«Ne vous faites pas de soucis, on a déjà fait Kyoto »

Réflexions après un échange avec Sarah Blau, la « négociatrice climat » du Luxembourg

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«Ne vous faites pas de soucis,
on a déjà fait Kyoto »
Réflexions après un échange avec Sarah Blau, la « négociatrice climat »
du Luxembourg
L’élaboration d’un texte de
négociation
Les négociations d’un nouvel accord sur
le changement climatique à Paris ne commencent
pas le 30 novembre. De nombreuses
négociations entre les parties, dont
les 28 États membres de l’Union européenne
(UE), sont menées à l’avance pour
élaborer un texte qui pourra être adopté à
Paris et entrer en vigueur en 2020. Si les
parties réussissent à se mettre d’accord à
Paris sur un nouveau texte, des décisions
seront adoptées concernant la mise en
oeuvre et un plan de travail d’ici 2020 sera
mis sur pied.
Les préparatifs pour l’actuelle « Conference
of Parties » (COP, l’organe suprême
des conventions sur le climat) ont déjà
commencé en 2012 : comme on n’a pas
abouti à un nouvel accord à Copenhague
(2009), il a été décidé à Doha (2012) de
prolonger le protocole de Kyoto (qui a expiré
en 2012) jusqu’en 2020. Maintenant,
l’enjeu sera de négocier un nouvel accord
juridiquement contraignant à partir de
2020. À Durban, il a été décidé d’établir
le Ad Hoc Working Group on the Durban
Platform for Enhanced Action (ADP)
pour préparer ce texte. C’est ici que se négocie
le texte et que le Luxembourg entre
en jeu en tant que Présidence de l’UE entre
juillet et décembre 2015. Dans l’ADP, les
représentants de toutes les parties qui ont
ratifié la convention de Rio sont invitées à
négocier le texte de base. Sarah Blau, détachée
du Parlement européen et attachée
au ministère du Développement durable
et des Infrastructures, préside lors de ces
négociations la coordination interne de
l’UE au niveau technique. Ces réunions
ont lieu la plupart du temps à Bonn, le
siège du secrétariat de la Convention-cadre
des Nations unies sur les changements climatiques
(CCNUCC). Selon Sarah Blau,
cet emplacement n’est pas un hasard, vu
le « fort lien historique entre l’histoire de
Kyoto, la CCNUCC et l’Allemagne : en
effet, Angela Merkel, en tant que ministre
de l’Environnement, a déjà présidé la
COP1».
Afin de faire en sorte qu’on aboutisse à
un nouvel accord vraiment global, des
Intended Nationally Determined Contributions
» (INDC) ont été soumises. Pour
l’UE, son INDC est de réduire d’au moins
40 % ses émissions de gaz à effet de serre
en 2030 comparé à 1990, comme cela a
été décidé en octobre 2014 par le Conseil
européen. Ces objectifs nationaux sont
pris en considération lors des discussions
sur le protocole, qui finalement servira de
base de négociation entre les ministres à
Paris.
Mais, qui sont les négociateurs impliqués
? « Pour les pays en développement,
ce sont souvent des représentants plus généralistes
au sein de leurs représentations
permanentes auprès des Nations unies à
New York. En Europe, les négociateurs
viennent des ministères de l’Environnement
ou alors, il y a parfois des ministères
du Changement climatique ou des Énergies.
Ce sont souvent des personnes qui
ne font que cela, qui sont des négociateurs
en matière de changement climatique avec
un profil qui peut être diplomatique, mais
aussi technique. »
Le Luxembourg, une force
coordinatrice ?
Le rôle du Luxembourg dans cette phase
de préparation est d’exercer la Présidence
du Conseil de l’UE, comme il le fait dans
«Depuis Kyoto, le monde a changé.
