Perspective luxembourgeoise
Conclusions sur le caractère inclusif des supports pédagogiques
par Katja N. Andersen, Michaela Vogt, Anette Bagger, Vanessa Macchia et Christoph Bierschwale
Cette contribution s’appuie sur les conclusions du projet European Comparison of Inclusive Teaching Materials (ITM) lancé en 2018. Cette collaboration regroupant l’Allemagne (Prof. Dr. M. Vogt, C. Bierschwale), le Luxembourg (Prof. Dr. K. Andersen), la Suède (Prof. Dr. A. Bagger) et l’Italie (Prof. Dr. V. Macchia, Prof. Dr. A. Augschöll, A. Ardemagni) cherche un moyen de définir le caractère inclusif des supports pédagogiques. C’est dans cette perspective qu’a été développé un catalogue de critères permettant d’évaluer la pertinence des supports pédagogiques en vue de leur utilisation dans des contextes d’enseignement inclusif. La présente contribution présente ces critères en les mettant en parallèle avec les conclusions des recherches menées au Luxembourg.
Le contexte luxembourgeois : la langue, le multilinguisme et la contribution linguistique
Compte tenu du multilinguisme très marqué au Luxembourg, le pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) comptant le plus grand nombre de résidents étrangers, les conclusions de l’étude partielle luxembourgeoise se cantonnent principalement aux ensembles de critères concernant l’adaptabilité aux personnes, l’adaptabilité à l’environnement, l’efficacité personnelle et les notes explicatives. Le contexte particulier du Luxembourg et de son système éducatif multilingue a conditionné cette étude partielle : en effet, le Luxembourg compte actuellement près de 635 000 habitants, dont environ 299 500 étrangers1, soit 47,2 % de la population totale. Au Luxembourg, les écoles primaires comptent 45,7 % d’élèves d’origine étrangère et issus d’un total de 116 pays2, soit une part équivalente à celle des étrangers dans le reste de la population. La langue, la communication et l’inclusion multilingue sont cruciales dans le système éducatif luxembourgeois : en effet, avec un enseignement dispensé en allemand, en français et en luxembourgeois, de même que 46,4 % de cours de langue3, ce système se concentre essentiellement sur le développement des compétences linguistiques. Pour le projet de recherche de l’ITM, la situation unique du Luxembourg constitue un excellent point de départ pour analyser et comprendre les supports pédagogiques du premier cycle conçus dans le pays ; pour se pencher sur les questions de la langue et du multilinguisme ; et pour ainsi identifier les potentiels inclusifs des supports luxembourgeois.
Collecte de données dans l’étude partielle luxembourgeoise
L’étude partielle luxembourgeoise s’est appuyée sur l’analyse de supports pédagogiques utilisés dans la matière intitulée éveil aux sciences. Ce corpus comprenait trois manuels scolaires actuellement employés dans cette matière, de même que les mallettes pédagogiques conçues par le ministère pour compléter ces ouvrages. Les supports sélectionnés pour l’étude portaient sur les sujets de l’air4, de l’eau5 ainsi qu’une compilation de thèmes abordés en quatrième année (technologies du quotidien, météo, etc.6). L’analyse de la façon dont étaient présentées les tâches dans les manuels sélectionnés ainsi que leurs mallettes pédagogiques a été effectuée selon les critères élaborés dans une étude préliminaire et dont le but était de produire et d’évaluer des supports pédagogiques destinés à un enseignement inclusif dispensé au primaire7. Conformément au modèle de processus développé dans le projet ITM, l’intérêt des tâches proposées par les trois manuels pour l’enseignement inclusif a été abordé au cours de discussions réunissant des enseignants luxembourgeois du primaire. Les résultats obtenus au terme de ces discussions ainsi que par l’expérience professionnelle des enseignants du primaire ont été exploités pour adapter et compléter le catalogue de critères existant concernant la langue, le multilinguisme et le caractère inclusif.
