Pour une éthique de la non-violence et du respect de la vie
Rallier humanisme écologique et écologie humaniste
Partons d’une prémisse très simple: de l’idéal éthique de la non-violence et du respect de la vie. De cette prémisse découle tout le reste.
Décliner un tel idéal en pratique ne se passe évidemment pas sans rencontrer de sérieux dilemmes éthiques, à la limite de l’insoluble. Ce qui n’est pas une raison pour renoncer à l’idéal, mais, bien au contraire, pour en aiguiser le bien-fondé.
Le but de ces lignes n’est pas d’en développer l’argumentaire, d’en préciser les concepts, d’en retracer l’histoire des idées, d’en expliciter les controverses, d’en fournir les références bibliographiques:nous l’avons tenté ailleurs, dans un document trop long pour être publié dans ces pages.
En voici plutôt une très brève esquisse, un trop bref condensé (avec nos excuses au lecteur), mis en rapport avec deux sujets d’actualité au Luxembourg (voir aussi forum N°382, 383): d’une part, le processus de légifération sur la protection des animaux (l’étonnant projet de loi N°6994 qui sera prochainement soumis au vote parlementaire), et d’autre part, le scénario d’une future coalition entre chrétiens-sociaux et écologistes (qu’il s’agira d’interroger quant au fond en cette période préélectorale).
Éthique de la non-violence
La question sous-jacente porte sur la confrontation souvent violente entre humanisme, animalisme et écologisme alors que la thèse avancée est celle d’un agenda commun sous-tendu par l’idéal éthique de la non-violence et du respect de la vie.
Autrement dit, le projet de rallier humanisme écologique et écologie humaniste au sein d’un paradigme intégrant humanisme, animalisme et écologisme. Encore faudrait-il préciser à quel humanisme, à quel animalisme et à quel écologisme il est fait référence.
L’éthique de la non-violence a une tradition millénaire (Bouddha, Lao-Tseu, Jésus, Gandhi, etc.). Citons, dans le contexte plus récent qui nous préoccupe: l’éthique du respect de la vie (Albert Schweitzer), l’éthique de la terre (Aldo Leopold), le principe responsabilité (Hans Jonas), l’écologie profonde (Arne Naess).
Pour Emmanuel Lévinas, l’exigence de non-violence est le principe même de la philosophie. Rien n’empêche a priori d’étendre l’éthique du visage lévinassienne aux non-humains: à travers le visage apparaît à la fois la vulnérabilité de l’être, et sa transcendance. En procédant ainsi, on ne fait du mal à personne.
Cela dit, la violence humaine est à considérer sous toutes ses formes: violence subjective, objective, symbolique, systémique, structurelle, etc. Si des problématiques aussi importantes que celles relatives à la paix, à l’équité et à la justice entre humains ne sont pas abordées de front dans le cadre de cette esquisse, il est à noter qu’elles constituent des préoccupations majeures de toute réflexion humaniste et de toute écologie politique à prétention humaniste.
Une écologie politique à plusieurs vitesses
La confrontation mentionnée renvoie aux champs de tension existant entre courants idéologiques et politiques qui se soutiennent prioritairement tantôt d’une philosophie humaniste métaphysique et/ou postmétaphysique, et tantôt d’une écologie politique qui est elle-même dans un rapport de tension complexe avec l’éthique environnementale d’une part, et avec l’éthique animale d’autre part.
Au sein de l’écologie politique se confrontent de nos jours comme jadis les tenants d’une écologie profonde (philosophique, spirituelle, fondamentale, etc.) et les tenants d’une écologie superficielle (scientifique, pragmatique, gestionnaire, etc.). Ces courants s’inscrivent par ailleurs sur l’échiquier habituel progressiste-conservateur, gauche-droite (écologie sociale vs. écologie libérale, etc.).
Si l’écologie profonde est préservationniste (valeur intrinsèque de la nature), l’écologie superficielle est conservationniste (valeur instrumentale de la nature). Le développement durable peut être rangé du côté de l’écologie superficielle, aussi bien la soutenabilité forte que la soutenabilité faible (virage constructiviste et pragmatiste d’une écologie politique rejetant tant l’éthique environnementale que l’éthique animale).
