Pris par surprise

L'origine des pétitions publiques et leurs enjeux

L’origine des pétitions publiques et leurs enjeux

La démocratie participative, une idée très à la mode mais «floue», paraît aujourd’hui une sorte de panacée pour répondre à la légitimation décroissante des gouvernements. Ainsi, le gouvernement actuel a annoncé dans son programme qu’il souhaite promouvoir cette forme de démocratie. Or, l’évolution vers plus de participation ne se limite pas aux frontières du Grand-Duché: les référendums récemment organisés à travers l’Europe en témoignent. Ces expériences démocratiques nous montrent qu’il ne suffit pas d’encourager la participation. Celle-ci demande une culture de participation et de discussion de la part des citoyens et des représentants politiques. Ainsi, afin d’assurer une participation effective, il faut s’interroger sur les opportunités et les risques lors de la renégociation des relations entre la représentation et la participation.

Le système des pétitions publiques au Luxembourg est un exemple d’un dispositif participatif au Grand-Duché, qui d’ailleurs a été conçu lors de la dernière législature. La pétition publique 698 sur la langue luxembourgeoise a catapulté les pétitions publiques à la une, après, entre autres, les pétitions sur le tramway, les droits de l’animal et une pétition sur papier lancée par l’initiative «Fir de Choix».  Cet article, basé sur une comparaison avec le modèle écossais, suggère qu’à travers la conception et les moyens que se donnaient les représentants, une forte participation n’était en effet pas prévue ou du moins, pas attendue. La version finale du dispositif était plutôt le résultat du plus petit dénominateur commun entre les représentants politiques. En tout cas, «participation for the sake of participation», sans qu’il n’y ait l’encadrement adéquat, ne semble pas le bon chemin à suivre si on veut préserver ou renforcer la cohésion sociale.

Un «design» qui limite la participation

Le modèle luxembourgeois des pétitions publiques est inspiré de celui du Bundestag allemand. Il s’agit de pétitions électroniques qui sont accompagnées d’un forum de discussion en ligne et qui, après avoir franchi une certaine limite de signatures, donnent à un débat avec le(s) pétitionnaire(s) dans la commission des pétitions du parlement. Ce système précis n’existe que dans le parlement luxembourgeois, allemand et écossais, ce dernier étant à l’origine de ce type de pétition. Une comparaison entre le modèle luxembourgeois et le modèle écossais révèle l’aspect assez restrictif du premier.

L’ancien Ombudsman avait lancé l’idée des pétitions électroniques dans son rapport annuel de l’année 2008-9 afin d’améliorer la communication entre les représentants politiques et la société civile. Le but était de dynamiser la démocratie au Grand-Duché. Finalement, le parlement a conçu un instrument qui va plus loin. D’une part, il a décidé de créer le forum de discussion, même si initialement les différents groupes politiques se montraient sceptiques. Et d’autre part, il a généré l’opportunité de demander des comptes aux responsables politiques (ministres compétents inclus) dans le cadre d’un débat public. Toutefois, il a été précisé que le but n’était pas de révolutionner les processus politiques, mais plutôt de créer une nouvelle relation entre les acteurs1 sans bloquer les processus législatifs en cours.

Camille Gira, à l’époque président de la commission des pétitions, a clarifié qu’il voulait aller plus loin, en créant un modèle plus accessible en terme d’âge et de limite de signatures. Pas facile dans une commission et dans un contexte politique dominés par la majorité conservative. Il faut considérer, en effet, que le système a été conçu dans un cadre politique qui n’encourageait guère la participation. Même si les partis étaient d’accord sur la nécessité d’adapter le système de pétition, il sort des prises de position évoquées dans le procès-verbal que les opinions ont divergé sur les détails et selon la couleur politique. Pour le CSV, l’exemple allemand (qui requiert 50000 signatures pour l’organisation d’un débat public) semblait «laxiste», le LSAP s’est prononcé pour une limite, sans spécifier un seuil spécifique, pendant que le DP s’est opposé à l’option d’un débat public. Déi Gréng a proposé un seuil minimal de 500 signatures et le ADR de 300.

Tout sauf Westminster

En Écosse, le système des pétitions publiques a été élaboré lors de la construction du nouveau parlement en 1998, au moment de la décentralisation des pouvoirs au Royaume-Uni. Il s’agissait d’un parlement «jeune», ce qui a permis aux responsables de générer les bonnes conditions pour créer un parlement «moderne». L’assemblée a été conçue en opposition à Westminster, un parlement aux structures archaïques et représentant les «old politics». Celui-ci est marqué jusqu’aujourd’hui par la confrontation entre les deux grands partis et un système électoral excluant la voix d’une grande partie de la population. Les Écossais aspiraient par contre aux «new politics», un style politique consensuel et concentré sur la participation citoyenne. Les principes fondateurs du parlement se référaient ainsi au partage des pouvoirs, l’«accountability to the people of Scotland», l’accessibilité, l’ouverture, la réceptivité, la participation à tous les niveaux et la promotion des opportunités égales.