C’est pourquoi, il est crucial d’aboutir
à un accord qui couvre tous les grands
émetteurs. »
Kim Nommesch
Klimaverhandlungen November 2015 41
Impressions de l’extérieur du centre de négociations à Bonn (© Verena Flues)
tous les domaines. Dans les négociations
sur le changement climatique, il s’agit plutôt
d’un rôle de coordination, car « il s’agit
de faire en sorte que l’UE parle d’ une
seule voix lors des négociations ». Madame
Blau précise que chaque matin, avant que
les négociations techniques ne débutent à
10 heures, il y a des réunions de coordination
UE. «On a une réunion de coordination
de l’UE qui commence à 8h30 au
niveau des négociateurs pour coordonner
toutes les positions de l’UE. Au niveau
ministériel à Paris, Carole Dieschbourg
préside les coordinations UE lors de la seconde
semaine de la COP21 – elle représentera
l’UE ensemble avec le commissaire
à l’Énergie et au Climat, Miguel Arias
Cañete. »
Ce n’est pas la première fois que le Luxembourg
revêt la fonction de coordinateur des
positions UE. Actuellement, c’est la douzième
Présidence du Conseil de l’Union
européenne pour le Grand-Duché et « les
trois personnes clés qui travaillent sur le
dossier COP21 ont toutes participé à la
Présidence de 2005 ». Dans ce contexte,
il y a lieu de rappeler un fait intéressant et
amusant à la fois: le Luxembourg a déjà
assumé la Présidence à Kyoto. Selon Sarah
Blau, « quand on dit, ne vous faites pas
de soucis, on a déjà assumé la Présidence
de l’UE à Kyoto, cela fait rigoler les gens,
parce qu’il y a une chance sur cinquante
que cela se passe ainsi ». Le Luxembourg
pourrait en effet profiter de son expérience
et des leçons tirées à Kyoto pour les négociations
de Paris, étant donné qu’à Kyoto,
un accord avec des objectifs relativement
ambitieux a été signé, mais qui ne couvre
qu’une partie des pays développés dans ses
objectifs de réduction.
Pourrait-il donc s’agir d’un heureux (ou
malheureux) présage pour la COP21 ?
Tout d’abord, la non-ratification par l’un
des plus grands pollueurs, les États-Unis,
et l’annulation par le Canada contestent
le succès et la durabilité des objectifs du
traité. Deuxièmement, « depuis Kyoto, le
monde a changé. C’est pourquoi, il est
crucial d’aboutir à un accord qui couvre
tous les grands émetteurs, dont aussi la
Chine, l’Inde et le Brésil. » En effet, la position
de certains États et l’équilibre des
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puissances ont changé. Ainsi, par exemple,
« si vous additionnez les émissions de
l’Union européenne et des États-Unis,
vous arrivez aux émissions chinoises, ce
qui n’était pas le cas à Kyoto ».
Le Luxembourg profite tout de même
d’autres avantages qui pourraient aider
le Grand-Duché à bien défendre la position
de l’UE. L’exiguïté du pays représente
certainement un avantage, dans la
perspective des grandes puissances, non
seulement à l’intérieur, mais aussi à l’extérieur
de l’Union. Le Grand-Duché ne
semble guère représenter une menace,
parce qu’« on a moins d’intérêts propres ».
De plus, en tant que pays et société plurilingue,
« on parle plusieurs langues et
on comprend les pays UE qui jouent
un rôle clé dans le changement climatique
qui sont souvent les grands États
membres comme la France, l’Allemagne,
l’Angleterre ».
Paris – alliée de l’UE dans les
négociations ?
On pourrait se demander si la future Présidence
de la COP française et le lieu des
négociations favorisent l’un ou l’autre. Le
lieu de la négociation peut jouer un rôle
symbolique dans les échanges diplomatiques,
surtout lors des processus de paix –
prenons l’exemple récent de l’accord entre
le gouvernement colombien à La Havane
et les Forces armées révolutionnaires de
Colombie (FARC), qui partageaient à la
base les principes de l’idéologie communiste.