Une éthique environnementale à postures inégales
En éthique environnementale sont discutés les différents discours éthiques sur la relation de l’homme à la nature, permettant de distinguer différentes postures éthiques en fonction du degré d’extension de la communauté morale ou d’attribution de la valeur intrinsèque.
Ce qui donne, en suivant la typologie de Gérald Hess : posture éthique naturaliste non extensionniste (anthropocentrisme moral fort/faible, argument théocentrique/ratiocentrique, Luc Ferry, Lothar Schäfer, Peter Carruthers, John Passmore, Bryan G. Norton, Martin Seel, etc.); postures éthiques naturalistes extensionnistes (pathocentrisme, biocentrisme, écocentrisme naturaliste); posture éthique holiste, refus du dualisme ontologique homme/nature (écocentrisme holiste). Le biocentrisme repose sur le respect de la valeur inhérente à toute vie, ou encore sur la thèse de la structure téléologique du vivant (éthique du respect de la vie, Albert Schweitzer; éthique du respect de la nature, Paul W. Taylor; éthique de l’intendance, Robin Attfield, etc.).
Dans le cas de l’écocentrisme naturaliste, l’extension de la communauté morale englobe l’ensemble de la nature (Hans Jonas), qui disposerait par ailleurs d’une valeur intrinsèque objective (Holmes Rolston III) et d’une valeur esthétique objective (Eugene C. Hargrove), tandis que dans le cas de l’écocentrisme holiste la valeur intrinsèque est attribuée à la communauté biotique (Aldo Leopold, J. Baird Callicott). Voir aussi : totalité de la nature, Klaus-Michael Meyer-Abich; contrat naturel, Michel Serres ; écoumène, Augustin Berque; écosophie, Arne Naess; écoféminisme, Val Plumwood.
L’écologie profonde (Arne Naess, George Sessions,David Rothenberg, Warwick Fox, Edward Goldsmith, etc.) se soutient du biocentrisme et de l’écocentrisme, alors que l’écologie superficielle est, en définitive, anthropocentrique (approche pragmatique combinant anthropocentrisme faible et acquis de l’écologie scientifique, Bryan G. Norton, CatherineLarrère).
Si pour l’ensemble des postures mentionnées il existe des variantes théoriques respectivement hiérarchiques et égalitaires, les variantes hiérarchiques accordant une prééminence morale à l’humain l’emportent en éthique appliquée.
Aux principales traditions morales de l’éthique environnementale que sont l’écoféminisme, l’écologie profonde et l’éthique de la terre Hess rajoute l’éthique de la conscience cosmique: une éthique de la sollicitude, de la vertu, fondée non seulement sur la vulnérabilité et le soin, mais également sur des valeurs comme le souci de l’autre, la bienveillance, la vigilance, la solidarité, l’humilité.
Éthique animale réformiste et abolitionniste
L’objet de l’éthique animale est le statut moral des animaux considérés dans leur individualité et la responsabilité morale des humains à leur égard. Se confrontent ici la théorie welfariste (réformiste) des droits des animaux (droit au bien-être, principe de non-cruauté, Joël Feinberg) et l’approche abolitionniste (droit à la vie, principe de non-dommage, Tom Regan). Si le welfarisme souhaite limiter la souffrance des animaux au cours de leur utilisation, l’abolitionnisme met en cause le principe même de cette utilisation.
Une controverse oppose également les tenants d’une éthique par la justice (déontologisme, Tom Regan, Gary Francione; conséquentialisme/utilitarisme, Peter Singer) et les tenants d’une éthique par la sollicitude (éthique de la vertu, Rosalind Hursthouse, Martha Nussbaum, Mark Rowlands; éthique du care, Brian Luke, Carol J. Adams, Marti Kheel).
Le pathocentrisme fut conceptualisé par Richard Ryder en tant que troisième voie entre le déontologisme et l’utilitarisme. C’est la posture du consensus qui est habituellement défendue en éthique animale, alors que les défenseurs résolument antispécistes de la cause animale peuvent s’appuyer sur des postures inégales dont le zoocentrisme et le biocentrisme.
Paradigme postanthropocentrique
La vraie question à la fois philosophique, scientifique et sociétale sous-jacente à ces discussions est celle du changement de paradigme repéré par d’aucuns: le dépassement du biais anthropocentrique des sociétés occidentales en faveur d’un paradigme postanthropocentrique.