Elaboration du catalogue de critères de l’ITM
L’accrétion continue des résultats des différentes études partielles de l’ITM a permis de développer un catalogue de critères sur la base duquel les enseignants peuvent évaluer et améliorer le caractère inclusif des supports pédagogiques. Ce catalogue est le produit de la synthèse des conclusions concernant les critères portant sur le caractère inclusif des supports pédagogiques et obtenus durant les nombreux colloques d’experts auxquels ont participé les membres de l’ITM ainsi que des conseillers externes. Ce projet international inclut quatre pays membres avec pour conséquence des critères qui s’enrichissent en fonction des contextes des autres pays pour former un catalogue que les enseignants et les éditeurs peuvent utiliser pour évaluer le caractère inclusif des supports pédagogiques. La perspective luxembourgeoise qui se concentre notamment sur la sensibilité linguistique, le multilinguisme et la contribution linguistique se retrouve dans chacun des six ensembles de critères du catalogue de l’ITM et tout particulièrement dans les critères portant sur l’adaptabilité aux personnes, l’adaptabilité à l’environnement, l’efficacité personnelle et les notes explicatives.
L’adaptabilité aux personnes
Principal outil de la communication, la langue dans sa dimension verbale, non verbale et imagée est à l’origine des processus essentiels à l’apprentissage que sont le fait de comprendre et de s’exprimer. Les critères linguistiques définissant le caractère inclusif des supports pédagogiques impliquent que les apprenants puissent chacun déduire des incitations et des consignes des supports en fonction de leur répertoire linguistique et ce, quel que soit le nombre de langues qu’ils comprennent. L’apprenant est ainsi en mesure d’utiliser le support seul et de façon autonome. Pour stimuler et permettre ces processus d’apprentissage autonome qui sont essentiels à l’inclusion de l’apprenant, le support pédagogique doit pouvoir répondre aux critères suivants :
« Le support pédagogique offre-t-il différentes approches du même sujet permettant de répondre aux besoins de la diversité ? […]
Les consignes des tâches sont-elles données de différentes manières et avec différents niveaux de complexité ?
Le support pédagogique est-il structuré de manière claire et autour du sujet d’étude ? […]8 »
Adaptabilité à l’environnement
Le recours accru à l’enseignement à distance et à l’apprentissage en ligne du fait de l’épidémie de Covid-
19 a conduit à élargir la définition des environnements d’apprentissage pour les apprenants du primaire ainsi que leurs possibilités de communiquer. La question est de savoir quels sont les canaux de communication permettant d’échanger avec et au sujet des supports pédagogiques lorsque les élèves se trouvent dans d’autres lieux d’apprentissage qu’ils ont choisis plutôt qu’en classe. En quoi le support pédagogique peut-il faciliter l’exposition au contenu d’apprentissage tout en tenant compte du contexte d’enseignement et d’apprentissage et de l’adaptabilité du support, des conditions d’enseignement de l’école, de même que des attentes culturelles et, le cas échéant, nationales ? Les langues ou le multilinguisme ne doivent pas constituer un handicap à cet échange et empêcher de se plonger dans les contenus du support pédagogique et de s’en imprégner. Pour ce faire, il est nécessaire de se pencher sur la question de l’adaptabilité du support pédagogique et notamment de la possibilité de l’utiliser pour travailler seul, à deux ou en groupe. Cette seconde préoccupation vient donc enrichir cet ensemble de critères des questions suivantes :
« Le support pédagogique peut-il être utilisé dans les différents groupes sociaux de la classe et en dehors ? […]
Le support pédagogique tient-il compte des exigences du cursus ainsi que des différents contextes culturels ?
Le support pédagogique intègre-t-il les dernières avancées de la recherche de même que les réformes scolaires ? »
Contrôle des connaissances : l’échec des compétences linguistiques
Lors de la création d’un support pédagogique, il convient d’éviter l’échec des contrôles de connaissances liés aux compétences linguistiques. Si un apprenant n’est pas en mesure de se confronter au contenu d’apprentissage parce que ce dernier n’est pas présenté d’une façon qu’il est capable de comprendre sur le plan linguistique, alors il est nécessaire de trouver des solutions pour éviter un échec lié au langage. Dans cette perspective, il convient cependant de ne pas se concentrer uniquement sur l’aspect linguistique, mais également sur les questions suivantes qui portent sur le contrôle des connaissances :
« Les contrôles de connaissances renvoient-ils à d’autres tâches d’apprentissage ciblées et comprises dans le support pédagogique ? […]
Les contrôles des connaissances permettent-ils d’analyser les progrès des différents apprenants et d’identifier les fautes récurrentes ? […]
