement ces réseaux de mobilisation qui se sont formés ainsi que l’expérience amassée par les organisatrices. Tout cela permettra dans le futur de mettre sur pied des manifestations ou des grèves de manière encore plus rapide et efficace. On a pu le voir déjà lors de la journée internationale d’élimination des violences faites aux femmes. Durant le weekend du 23 au 24 novembre 2019, des manifestations ont eu lieu dans plusieurs villes suisses, dont Neuchâtel, et chaque fois, les collectifs et associations créés pour la grève du 14 juin ont été mobilisés et ont participé à l’organisation dans leur ville.

Politiquement, les choses avancent très lentement en Suisse, mais j’ose espérer que cette mobilisation aura au moins montré à l’exécutif qu’une partie non négli­geable de la population est non seulement prête à voter en faveur de projets visant à l’égalité entre les hommes et les femmes, mais aussi à les défendre en allant manifester dans les rues.

  1. L’astérisque permet ici de désigner non seulement les femmes cisgenres, mais aussi les femmes transgenres. La grève a donc été appelée « Grève des femmes* » afin de n’exclure personne.

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