Celui-ci est au centre du tournant animaliste, de la posture postcarniste, de la vague végane, de la transition végétale, etc., sinon même du tournant ontologique opéré en sciences sociales qui se propose, dans le cas de l’anthropologie ontologique notamment (Philippe Descola, Bruno Latour, Tom Ingold, Viveiros de Castro, Eduardo Kohn, etc.), de dépasser les dualismes cartésiens corps/esprit, nature/culture, humains/non-humains, etc., caractéristiques de l’ontologie occidentale (biais autant anthropocentrique qu’ethnocentrique). Pour plaider, en gros, pour le relai d’une conception représentationnelle hiérarchisée de visions du monde multiples par un pluralisme ontologique égalitaire d’un seul et même monde.
Le rapport entre l’homme, le ciel et la terre a changé au cours des années 1970 avec l’avènement du nouveau monde marqué par l’autonomie structurelle (Marcel Gauchet) et l’émergence de la mouvance post-contre-culturelle écologiste, pacifiste, tiers-mondiste, etc. Prendre acte de la fin de l’exception humaine (Jean-Marie Schaeffer) ne signifie pas nier toute spécificité humaine, notamment quant aux capacités spécifiquement humaines en matière de discernement éthique et de responsabilité morale.
Le paradigme sous discussion est celui d’un humanisme non anthropocentrique, prenant au sérieux en les nuançant les arguments éthiques biocentriques et écocentriques. Cela sans verser dans la posture de l’antispécisme fort, anthropophage ou antihumaniste, alors qu’il existe un antispécisme faible dont se réclament par exemple les tenants d’un humanisme de gauche militant pour la cause animale. Sommes-nous en présence de la construction d’une nouvelle métaphysique, autrement dit, à l’époque de l’humanisme postmétaphysique, d’un posthumanisme métaphysique, d’une figure antinomique de la nébuleuse trans/posthumaniste (Gilbert Hottois), de nouveaux métarécits de type écologie spirituelle ou sacrée (re)sacralisant la terre, la nature, le vivant, etc. sous forme d’hypothèse voire d’utopie (hypothèse Gaïa de James Lovelock, utopie XXI d’Aymeric Caron, etc.)?
Quelle position épistémologique adopter dans le débat humanité-animalité, continuité ou rupture, différence de degré ou de nature? Le rapport à l’animal n’est-il en train de changer qu’en fonction de son anthropomorphisation progressive, autrement dit par identification à l’humain (humanisme animal, Frans de Waal), au fur et à mesure de l’avancement des recherches en primatologie comparative et en neuro-sciences ? Homme-Dieu vs. homme-animal, homme transcendant vs. homme réduit à son animalité, à sa naturalité.
Le respect du vivant : une question politique
À notre avis, les déterminants et les conséquences dudit changement de paradigme seraient à mettre sur l’agenda politique de la période préélectorale luxembourgeoise, si déjà ils n’ont pas été considérés dans la mise au point des positions fondamentales des partis et même s’ils sont encore difficilement déclinables dans les programmes politiques lorsque l’objectif déclaré est de remporter les prochaines élections.
Il n’empêche que c’est justement au sein des partis qui chez nous se réclament d’une vision et de valeurs respectivement chrétiennes et écologiques que ces questions concernant directement la vie et le vivant méritent d’être développées: comment penser cet humanisme non anthropocentrique, qu’il soit chrétien et/ou écologique ou végan? Les partis politiques animalistes de création récente V-Partei3, REV et DierAnimal, pour ne citer que les exemples de nos pays limitrophes, font partie d’un mouvement mondial de politisation de la cause animale en expansion. Alors que c’est au cœur et non pas en marge voire par contestation de l’écologie politique établie, identifiée comme superficielle, faible, molle, que cette interrogation devrait être menée.
Ainsi, le REV (Rassemblement des écologistes pour le vivant) autour d’Aymeric Caron fait en raison de sa création même événement: l’appel pour un renouveau de l’écologie politique, une écologie nouvelle, essentielle, centrée sur la valorisation du vivant et une vision de la société en tant que communauté du vivant ou démocratie écologique. Le processus transformationnel sous-jacent s’appuie entre autres sur une transition agricole entendue comme transition végétale.