Les négociations sur le changement
climatique donnent lieu à des constellations
certainement plus complexes vu le
nombre d’acteurs, de points de vue et d’intérêts.
Ce qui importe alors, c’est un appareil
diplomatique bien organisé et efficace,
ce qui est le cas pour une puissance diplomatique
comme la République française.
Or, il se pose la question si les Français
en tant qu’organisateurs et l’UE peuvent
être neutres ? « In fine, beaucoup de gens
semblent croire que l’UE ne va pas dire
“non”, parce que c’est un État membre qui
organise la conférence. Par ailleurs, c’est
sûr que les Français comprennent mieux
la position de l’UE, puisqu’ils sont un pays
membre. »
Les défis de l’UE à Paris
Si l’UE a une position très claire, notamment
pour ce qui est de réduire les
émissions à au moins 40 % par rapport
au niveau de 1990, la Chine et l’Inde défendent
également leur position. L’UE a
donc besoin d’une stratégie de négociation
qui aboutisse à un accord ambitieux et
garantisse en même temps un consensus
durable entre les pays.
Une bonne stratégie de communication
est essentielle et « l’objectif est d’abord de
bien vendre la position de l’UE ». En effet,
selon Sarah Blau, l’UE manque souvent
d’une communication efficace quant à
son engagement. Ceci pourrait aider l’UE
à former des alliances, une stratégie clé
pour garantir que l’Union ne soit pas écartée
de la table des négociations. Il s’agit
de trouver des pays tiers qui veulent eux
Les coprésidents aux négociations de Bonn
L’ADP est toujours présidée par un représentant d’un pays développé et d’un pays en développement. Les deux coprésidents font face à
une mission herculéenne, étant donné qu’ils sont censés faciliter les négociations entre 196 parties et rédigent le document de base pour
Paris 2015 – une fonction qui exige de la patience et un grand doigté diplomatique. L’Américain Daniel Reifsnyder et l’Algérien Ahmed
Djoghlaf assument cette responsabilité pour la COP en question. Dan Reifsnyder est le vice-secrétaire d’État adjoint à l’Environnement
au Bureau des océans, de l’environnement et des sciences du Département d’État aux États-Unis. Il dirige la délégation des États-Unis
dans les domaines de la protection environnementale et de la conservation dans la négociation de nombreux traités et accords multi- et
bilatéraux. Ahmed Djoghlaf a été le secrétaire exécutif de la Convention sur la diversité biologique et l’assistant du directeur exécutif du
Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE).
aussi un accord ambitieux et un objectif
à long terme. Les intérêts des key players
sur la scène internationale ne sont pas toujours
identiques ; c’est pourquoi l’UE vise
les plus vulnérables et les plus menacés par
les effets du changement climatique. Elle
est un des plus grands contributeurs au
développement et au financement climatique.
Par conséquent, les pays les moins
développés (LDC) et les pays de l’Alliance
des petits États insulaires (AOSIS) représentent
des alliés potentiels plutôt que des
grands pays émergents comme la Chine
ou l’Inde.
D’une part, ces alliances sont une opportunité
de présenter un programme ambitieux,
mais, d’autre part, elles peuvent
être un moyen de mettre la pression
aux États qui dépendent actuellement
de l’aide financière et ainsi faiblir la
voix des pays émergents. Or, la création
récente de la Nouvelle Banque de développement
(États BRICS – Brésil, Russie,
Inde, Chine, Afrique du Sud), proposée
comme alternative à la Banque mondiale
et au Fonds monétaire international, tout
comme l’existante Banque asiatique de développement,
pourrait remettre en question
cette approche. L’UE est-elle d’opinion
que d’autres contributeurs des pays
émergents ont aussi un rôle à jouer dans
le futur financement climatique ? Est-ce
une stratégie durable ou revêt-elle un caractère
pragmatique ? Une stratégie étant
circonstancielle per se, il reste à voir comment
et où l’UE se retrouvera sur la scène
internationale et dans quelle constellation
dynamique des pouvoirs. u

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