Selon Le Petit Robert, une réforme constitue un changement profond apporté dans la forme d’une institution afin de l’améliorer, d’en obtenir de meilleurs résultats. Au Grand-Duché, en matière de réforme fiscale, les uns préconisent une réduction de la charge fiscale du revenu pour tout le monde (éventuellement du relèvement du taux marginal), d’autres insistent sur une imposition plus forte des capitaux, tout en allégeant l’imposition du travail. Une autre catégorie voit dans l’individualisation généralisée de l’impôt sur le revenu le summum du progrès.
Un véritable changement de paradigme a été présenté par le Conseil supérieur pour un développement durable (Nohaltegkeetsrot). Passons brièvement en revue quelques vis de réglage dans le domaine d’une réforme fiscale.
Le transfert de l’impôt sur le travail vers les taxes sur la consommation (l’imposition plus forte de la pollution)
La soi-disant « fiscalité environnementale » est constituée par les impôts, taxes et redevances dont l’assiette est composée par un polluant ou, plus généralement, par un produit ou un service qui détériore l’environnement et se traduit par un prélèvement sur des ressources naturelles.
En vigueur depuis le 1er janvier 2021, la taxe carbone augmente chaque année de 5 euros par tonne de dioxyde de carbone (CO2), jusqu’à atteindre 45 euros en 2026. Peuvent également être considérées comme de telles contributions concernant la pollution les droits d’accise sur les huiles minérales et la taxe sur les véhicules automoteurs appliqués depuis belle lurette.
Un véritable changement de paradigme a été présenté par le Conseil supérieur pour un développement durable (Nohaltegkeetsrot).
Le Conseil supérieur pour un développement durable,qui a constaté que le Luxembourg se situait à l’avant-dernière place dans ce domaine de la taxation, a diffusé le 20 juillet 2023, sur la base d’une étude faite dans le cadre du Pacte vert européen, une vingtaine de mesures prônant un rééquilibrage de la charge fiscale vers la pollution et l’utilisation de ressources.
Il y est principalement proposé une taxe basée sur le kilométrage de véhicules automoteurs, l’aviation et la consommation via une augmentation de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), c’est-à-dire le taux standard de 17 % (16 %) à 22 %, et le taux réduit de 7 % (6 %) à 12 %. En contrepartie, les ménages profiteraient d’une redistribution de 1,2 milliard d’euros sous forme d’une réduction de l’imposition des salaires et des transferts nets pour les ménages se situant dans les deux premiers quintiles des revenus les plus faibles. Les entreprises pourraient bénéficier d’encouragements sous forme de crédits d’impôts pour entamer les conversions nécessaires à hauteur de 800 millions d’euros.
Le Conseil supérieur pour un développement durable, suite à la modélisation, montre les principaux impacts cumulés sur la période 2021-2025 :
- un produit intérieur brut (PIB) de 2025 de 0,5 % supérieur à celui de 2021 ;
- une augmentation du niveau d’emploi de 1,4 % ;
- une diminution des émissions de CO2 de 11,6 % ;
- un investissement de 183 millions d’euros dans des infrastructures ;
- une épargne de 0,5 milliard d’euros sur la facture d’importation d’énergie.
Si, en principe, on peut saluer la réorientation de la fiscalité vers une taxation plus forte de l’utilisation des ressources et de la pollution au profit d’une réduction de la charge fiscale des ménages, un certain nombre d’observations s’imposent.
1. L’étude concerne les années 2021 à 2025, alors qu’elle n’est présentée que le 20 juillet 2023 (il est indiqué que l’impact serait négligeable par rapport aux années suivantes).
2. Il est déjà précisé que les changements de cette envergure ne pourront être mis en œuvre qu’au sein de l’Union européenne, comme l’exemple de la taxation du kérosène.
3. Une taxe basée sur le kilométrage de véhicules automoteurs vise entre autres celles et ceux qui ont besoin de leur voiture quotidiennement, faute de moyens de transport public adéquats.
4. Une majoration considérable des taux de TVA frappe indistinctement la consommation de toutes les couches sociales, indépendamment des revenus ou de la fortune du consommateur.