Anthropocentrisme chrétien
Si le pape François a fait de Saint-François d’Assise son guide spirituel et l’inspirateur de l’encyclique Laudato si’ (Jean-Paul II en avait fait le saint patron des écologistes!), il met néanmoins en garde contre le biocentrisme après avoir critiqué l’anthropocentrisme excessif des Modernes et l’interprétation à son sens erronée de l’anthropologie chrétienne. Alors que Saint-François d’Assise constitue la grande figure du biocentrisme chrétien tout comme Gandhi incarne l’éthique de la non-violence sous-tendue par le biocentrisme hindou. L’anthropocentrisme chrétien, son rôle dans la crise écologique, la maltraitance animale, etc., ne fut pas seulement critiqué de bonne heure par l’historien Lynn White (pour qui Saint-François d’Assise fut un hérétique!), mais également par les inspirateurs précoces de l’écologie chrétienne, issus entre autres du personnalisme communautaire et de la théologie de la libération (Bernard Charbonneau, Jacques Ellul, Ivan Illich, Leonardo Boff, Eugen Drewermann, etc.).
Le titre d’un ouvrage de Kurt Remele est programmatique: La dignité de l’animal est inaliénable. Une nouvelle éthique animale chrétienne. Celle-ci est située dans le cadre plus large de l’éthique animale inter- et transreligieuse/philosophique, déclinant différents modèles éthiques postanthropocentriques, rejetant autant l’anthropocentrisme fort, traditionnel, que l’anthropocentrisme faible, révisé.
Impératif végétarien-végan
Si pour Kurt Remele la maltraitance des animaux n’est pas acceptable, leur mise à mort inutile ne l’est pas davantage. En contexte occidental pour le moins l’homme aurait aujourd’hui le choix de s’alimenter comme un gorille (quasi végétarien) ou comme un lion (carnivore prédateur). Et Remele de ne convoquer rien de moins qu’un impératif moral végétarien-végan!
Si l’argument du carnivorisme (prédateur vs. opportuniste) originaire fait l’objet d’une controverse en paléoanthropologie, il est sans pertinence pour orienter le débat en matière d’éthique animale: le végétarisme/véganisme éthique (et/ou écologique) relève en effet de nos jours du pur choix personnel (vs. choix collectif dans un avenir plus ou moins lointain!?). L’argument régulièrement invoqué en faveur du postcarnisme est par ailleurs celui du progrès civilisationnel de l’humanité, de l’accès à un stade éthique supérieur transespèces (Matthieu Ricard, Frédéric Lenoir, David Richard Precht, etc.). À ne pas confondre avec l’arrogance d’une posture morale prétendument supérieure qu’il s’agirait d’imposer à autrui.
Anthropocentrisme laïque
Citons comme représentant de l’anthropocentrisme moral fort Luc Ferry plaidant pour un humanisme non métaphysique, un deuxième humanisme (suivant celui des Lumières) de la fraternité et du souci pour les générations à venir. Cet humanisme serait selon lui la seule vision du monde susceptible de promouvoir une utopie positive fondée sur la divinisation de l’humain (en même temps que sur l’humanisation du divin) au sens d’une transcendance (horizontale) dans l’immanence à l’humanité elle-même (humanisme transcendantal).
Le fait d’attribuer une dignité à l’animal constitue-t-il une effraction dans la métaphysique propre de l’homme (au sens d’Emmanuel Kant) ? Serait-ce en définitive la principale réserve des tenants de l’humanisme anthropocentrique? Que les humanistes soient rassurés: l’extension de la communauté morale (juridique?) aux animaux ne vise pas le rabaissement de l’humain, mais une valorisation du non humain, et partant un enrichissement également de l’humain. Au sens d’un humain relativisé tel que suggéré par l’éthique de la considération de Corine Pelluchon par exemple (voir plus loin). Et non pas pour renforcer la vision d’un humanisme fondamentalement anthropocentrique dont on soulignerait simplement les vertus.