Les contrôles des connaissances sont-ils effectués de manière bienveillante et permettent-ils de valoriser les progrès de chacun ? »
Efficacité personnelle : la possibilité
d’étudier seul
Les supports pédagogiques sont particulièrement appréciables lorsqu’un apprenant mis à leur contact se sent en mesure de les utiliser seul. Lorsque des supports pédagogiques sont utilisés dans un contexte d’enseignement inclusif, l’objectif est de permettre ce sentiment d’apprentissage et de réalisation autonome. L’apprenant peut ainsi avoir l’impression de maîtriser des contenus ou des objectifs et ainsi de les contrôler. Les critères correspondant à cet ensemble se résument avec les questions suivantes :
« Le support pédagogique motive-t-il les apprenants de différentes manières qui correspondent à leurs besoins ? […]
Les différentes tâches sont-elles présentées aux apprenants de façon à expliquer leurs objectifs respectifs ? […]
Le support pédagogique traite-t-il tous les apprenants de façon respectueuse, éthique, démocratique et inclusive ? »
Métacognition : l’accès aux contenus et
plus encore
Lors de la conception de supports pédagogiques, l’objectif est de faire en sorte que l’apprenant puisse accéder seul aux contenus d’un support et travailler sur le support avec des approches qu’il aura lui-même définies. La langue est un facteur permettant ces différentes approches, mais des compétences linguistiques insuffisantes peuvent également entraîner des blocages. Autrement dit, pour aborder le support pédagogique et ses contenus sur un plan métacognitif et se concentrer sur ses contenus d’apprentissage, il convient de se poser les questions suivantes :
« Le support pédagogique inclut-il l’usage de méthodes d’apprentissage variées et adaptées aux besoins des apprenants ?
Le support pédagogique encourage-t-il les apprenants à essayer différentes méthodes d’apprentissage, à considérer leurs avantages et à choisir celle qui leur correspond ?
Le support pédagogique permet-il aux apprenants d’avoir un retour et ainsi d’identifier et de mieux comprendre leurs besoins aux niveaux cognitif et émotionnel ? […] »
La sensibilité linguistique comme partie intégrante des notes explicatives
La création et l’évaluation des supports pédagogiques exigent de se pencher sur la façon dont ils sont conçus. Il convient de s’intéresser au contexte dans lequel le support a été créé, à sa conception et à sa mise en page ainsi qu’à son intérêt pédagogique. Des supports bien conçus facilitent leur utilisation sur le plan linguistique, mais prennent également en compte les facteurs suivants :
« […] Les concepts et les approches essentiels pour le support pédagogique sont-ils clairement évoqués et définis ?
La nécessité et l’utilité des contrôles des connaissances pour l’enseignant ainsi que les apprenants sont-elles toujours expliquées de façon claire ? […] »
Conclusion
La grande productivité du catalogue de critères de l’ITM et des questions qu’il soulève est le résultat d’une recherche dont l’approche internationale ne se cantonne pas à la perspective d’un seul pays, mais qui met au contraire en avant une inclusion allant au-delà des frontières et qui impose à la sensibilité qui en découle une exigence prenant en compte de multiples perspectives et de nombreuses disciplines. Elle permet d’entrevoir la sensibilité à l’inclusion d’un support pédagogique comme un projet commun dont la conception est pensée à travers plusieurs pays. Le catalogue de critères peut être utilisé comme source d’inspiration pour la conception de nouveaux supports pédagogiques et l’évaluation des supports existants : en effet, celui-ci répond au besoin général de développer la sensibilité à l’inclusion chez les enseignants grâce à des questions ciblées permettant de nourrir chez ces derniers une réflexion autonome sur les possibilités d’inclusion.
https://tinyurl.com/2p829trj (dernière consultation : 26 novembre 2021).
MENJE, Enseignement fondamental éducation différenciée, Luxembourg, Service des statistiques et analyses, 2017.
Katja N. ANDERSEN, « Assessing task-orientation potential in primary science textbooks », dans Journal of Research in Science Teaching, 57 (2020), p. 481–509.
MEN, Mir experimentéiere mat Loft, Luxembourg, Imprimerie Centrale, 2002.
Ibid., 2002.
MENFPS, Eveil aux sciences : Arbeitsmappe 3, Luxembourg, Agence MAC, 2000.
Michaela VOGT et Katharina KRENIG, « Entwicklung und Bewertung von Unterrichtskonzeptionen und -materialien für einen inklusiven Grundschulunterricht », dans Rita CASALE et Markus PESCHEL (éds), Forschung für die Praxis, Frankfurt, 2017, p. 94-104.
Toutes les questions – traduites de l’allemand – extraites de : Michaela VOGT et al., « Inklusionssensible Bildungsmaterialien als Must-have », dans Grundschule aktuell, 17 (2021), 155, p. 19/20.
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