« Pourquoi pas un Erasmus du troisième âge ? »
Lors du passage à la retraite, de nombreux travailleurs portugais doivent faire face à des entraves bureaucratiques. À ces entraves s’ajoute un traitement jugé injuste en termes de prestations sociales pour les retraités portugais vivant à l’étranger. Un état des lieux avec Carlos Pereira du Département des retraités et pensionnés et Eduardo Dias du Département des immigrés de l’OGBL.
En 2015 a eu lieu une semaine d’information entre la Caisse nationale d’assurance pension du Luxembourg (CNAP) et le Centre national de pension du Portugal (CNP – Centro Nacional de Pensões) pour les ressortissants portugais travaillant au Luxembourg et ayant presque atteint l’âge de la retraite. Quelles sont les difficultés qui se présentent aux travailleurs portugais au moment du passage à la retraite ?
Carlos Pereira : Elles sont diverses. L’une des difficultés réside sans doute dans le fait que le système de prestations sociales diverge d’un pays à l’autre. Au Luxembourg une personne ayant accompli 57 ans et ayant contribué 40 ans au régime d’assurance obligatoire a la possibilité d’opter pour une pension de vieillesse anticipée. La même chose s’applique à une personne ayant 60 ans accomplis et pouvant justifier d’un stage de 40 ans de périodes d’assurance obligatoire dont par exemple les périodes complémentaires non couvertes par des cotisations (périodes d’études, etc.). Au Portugal l’âge minimum pour demander une pension de vieillesse est fixé à 66 ans et demi.
Au Portugal, une personne ayant accompli 57 ans et ayant cotisé 40 ans n’a donc pas le droit à une pension de vieillesse anticipée ?
Eduardo Dias : Ni au Portugal, ni dans aucun pays de l’Europe ou du monde. Une personne qui a cotisé au Portugal et au Luxembourg peut néanmoins opter pour une pension de vieillesse anticipée au Luxembourg, tandis que le contingent des années effectuées sera versé séparément par les caisses de chaque État. La personne en question ne touchera la pension versée par le Portugal que lorsqu’elle aura atteint l’âge légal de départ à la retraite prévu par la loi portugaise. Ainsi, au niveau européen, il existe une totalisation des périodes d’assurance, mais il n’existe pas une harmonisation des systèmes de la sécurité sociale. Le problème qui se pose depuis une dizaine d’années et auquel nous essayons encore aujourd’hui de trouver une solution est celui de la communication entre la Caisse nationale de pension luxembourgeoise et le Centre national de pension portugais. Souvent le certificat attestant le nombre d’années de carrière prestées au Portugal n’arrivait à être transmis à la CNAP qu’au bout de deux ou trois ans. Entretemps, la personne en question ne pouvait pas procéder à sa demande de pension de vieillesse anticipée. Aujourd’hui, la situation s’est beaucoup améliorée, mais il continue à y avoir des retards significatifs. Ces retards sont aussi liés aux différences entre les deux systèmes de sécurité sociale, car souvent le traitement des demandes faites au Portugal ne passe pas uniquement par le Centre national de pension portugais, mais par d’autres institutions, ce qui rend le traitement des demandes encore plus long.
Comment essayez-vous de résoudre ce problème ?
C.P. : Depuis des années, nous nous déplaçons au Portugal pour tenter de le résoudre. Et c’est grâce à l’engagement de l’OGBL que l’idée est venue d’inviter les agents du Centre national de pension portugais pour qu’ils puissent participer à des journées internationales d’information au Luxembourg. Pendant une semaine, les experts des deux caisses de pension étaient présents pour fournir des informations et des conseils aux ressortissants portugais travaillant au Luxembourg. Ces journées internationales d’information ont déjà eu lieu cinq ou six fois. Dans le meilleur des cas, la personne concernée quittait la consultation avec les certificats portugais nécessaires pour pouvoir procéder à la demande de pension de vieillesse anticipée au Luxembourg. C’est le grand avantage de ces journées d’information et c’est pour cela que nous insistons sur le fait que ces journées devraient avoir lieu beaucoup plus souvent. L’année passée, 300 ressortissants portugais y ont participé. Au bout de dix minutes, il n’y avait plus de rendez-vous disponibles. Le problème est du côté portugais. L’État portugais ne semble pas avoir les moyens d’envoyer ces spécialistes plus souvent à l’étranger. D’ailleurs le Luxembourg n’est pas le seul pays concerné.