La dignité de l’animal est aliénable
À propos du projet de loi luxembourgeois sur la protection des animaux: inclure la référence à la dignité de l’animal, présupposant son respect et la reconnaissance de sa valeur propre dans un texte de loi qui en même temps admet que ce même animal soit mis à mort à des fins autres qu’en rapport avec sa valeur propre ou par légitime défense, relève de la dissonance cognitive et de la pirouette morale.
Les travaux parlementaires vont même jusqu’à faire de la valeur intrinsèque du vivant non humain une valeur instrumentale, marchande. Il suffit par ailleurs d’appliquer les dispositions helvétiques relatives à la pesée des intérêts à la mise à mort à des fins de consommation (vs. expérimentation) pour se rendre compte de leur absurdité. Le cas de figure explicite de l’alimentation humaine en tant qu’intérêt prépondérant susceptible de justifier la contrainte, autrement dit l’abattement de l’animal, a disparu du projet de loi luxembourgeois en faveur des euphémismes et mystifications du genre.
Plutôt que d’instituer avant l’heure une dignité aliénable, insuffisamment assumée et articulée, le législateur ne serait-il pas mieux conseillé de s’abstenir jusqu’au jour hypothétique où l’inaliénabilité de ladite dignité lui apparaîtra évidente?
Pour une utopie humaniste non réductionniste
Francis Wolff identifie trois grandes utopies contemporaines: d’un côté, l’utopie posthumaniste, héritière de l’idéal libertaire de jouissance et visant le triomphe sur l’animalité et la mortalité de l’homme, d’un autre côté, l’utopie animaliste, héritière de l’idéal de libération collective du dernier siècle et rêvant d’une nouvelle communauté réunissant l’ensemble des animaux sensibles. Entre ces deux utopies qualifiées d’antihumanistes, et opposées à elles, Wolff situe l’utopie humaniste, cosmopolitique, qui serait la seule utopie positive, porteuse de sens (rejoignant en cela Ferry, voir plus haut).
Nous aimerions élargir cette vision pour y inclure, plutôt que de les y opposer dans un combat anti-antihumaniste sans objet là où on se trompe d’adversaire, autant ladite utopie animaliste que l’utopie verte (une utopie verte non calquée sur l’utopie néolibérale, le capitalisme utopique).
Humanisme écologique et écologie humaniste
Si d’aucuns considèrent Laudato si’ comme manifeste d’un humanisme écologique, métaphysique, d’autres, à l’instar de Corinne Pelluchon, théorisent une écologie humaniste, philosophique et politique fondée sur une éthique de la vertu, proche sans s’y réduire de l’éthique du care: l’écologie politique est un humanisme, la cause animale est la cause de l’humanité, pour un nouvel humanisme, une éthique de la responsabilité, de la vulnérabilité et de la considération incluant les hommes, les animaux et la nature.
L’idéal d’un humanisme compassionnel universalisant le respect de la vie est aux antipodes de la violence de l’humanisme métaphysique utilitaire (Patrice Rouget). Pour Jacques Derrida, investigateur de l’archéologie du sujet carnivore, la mise à mort des animaux serait instituée et innocentée par avance par le biais d’un dispositif sacrificiel sous-tendu par le sujet de l’humanisme métaphysique et ses héritages. L’éthique pathocentrée, pour le moins, centrée sur ce que les êtres sensibles ont en commun, ne devrait pas seulement être compatible avec la philosophie existentialiste, elle devrait être convoquée par elle (Françoise Burgat).
Aussi, l’antispécisme de Caron voudrait-il être compris comme nouvel humanisme, comme réconciliation ni anthropomorphiste ni antihumaniste entre l’humain, l’animal et la nature. Il faudrait pour y parvenir un véritable soulèvement des consciences.
Enfin, si Ferry dénonce le fondamentalisme antihumaniste de l’écologie profonde (à notre avis à tort, du moins en ce qui concerne la pensée d’Arne Naess, relire les sept principes du texte fondateur de 1973 et les huit principes formulés avec Georges Sessions en 1984), il reconnaît toutefois le projet d’une écologie humaniste et réformiste.
En attendant, comment faire passer un message de non-violence s’il est adressé de manière violente, un appel à la tolérance, s’il est sous-tendu par de l’intolérance? En revanche, comment tolérer l’intolérable, si on se soutient d’une éthique de la conviction (Max Weber)? L’éthique de la considération s’appuie quant à elle sur la transcendance et implique un mouvement d’approfondissement de soi-même en lien aux autres et au monde commun des vivants.