Les pétitions publiques devraient refléter ces principes. Ainsi, pour chaque pétition, le «Scottish Parliament Information Centre» (SPICe) écrit pour toutes les pétitions des notes pour mieux informer les membres de la commission des pétitions. Le contenu de chaque pétition doit être considéré et discuté, une signature suffit afin d’être invité à la commission parlementaire. Donc, contrairement au Luxembourg où le souci semble avoir été de ne pas trop ouvrir, les Écossais mettaient toutes les cartes sur la table. Le site internet du parlement écossais représente également ces valeurs: il est marqué par des couleurs fortes, le dynamisme (vidéos), et l’accessibilité en terme d’usage et de langue, invitant de cette manière à l’interactivité non seulement sur le site même, mais aussi sur les réseaux sociaux. Une présentation qui se distingue de celle du site de la Chambre des députés, qui est plus neutre et sur lequel il est plus difficile de naviguer.

Dans le cas de l’Écosse, il faut tenir compte du fait qu’il y avait un consensus général et une vision commune pour le projet de la région, ce qui n’a pas été le cas pour le Luxembourg. La comparaison entre les deux modèles met en évidence le rôle du contexte, des objectifs et de la volonté politique dans la conception d’un dispositif participatif. Ces observations sont d’ailleurs en accord avec les hypothèses de Pierre Lascoumes et Patrick Le Galès qui suggèrent que «chaque instrument a une histoire2». Selon cette hypothèse, chaque instrument est le produit de certaines valeurs basées sur les interprétations de la société et de la gouvernance politique.

Créer le bon cadre

Même si les responsables politiques avaient intégré les restrictions nécessaires pour limiter la charge de travail et la participation citoyenne directe (le souci était de ne pas créer un système de démocratie directe à l’instar des pratiques en Suisse), le nouveau système de pétition est aujourd’hui un instrument populaire. Bien évidemment, l’augmentation du nombre de pétitions n’est pas à assimiler avec la qualité des propos. Mais quels sont les critères pour cette qualité et qui en décide? En tout cas, il semble que les pétitions ne sont pas nécessairement utilisées comme «Kummerkasten». Il s’agit plutôt d’un séismographe de la population qui indique les malaises et permet de les mettre à l’ordre du jour. Ceci dit, une telle interprétation exige un encadrement adéquat afin d’organiser la suite d’une pétition, qu’elle franchisse le seuil pour l’organisation d’un débat public ou non. Dans ce sens, le parlement luxembourgeois risque de ne pas avoir mis à disposition les moyens suffisants afin d’assurer le bon encadrement (on revient donc à l’éternelle discussion sur les défis des petites administrations).

Les discussions qui ont suivi la pétition 698 présupposent qu’un débat mené de manière arbitraire risque d’approfondir les fossés au sein de la population. L’enjeu est simplement trop important, surtout en vue du rôle de la langue dans un potentiel référendum sur la nouvelle Constitution. On voit qu’il ne suffit pas d’encourager la participation: l’efficacité (au sens d’«effectiveness» non pas «efficiency») de la mise en œuvre de dispositifs participatifs dépend surtout du suivi réalisé par les représentants politiques. Ceci inclut non seulement les commentaires de la part des politiciens dans les médias traditionnels et sociaux, mais aussi la qualité du débat lors de la séance publique. Pour le moment, cette dernière prend davantage la forme d’une audience que la forme d’un échange qualifiable de «débat». Afin d’assurer la transparence du processus, une idée serait, comme en Écosse, de ne pas discuter le suivi de la pétition à huis clos, mais sous l’œil public. Ceci permettrait de mieux comprendre les arguments et par conséquent d’accepter (ou de contester) la décision des parlementaires.

Il s’agit d’élaborer une boîte à outils pour permettre un débat constructif sur les sujets lancés par les pétitions et ceci dans un contexte marqué par une crise de légitimation des gouvernements et par le rôle croissant des nouvelles technologies de communication. Cette boîte à outils concerne aussi les forums de discussion (mais discuter ces aspects dépasse pour le moment le cadre de cet article). Il sera en tout cas intéressant d’observer le déroulement du débat public sur la fameuse pétition 698. Le sujet de la langue luxembourgeoise paraît tellement sensible au sein de la population que se positionner devant le pétitionnaire et expliquer (ou imposer) les plans du gouvernement – tel que le ministre Bausch l’avait fait lors du premier débat public – ne serait pas une bonne idée.

Finalement, il ne faut pas oublier que nous sommes, comme l’a souligné le président actuel de la commission des pétitions3, dans un processus d’apprentissage en matière de participation citoyenne – dans un pays qui ne connaissait guère la culture participative. C’est pourquoi, le mandat et la mission du nouveau «Zentrum fir politisch Bildung» a une mission cruciale: accompagner, plus encore qu’encourager, la participation à travers l’éducation à la citoyenneté. Dans ce contexte, se permettre de passer une phase d’apprentissage et de commettre des erreurs ne signifie surtout pas sous-estimer les enjeux et conséquences inattendus des dispositifs participatifs. Ainsi, les instruments de participation doivent être réfléchis jusqu’au bout pour garantir leur efficacité.

Als partizipative Debattenzeitschrift und Diskussionsplattform, treten wir für den freien Zugang zu unseren Veröffentlichungen ein, sind jedoch als Verein ohne Gewinnzweck (ASBL) auf Unterstützung angewiesen.

Sie können uns auf direktem Wege eine kleine Spende über folgenden Code zukommen lassen, für größere Unterstützung, schauen Sie doch gerne in der passenden Rubrik vorbei. Wir freuen uns über Ihre Spende!

Spenden QR Code