E.D. : Il y a aussi des problèmes de communication au niveau des décès. Souvent le Luxembourg continue à verser la pension même lorsque la personne est décédée.
C.P. : Le problème réside dans le fait qu’au Portugal ces informations ne sont pas centralisées. Il arrive que l’avis de décès soit communiqué au Luxembourg plusieurs mois plus tard, tandis que les proches continuent à toucher la pension du défunt. Souvent, ils ne savent même pas qu’ils ont droit à une pension de survie par exemple. Il existe aussi des retards au niveau du traitement des demandes de pension de survie. Il nous est arrivé d’attendre un à trois ans pour enfin avoir une réponse du Portugal.
Un autre problème qui se pose aux retraités portugais domiciliés au Portugal – mais ayant cotisé au Luxembourg – est celui de l’inégalité au niveau des prestations sociales. En quoi ces inégalités consistent-elles ?
C.P. : Depuis l’entrée en vigueur en 1999, l’assurance dépendance a été reformée deux fois. Une fois en 2005 et la dernière fois l’année passée. Avant l’entrée en vigueur de l’assurance dépendance, il existait une allocation de soins qui était versée aux membres de la famille qui prenaient soin des personnes âgées nécessitant des soins ou une assistance quelconque. À l’époque, nous voulions garantir que les personnes âgées puissent rester le plus longtemps possible à leur domicile. A ce moment-là – et en partie encore aujourd’hui – il y avait une grande pénurie de lits dans les maisons de retraite. C’est aussi en partie à cause de cette carence que l’assurance dépendance a vu le jour en 1998. De plus, la règlementation se basait à l’époque sur une loi de 1928 selon laquelle la responsabilité des soins et de l’assistance revenait aux enfants des personnes âgées concernées. La création d’une assurance dépendance avait ainsi également comme but de prévenir que les personnes âgées se retrouvent dans une situation de précarité.
Aujourd’hui, nous avons deux grandes prestations. D’une part les prestations en nature qui se traduisent par une aide apportée par un service professionnel ou un réseau, comme par exemple Help ou Hëllef Doheem. D’autre part, les prestations en espèces. L’assurance dépendance permet de convertir une partie de la prestation en nature en une somme d’argent qui permet au bénéficiaire de rétribuer un proche qui lui apporte des soins. Les prestations en espèces sont exportables, tandis que les prestations en nature ne le sont pas. C’est-à-dire, un Portugais qui après sa retraite s’installe au Portugal peut bénéficier d’une prestation en espèces, mais pas d’une prestation en nature.
Il s’agit donc d’un problème d’équivalence professionnelle ?
C.P. : Non, pas tout à fait. Les prestations en nature n’existent pas au Portugal. De toute façon, elles ne sont pas exportables. En tenant compte du nombre élevé d’anciens immigrants portugais domiciliés au Portugal, nous avons commencé au long des dernières années à développer un projet qui comporterait la construction d’un centre intégré pour personnes âgées au Portugal où le personnel disposerait d’une formation professionnelle équivalente à celle requise au Luxembourg. Les retraités auraient ainsi la possibilité de bénéficier des mêmes prestations indépendamment s’ils vivent au Portugal ou au Luxembourg. De plus, nous avons pensé à la possibilité de réaliser une sorte d’échange entre les deux pays. Pourquoi un retraité qui vit dans un centre intégré pour personnes âgées au Luxembourg n’a-t-il pas le droit de partir en vacances ? À ce moment-là les personnes concernées pourraient partir en vacances sans nécessiter l’accompagnement d’un grand nombre de personnel spécialisé, à part un ou deux professionnels pour l’accompagnement durant le voyage, tandis qu’au Portugal ils seraient accueillis et accompagnés par le personnel du centre intégré pour personnes âgées qui, lui, possèderait une qualification professionnelle équivalente à celle requise au Luxembourg. Cette proposition comporte deux exigences. D’une part, de donner la possibilité aux retraités domiciliés au Luxembourg de partir en vacances. D’autre part, de compenser le manque d’accès aux prestations en nature qui existe aujourd’hui pour les immigrants portugais qui retournent au Portugal et qui durant 30 ou 40 ans ont payé pour des prestations desquelles au bout du compte ils n’auront pas le droit de faire usage. Ces idées sont au centre de notre projet de base. Après, il serait aussi envisageable d’intégrer ces réflexions dans l’accord de sécurité sociale qui existe entre les deux pays afin de permettre un co-financement du projet.