Fondamentalisme écologique ?
Contrairement à ce que d’aucuns leur reprochent il n’y a aucun fondamentalisme écologique chez les écologistes luxembourgeois. Pour preuve leur participation depuis 2013 à la coalition libérale-socialiste en vertu de leur réalisme politique selon les uns, de leur opportunisme politique selon les autres. Essayer de soutenir tant bien que mal dans le cadre d’une telle coalition une politique écologique tant soit peu cohérente ne relève vraiment pas de ce que l’on pourrait qualifier de fondamentalisme.
Dans le débat public sur la croissance, pas question de postcroissance ni de décroissance, aucun fondamentalisme en la matière, de quasiment nulle part d’ailleurs. Là où Ferry n’a malheureusement pas tort, il n’a pas tort: «la croissance est intenable tandis que la décroissance est invendable». Il n’en reste pas moins que le défi posé par la spirale de la croissance économique et démographique (pas plus que ses effets négatifs omnicités, dans une logique réductionniste, sur le logement et la mobilité) ne peut pas être relevé par le seul discours sur la croissance qualitative, sélective, intelligente, soutenable, verte.
Les statuts de 2015 des écologistes font explicitement mention, dans le cadre d’une déclaration de principe, de leur «vision humaniste du monde». Aucun fondamentalisme, là non plus.
En effet, si on entend par fondamentalisme écologique une vision du monde sous-tendue par une lecture radicale de l’écologie profonde, du biocentrisme égalitaire, de l’antispécisme fort, etc., aucun fondamentalisme chez les écologistes luxembourgeois. Par contre, on est en droit de se demander si, paradoxalement, leur prétendu fondamentalisme ne pèche pas plutôt par défaut que par excès.
Quid d’une politique écologique chrétienne-sociale ?
On aurait pu espérer que l’impulsion donnée par la parution en 2015 de l’encyclique Laudato si’, qui ne fut rien de moins qu’une actualisation de la doctrine sociale chrétienne, aurait pu être un incitant majeur pour les chrétiens-sociaux luxembourgeois pour développer et prioriser un agenda approfondi en matière de politique écologique plutôt que de se résigner en cette période préélectorale à une vision entrepreneuriale de l’aménagement du territoire par exemple (éloge récent en faveur de l’élargissement des PAG et de la construction d’une multitude de contournements). Alors que le programme fondamental de 2016 des chrétiens-sociaux s’appuie expressis verbis sur ladite doctrine sociale chrétienne pour affirmer que «le développement durable est le principe chrétien-social d’avenir par excellence.»
La seule référence au concept passe-partout de développement durable engage à la fois à tout et à rien. Continuons à espérer, tout n’est pas encore joué. Anthropocentrisme faible, élargi à la durabilité, mais anthropocentrisme quand même. En revanche, ledit programme n’est pas l’indice d’un anthropocentrisme fort, ou, si on veut, d’un fondamentalisme anthropocentrique de type religieux ou confessionnel.
Le pragmatisme de toujours
Les valeurs dites fondamentales aussi bien des chrétiens-sociaux que des écologistes méritent d’être interrogées au-delà des prétendus fondamentalismes des uns et des autres: qu’en est-il du respect de la vie, de toute vie, de la vie humaine et non humain? Y a-t-il un dénominateur commun pour constituer une communauté de valeurs et y appuyer une vision innovante, cohérente et partagée? Autrement l’agenda politique sera sans doute à nouveau dicté, le jour venu, dans l’hypothèse que ce jour viendra, par l’idéologie anthropocentrique de la croissance prométhéenne et du pragmatisme verdisé de toujours.
La transition écologique, énergétique et agricole (végétale!?) devrait constituer une thématique à la fois centrale et transversale sur laquelle il s’agira de ne plus faire l’impasse, ceci moins en raison de l’objectif d’une stratégie électorale à court terme que de la crédibilité à long terme de valeurs qui gagneraient à être (re)centrées sur le vivant. Le rapport prédateur à l’autre, à l’homme, à l’animal, à la nature et à la planète devrait appartenir au passé.
Pour aller plus loin (sélection)
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