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Pratiques et limites du consensus dans les relations internationales
Pratiques et limites du consensus
dans les relations internationales
Dans les relations internationales, la pratique
du consensus existe largement au
sein du système des Nations unies. C’est
le cas en particulier de l’Assemblée générale
des Nations unies qui se réunit chaque
année de fin septembre à décembre et qui
termine ses travaux par l’adoption d’un
grand nombre de résolutions. Quelque
90 % des résolutions sont adoptées par
consensus.
Cette tendance a commencé à se manifester
au cours des années 1980. Elle s’est
nettement renforcée avec la fin de la guerre
froide qui a mis un terme aux confrontations
idéologiques entre l’Est et l’Ouest
des décennies précédentes. Pour arriver à
un consensus, les auteurs d’un projet de
résolution mènent des consultations avec
toutes les parties intéressées, sont prêts à
accepter des amendements et à faire des
compromis.
Les décisions se prennent également le
plus souvent par consensus au sein des
agences spécialisées des Nations unies
comme l’Organisation mondiale de la
santé ou l’Organisation des Nations unies
pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).
Cela dit, les textes adoptés par toutes ces
organisations de l’ONU n’ont qu’un caractère
de recommandation ou, au mieux,
politique. Ils ne sont pas contraignants. La
situation est différente au sein du Conseil
de sécurité dont les décisions sont à appliquer
d’office par tous les États membres de
l’ONU. Toutes les décisions de ce Conseil
se prennent par un vote à la majorité d’au
moins neuf voix sur quinze. Elles ne sont
acquises qu’à condition qu’aucun des cinq
membres permanents n’ait fait usage de
son droit de veto.
Au sein des institutions financières internationales
comme la Banque mondiale
ou le Fonds monétaire international, la
pratique du consensus existe aussi mais
chaque État dispose d’un droit de vote
correspondant au poids de son économie.
Les États-Unis y ont 14% des voix ce
qui leur assure pratiquement un droit de
veto. Une nouvelle répartition des droits
de vote en faveur des pays émergents et
notamment de la Chine se heurte toujours
à l’opposition du Congrès des États-Unis.
Les grandes conférences des Nations unies
ne sont couronnées de succès que pour
autant que les décisions soient adoptées
sans opposition. Cette adoption se fait
soit à la suite d’un vote unanime soit par
consensus.
La participation de la société civile
Les chartes ou statuts des organisations internationales
prévoient, en règle générale,
que seuls les États disposent d’un droit de
vote. Un tel droit n’est pas octroyé à la société
civile organisée. La seule exception
est l’Organisation internationale du travail
dont les décisions sont normalement
prises par consensus auquel contribuent
tant les gouvernements que le groupe des
employeurs et celui des travailleurs.
Or, étant donné le rôle croissant que la
société civile organisée a joué dans les relations
internationales, les États lui ont
réservé une place de plus en plus grande
dans le processus de décision. Pour autant
que les résultats reflètent aussi le point de
vue de la société civile, on peut parler d’un
consensus plus large même s’il ne revêt pas
un caractère formel.
L’association de la société civile organisée
au processus de prise de décision
peut prendre plusieurs formes. La plus
avancée consiste à réserver aux organisations
non gouvernementales (ONG) un
statut d’observateur avec droit de parole.
Ainsi, au Conseil des droits de l’homme à
Genève, les dernières rangées de la salle de
ce Conseil sont occupées par les représentants
des ONG ayant pour objet les droits
de l’homme. Ils sont régulièrement invités
à prendre la parole après les représentants
des gouvernements sur tous les points à
l’ordre du jour. La réforme qui a été opé-
Jean Feyder
De plus en plus, les Nations unies
ont ouvert leurs portes à l’économie
privée et aux multinationales.
Jean Feyder a représenté le Luxembourg auprès de
l’ONU à New York et à Genève. Maintenant, il s’engage
notamment dans SOS Faim, l’ASTM et le CPJPO.
Klimaverhandlungen November 2015 47
rée au Comité de sécurité alimentaire de la
FAO à Rome en 2011 accorde également
un tel statut et un droit de parole aux organisations
de la société civile organisée et
notamment aux organisations paysannes.
Il est reconnu que, depuis lors, les travaux
ont gagné en fraîcheur et en substance.
Un rôle substantiel a été joué par les ONG
en matière de droits de l’homme lors des
travaux préparatoires qui ont conduit à
Rome en 1998 à l’adoption du statut de la
Cour pénale internationale.
L’agenda des objectifs de développement
durable adopté lors du sommet de
l’ONU fin septembre dernier à New York
a été préparé durant plusieurs années.
Ce processus a eu lieu avec la participation
de la société civile organisée aux niveaux
national, régional et international.
En particulier pour la préparation des
travaux sur la durabilité dans le cadre de
la conférence « RIO + 20 » en 2012, des
coalitions d’ONG, de femmes, d’enfants
et de jeunes, de syndicats, de paysans, de
communautés indigènes, de villes et de
communes, de scientifiques ainsi que des
entreprises ont pu se constituer et apporter
leurs contributions.