5. Malgré l’attribution d’un crédit d’impôt aux personnes ayant les revenus les plus faibles, la réduction substantielle de l’impôt sur le revenu profite surtout aux contribuables aisés, qui sont de nouveau encouragés à dépenser plus, quel que soit le taux de la TVA, ce qui va à l’encontre de l’objectif du ménagement des ressources.
6. Pourquoi l’introduction d’écotaxes ciblées n’est-elle pas envisagée ? Pourront y être soumis les récipients, les emballages (plastique, carton), les papiers, les piles, les déchets, et, en général, les objets conçus pour une utilisation unique. Le producteur serait incité à adapter son offre, en choisissant des produits non écotaxés, et le consommateur influencerait l’offre des producteurs.
L’imposition des revenus provenant de capitaux et de la fortune
La justice sociale est en fait un puzzle dont l’équité fiscale constitue un élément important. Il en découle que l’une des manières de lutter contre la répartition inégale serait d’arrêter la faible imposition, voire la non-imposition actuelles des revenus provenant des capitaux et du patrimoine.
La justice sociale est en fait un puzzle dont l’équité fiscale constitue un élément important.
La justice fiscale horizontale vise à imposer de manière égale les personnes placées dans une situation similaire. Or, actuellement, les revenus du travail sont imposés communément d’après le barème général du revenu, alors que les revenus provenant des capitaux soit ne sont pas imposés du tout, soit subissent une imposition réduite ou forfaitaire. Toutefois, il est vrai que dans le domaine de l’imposition du travail et des pensions, certaines mesures réduisent la progressivité de l’impôt sur le revenu de façon indue, comme les pensions des deuxième ou troisième piliers et la prime participative, et se heurtent ainsi également au principe de la justice fiscale horizontale.
Une imposition plus forte des revenus résultant de capitaux et un impôt sur la fortune pourront entraîner une réduction de l’impôt prélevé sur les revenus issus du travail.
Le cas des revenus provenant de capitaux mobiliers
Relevons d’abord la retenue à la source libératoire sur les intérêts, qui a été majorée de 10 % à 20 % à partir de 2017. Une telle augmentation forfaitaire pénalise les petits épargnants disposant d’un faible revenu.
En revanche, les plus-values résultant de placements dans des fonds d’investissement ou de ventes d’actions, après l’écoulement d’un délai de six mois, sont généralement exonérées et les dividendes ne sont imposés qu’à raison de 50 %. Une autre problématique est celle du flagrant déséquilibre entre la charge fiscale d’une personne physique et celle d’une société, qui provient, d’une part, de la forte progressivité du barème des personnes physiques et, d’autre part, de la concurrence fiscale en matière d’imposition des sociétés.
Il est un fait que beaucoup de personnes physiques exercent leur activité professionnelle indépendante par le truchement d’une société ou structurent leurs investissements dans des sociétés. Cette pratique n’est pas critiquable en soi, mais il s’agit de rétablir l’équité fiscale, quel que soit le choix de structuration de l’activité ou de l’investissement. Dès lors, les actionnaires résidents devraient être imposés sur leurs revenus effectifs. Cette façon de procéder n’affecterait pas la place financière internationale du Grand-Duché en termes d’attractivité.
Le cas des revenus provenant de biens immobiliers
Dans la catégorie du revenu provenant de la location d’immeubles, l’amortissement accéléré, qui a été entretemps freiné, devrait être aboli et remplacé par l’amortissement général de 2 %. Il en est de même de l’amortissement accéléré pour une rénovation énergétique, qui devrait être intégralement remplacé par une subvention directe et rétablirait par conséquent le principe de l’équité fiscale.
Sur le plan pratique, il serait nécessaire de calculer l’amortissement sur le prix d’acquisition réel de la seule construction. En matière d’imposition des plus-values immobilières, il conviendrait de les imposer intégralement (sans taux réduit), quitte à doubler les abattements existants (y compris celui mis en compte lors de la succession en ligne directe de la résidence principale).
