Parlons multilingue!

De nouvelles pistes pour profiter des ressources linguistiques à l’école

Langues et éducation, deux sujets favoris de la rédaction de ce périodique. La dernière fois que nous avons consacré un dossier aux langues à l’école, c’était il y a quatre ans («Mehrsprachigkeit in der Schule», forum 324). Pourquoi en reparler maintenant? Qu’est-ce qui a changé? Tout d’abord, le Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse est en train de tester dans plusieurs établissements «pilotes» son projet concernant l’utilisation du français dans l’éducation des plus petits. Ensuite, il s’agit d’une bonne opportunité pour analyser la situation des autres niveaux scolaires et réévaluer les méthodes pédagogiques appliquées. En effet, il apparaît que le débat a évolué ces dernières années: en comparant les articles du dernier dossier portant sur le sujet avec ceux du dossier actuel, l’accent semble avoir été déplacé en faveur de méthodes plus «libérales» et ouvertes à d’autres langues.

Un contexte marqué par le multilinguisme et l’inégalité

Les discussions se déroulent dans un contexte dont je me permets de souligner deux aspects en particulier. D’un côté, les nouvelles orientations économiques des dernières années ont entraîné des changements sociodémographiques importants. La composition de la société luxembourgeoise s’est diversifiée davantage: outre les personnes originaires des pays limitrophes et celles de nationalité portugaise ou italienne, le Luxembourg accueille de plus en plus de concitoyens venant de plus loin pour travailler majoritairement dans les grandes entreprises internationales (voir notre numéro 362 sur les personnes mobiles au Luxembourg). Ainsi, environ 7% du total des élèves au Luxembourg étaient inscrits dans un établissement international en 2013/141. Face à la demande croissante de l’anglais comme langue d’instruction, l’offre d’établissements internationaux privés a augmenté au cours des dernières années. Certains lycées ont saisi le train en marche en proposant des programmes tel que le baccalauréat international, dont le nombre pourra augmenter dans le futur. Le ministre de l’Éducation nationale a appelé avant les vacances d’été d’autres écoles à suivre cet exemple2 et dans quelques jours seulement, la première école internationale publique ouvrira ses portes à Differdange.

De l’autre côté, le système éducatif public dit «traditionnel» a connu et connaît des défis liés à la diversité linguistique. Ceux-ci ne datent pas d’hier: forum a souligné dès ses débuts – le périodique fête cette année-ci son quarantième anniversaire – les inégalités sociales générées par le système éducatif du Luxembourg. Si les élèves luxembourgeois sont favorisés par l’alphabétisation en allemand, vu les origines germanophones du luxembourgeois et la consommation des médias d’outre-Moselle, beaucoup d’enfants issus de familles où dominent les langues romanes, rencontrent plus de difficultés. Bien que les barrières linguistiques ne soient pas le seul facteur déterminant la réussite scolaire (et plus tard la carrière professionnelle), il s’agit d’une variable importante. En 2013/2014, la proportion entre les élèves de nationalité luxembourgeoise et ceux de nationalité étrangère inscrits au cycle 2-4 (enfants âgés de 6-12 ans) était plus ou moins égale. Après le passage au lycée, 21,3% des adolescents inscrits à l’enseignement secondaire (ES) étaient d’origine non-luxembourgeoise par rapport à 45,3% dans l’enseignement secondaire technique (EST). Or, «im Bildungswesen bläst der Wind bekanntlich etwas rauer3»: les réformes, et plus encore leur mise en œuvre ainsi que le changement des mentalités, peuvent prendre leur temps. C’est pourquoi, une volonté commune de toutes les parties prenantes dès le départ est une condition nécessaire pour garantir une éducation dont peuvent profiter tous les élèves.

Tour de Babel?

Le but de ce dossier est de présenter non seulement l’analyse des enjeux actuels, mais aussi de mettre en avant les pistes issues de la recherche. Il questionne les opportunités à venir par des exemples tirés de l’éducation précoce, de l’enseignement fondamental et secondaire ainsi que du secteur non formel. Les auteurs sont d’accord sur le fait que la situation linguistique au Luxembourg nécessite une plus grande ouverture aux diverses langues (que les articles de ce dossier soient rédigés exclusivement en allemand résulte du libre choix des auteurs et non de la volonté de la rédaction). Certains craindront que cela n’aboutisse à une tour de Babel, mais ils verront qu’à travers l’emploi stratégique d’autres langues (maternelles), l’alphabétisation et l’apprentissage pourront être facilités. Passer de l’interdiction d’une langue dans la salle de classe ou dans la cour de récréation à la promotion de son utilisation ponctuelle pourra en effet contribuer à renforcer la confiance de l’enfant, à stimuler son développement intégral et finalement à sa réussite scolaire.

Simone Mortini et Claudine Kirsch de l’Université du Luxembourg expliquent ainsi, à travers des exemples concrets de l’enseignement quotidien, le concept du translanguaging qui permet aux enfants d’utiliser différentes ressources linguistiques. Selon Constanze Weth, la directrice de l’Institute for Research on Multilingualism à l’Uni.lu, il n’y a pas un seul multilinguisme à l’école, les langues n’étant pas monolithes. Elle explique les différentes variétés qu’on peut trouver et les défis qui y sont liés. Maike Edelhoff présente une critique du livre Die Luxemburger Mehrsprachigkeit, qui donne un aperçu plus général sur la situation linguistique dans les différents secteurs au Grand-Duché, dont l’éducation. Le sociolinguiste Fernand Fehlen réclame un nouvel équilibre entre les langues en faveur de l’anglais et du luxembourgeois. Par la suite, un groupe d’enseignants de l’école Dellhéicht à Esch-Alzette, ville connue pour sa population multiculturelle, se réfère à des exemples pratiques de la promotion linguistique transversale, des best practices, de leur établissement. Or, l’apprentissage de nouvelles langues ne se limite pas à l’intérieur des murs scolaires: les développements sociaux de ces dernières décennies font que les enfants passent de plus en plus de temps dans les structures non formelles telles que les crèches et les maisons relais. Repenser la relation entre le secteur formel et non formel s’impose alors. Dans ce contexte, Christian Haag, pédagogue auprès de arcus asbl, souligne non seulement le rôle des éducateurs, mais aussi celui des autres enfants pour encourager l’apprentissage des langues. Angélique Quintus affirme ensuite l’aspect de la culture et de l’interculturalité: étant donné que les langues sont enveloppées dans le contexte culturel de chacun, elles sont marquées par certaines expressions et habitudes, parfois difficiles à traduire. Finalement, Dany Weyer, également de l’Université du Luxembourg, montre les effets bénéfiques de l’utilisation du théâtre en tant qu’instrument pédagogique dans l’enseignement des langues.
Kim Nommesch

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