Cette participation des ONG aux travaux
de l’ONU peut également conduire
à des revers. Vers la fin d’une session de
préparation de la Conférence de Paris sur
les changements climatiques (COP21)
qui s’est tenue à Bonn au mois d’octobre
dernier, une initiative prise par le Japon a
conduit à exclure les ONG des négociations
où elles bénéficiaient jusque-là du
statut d’observateur. Selon des journalistes
qui ont suivi les travaux, le Japon aurait
agi au nom des pays industrialisés. Et
l’UE, où le Luxembourg exerce la Présidence,
n’aurait pas joué un rôle très actif
au cours de cette phase des négociations
et ne serait pas opposée à l’initiative du
Japon. C’est la question de la mise à disposition
d’une enveloppe de 100 milliards
de dollars par les pays industrialisés pour
compenser les dommages que subissent les
pays en développement du fait des changements
climatiques qui a fait l’objet de
négociations délicates dans cette phase finale.
Les ONG ont également des doutes
sur le degré d’ambition de la Conférence
en vue de réduire l’augmentation de la
température du globe à 2 °C.
La dérive des Nations unies
De plus en plus, les Nations unies ont
ouvert leurs portes à l’économie privée
et aux multinationales sous le sigle tantôt
également de la société civile, tantôt par
le biais des partenariats publics-privés. Le
pouvoir d’influence et de lobbying de ces
entreprises n’est pas négligeable. Déjà au
cours des années 1980, au début de l’ère
néolibérale, sous l’impulsion de Ronald
Reagan et de Margaret Thatcher, l’ONU
a été conduite à laisser tomber les activités
menées par une Commission sur les
sociétés transnationales appelée à établir
un code de conduite pour ces entreprises.
En 2000, Kofi Annan, secrétaire général
des Nations unies, a lancé le Pacte mondial
(Global Compact) visant à favoriser
la coopération entre l’ONU et le secteur
privé et notamment les sociétés transnationales.
Il s’agit d’un pacte par lequel des
entreprises s’engagent à aligner leurs opérations
et leurs stratégies sur dix principes
universellement acceptés touchant aux
droits de l’homme, aux normes du travail,
à l’environnement et la lutte contre la corruption.
Il regroupe plus de 8 000 entreprises
réparties sur 140 pays. L’idée a été
de promouvoir la « responsabilité sociale »
des entreprises.
Si certaines entreprises peuvent faire preuve
de bonne volonté en adhérant à ce Pacte, la
question se pose néanmoins de savoir comment
les Nations unies, censées promouvoir
l’intérêt général et les biens communs,
peuvent réserver une telle place à des entités
qui ont comme but essentiel de servir leurs
intérêts privés et de maximiser leurs profits.
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Une alternative pour les entreprises signataires
du Pacte mondial serait de rendre
compte des progrès réalisés. Mais rien
n’est prévu pour le suivi et le contrôle indépendant
de la mise en oeuvre du Global
Compact. Il permet à ces entreprises de
s’associer à l’image de marque de l’ONU
sans pour autant être obligées de respecter
les valeurs, les accords et les instruments
de l’ONU. Rien ne prouve que ces
entreprises aient réellement changé leurs
pratiques.
On peut avoir des doutes encore plus sérieux
sur cette opération si on sait que des
entreprises transnationales comme Shell,
Nestlé, Bayer, Total, Nike, Aventis, Unilever,
Rio Tinto et BP ont signé ce Pacte.
Elles ont violé les droits de l’homme par
le passé et continuent de les violer à présent.
En même temps, le pouvoir de l’État
et des organisations internationales est
affaibli. En 2004, une coalition d’ONG
a déclaré que « le caractère juridiquement
non contraignant du Global Compact
peut inciter son utilisation abusive pour
de simples raisons d’image1 ».
Un autre exemple de cette dérive est le
rôle qui peut être réservé à des personnes
comme Bill Gates, un des philanthropes
les plus riches du monde. La Fondation
qu’il dirige, assise sur des actifs de 38 milliards
de dollars en 2013, a investi des
sommes considérables dans le financement
de campagnes de vaccination contre la
malaria et le HIV/AIDS dans les pays en
développement. Entre 1999 et 2007, il a
donné 337 millions de dollars à l’OMS.
Bill Gates a été l’invité d’honneur de
l’assemblée annuelle de l’OMS en 2005,
puis en 2011. Le People’s Health Movement,
une ONG composée de professionnels
de la santé et de militants qui
oeuvrent pour l’instauration d’un régime
de santé publique gratuit et universel, y
ont vu « une tendance inquiétante de la
part de plusieurs organisations de l’ONU,
y compris l’OMS, à s’incliner devant les
multinationales au nom du Pacte mondial
et des partenariats publics-privés2 ».
Bill Gates finance également AGRA –
Alliance for a Green Revolution for Africa
– qui vise à aider des millions de petits paysans
à sortir de la pauvreté et de la faim,
mais qui sert en fait de cheval de Troie
pour l’introduction par des entreprises
comme Monsanto de semences hybrides
et transgéniques en Afrique. AGRA porte
de sérieux préjudices aux petits exploitants
agricoles. Actionnaire de Monsanto, Bill
Gates a reconnu que son action est au service
des intérêts privés des États-Unis.3
Finalement, il reste à dire que lors du
sommet de l’ONU en septembre dernier,
l’agenda des objectifs de développement
durable a été adopté. La promotion des
partenariats publics-privés est inscrite sous
l’objectif 17, leur assurant ainsi une nouvelle
consécration internationale. u
1 Nuri Albala et Co, 2005, Droits pour tous ou loi du
plus fort ?, ONU, CETIM, Genève, pp. 108-117.
2 Susan George, 2014, Les Usurpateurs, Seuil,
p. 145-146.
3 Jean Feyder, 2015, La Faim Tue, L’Harmattan,
pp. 180-181.
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