C’est-à-dire que l’accès au centre intégré pour personnes âgées ne serait pas uniquement réservé aux retraités portugais qui ont cotisé au système national de sécurité sociale luxembourgeois ?
C.P. : Non, pas nécessairement ! Ce projet offrirait de nombreuses possibilités. Au niveau européen il n’existe aucune directive, aucune loi sur les soins à longue durée. Il y a un débat autour de cette question, mais il se trouve encore au début. Le même problème se pose d’ailleurs pour les frontaliers français qui ont cotisé au Luxembourg. Pour avoir accès aux prestations en nature, ils sont obligés de souscrire une assurance dépendance privée en France. C’est à cause de ces inégalités dans l’accès aux prestations que notre revendication est née, même si ça fait rire beaucoup de gens. Et cette revendication ne se limite pas seulement aux travailleurs portugais. Elle peut être appliquée à beaucoup d’autres communautés présentes au Luxembourg.
E.D.: Pour l’instant, il y a plus de 10 000 retraités domiciliés au Portugal qui reçoivent une pension du Luxembourg. De ces 10 000 retraités, tous ne sont pas en situation de dépendance. L’idée est de créer un centre qui pourrait fonctionner tant comme centre intégré que comme foyer de jour. Dès lors, il serait envisageable de développer un programme d’échange pour les personnes âgées. Une sorte d’Erasmus pour le troisième âge. Le concept d’Erasmus ne s’applique pas forcément qu’aux jeunes européens. Alors pourquoi pas un Erasmus du troisième âge ?
La création d’une maison de retraite au Portugal ne pourra pas résoudre tous les problèmes…
E.D.: La création d’une maison de retraite serait une expérience. Après, nous ne pourrons pas satisfaire tout le monde. La construction de ces maisons de retraite ne se ferait que dans des régions où la concentration d’anciens immigrants est grande. Il ne serait pas logique de construire une maison de retraite dans la ville de Faro.
C.P.: Cette idée peut paraître un peu utopique, mais elle ne l’est pas. C’est une expérience. À la fin, la solution réelle de ce problème se traduira par une homogénéisation des systèmes de sécurité sociale. Le Portugal devra mettre en œuvre une assurance dépendance similaire à celle du Luxembourg qui comporterait des prestations en espèces et en nature. À partir de ce moment, le Luxembourg serait prêt à payer les prestations en nature à l’étranger. Actuellement, seuls les retraités domiciliés en Allemagne ou en Autriche bénéficient du remboursement de ces prestations.
Les prochaines générations de Portugais voudront-elles encore retourner au Portugal à l’heure de la retraite ?
C.P.: Il est souvent question de la deuxième génération, mais les personnes oublient l’arrivée constante de nouveaux immigrants. Il y aura toujours un afflux de la première génération. Le problème de la langue est un problème de génération. La deuxième génération maîtrise normalement le luxembourgeois tandis que, pour la première génération, l’apprentissage du luxembourgeois est plus rare. Il s’agit ici surtout de travailleurs du secteur de la construction. Sur les chantiers, la langue usuelle est le portugais. Le problème de langue est un problème de génération et ceci s’applique aussi à la question du retour. La question du retour est, elle aussi, une question de génération.
E.D.: À ceci s’ajoute le phénomène du va-et-vient. Le fait d’avoir des enfants et des petits-enfants au Luxembourg amène les retraités à faire la navette entre les deux pays, mais l’idée du retour au Portugal reste très présente, même s’ils reviennent souvent au Luxembourg.
Merci pour cet entretien !
L’interview a été enregistrée le 17 avril (JdA).
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