En ce qui concerne les sociétés immobilières, il est vrai qu’une première étape a été franchie avec l’imposition des fonds immobiliers luxembourgeois. Une autre devrait être celle d’imposer au Luxembourg, en conformité avec les règles du droit international, les gains en capital provenant directement ou indirectement de l’aliénation de parts, d’actions, de droits ou de participations dans des sociétés, fiducies ou entités luxembourgeoises, voire étrangères, tirant leur valeur principalement de biens immobiliers situés au Luxembourg.
La réintroduction d’un impôt sur la fortune mobilière à charge des personnes physiques
Etant donné que l’indice de Gini (qui mesure le degré d’inégalité) des fortunes est supérieur à celui des revenus, il en résulte que les inégalités patrimoniales sont bien supérieures aux inégalités de revenus et risquent de s’accélérer à terme.
La justification d’un système fiscal universel est l’appréhension de la richesse particulière dans toutes ses manifestations – qu’elle y rentre sous la forme de revenus, qu’elle en sorte sous forme de dépense ou qu’elle soit consolidée au sein du patrimoine du contribuable. La capacité contributive est en fait une combinaison des trois assiettes de l’impôt.

L’appel à un impôt sur le capital soulage d’autant des charges à imposer au revenu et est préconisé entre autres par le Fonds monétaire international et le président des Etats-Unis, Joe Biden. Pour des raisons historiques (tradition luxembourgeoise bien implantée), politiques et sociétales, il serait inopportun de prôner l’institution des droits de succession en ligne directe.
Cependant, la réintroduction de l’impôt sur la fortune à charge des personnes physiques, aboli à partir de 2006, s’impose. Feraient partie de l’assiette la fortune mobilière stricto sensu (comptes bancaires, obligations, actions, etc.) et la fortune d’exploitation mobilière des entreprises. L’assiette imposable serait à réduire des dettes en relation avec les biens imposés. Avant le calcul de l’impôt sur la fortune à payer à un taux faible de 0,5 %, de faibles abattements seraient mis en compte en fonction de la situation familiale du contribuable du fait que cet impôt devrait être applicable à madame ou monsieur Tout-le-Monde (concomitamment avec la diminution de l’impôt sur le revenu).
Un obstacle fondamental à l’établissement d’un impôt correct en général, et plus spécifiquement à l’égard d’un éventuel impôt sur la fortune, représente celui du non-accès des administrations fiscales luxembourgeoises aux informations détenues par les banques au Grand-Duché. D’abord, il y a lieu de souligner que le secret bancaire en soi n’est en fait pas critiquable, parce qu’il fait partie intégrante de la sphère privée de toute personne. Par contre, après que le législateur luxembourgeois a donné son feu vert à la transmission automatique des informations aux administrations fiscales étrangères, un tel accès pour les administrations fiscales luxembourgeoises sera également indispensable en vue d’une lutte efficace contre la fraude fiscale, avant que la pression internationale ne devienne trop forte. Rappelons dans ce contexte que les agents du fisc sont liés par un secret très strict ayant trait au respect de la confidentialité des renseignements obtenus dans le cadre de leur activité professionnelle.
Un nouvel impôt foncier national
De prime abord, il convient de préciser que cet impôt national ne se substitue ni à l’impôt foncier communal, ni aux nouveaux impôts projetés à la mobilisation de terrains et sur la non-
occupation de logements. Or, le nouvel impôt foncier national serait un impôt réel sur la fortune immobilière, qui consisterait à frapper une chose en tant que telle, à savoir les immeubles bâtis et non bâtis. Contrairement à un impôt personnel, comme l’impôt sur la fortune mobilière, qui insiste sur la situation personnelle du contribuable, l’impôt réel est établi à raison du seul fait de l’existence chez cette personne physique ou morale d’une matière imposable.
Etant donné que les conventions fiscales internationales ne permettent pas en toutes circonstances d’imposer les immeubles possédés par des entités étrangères dans le cadre d’un impôt sur la fortune personnelle, et, d’autre part, il n’est pas toujours évident de détecter les propriétaires finaux des immeubles arrêtés dans les bilans d’entités, un impôt foncier national, comme impôt réel, constituerait un outil nécessaire pour pouvoir englober dans le champ d’application tous les immeubles situés au Grand-Duché.
Des sanctions adéquates seraient à appliquer en cas de déclaration insuffisante intentionnelle.
Quant à la base imposable, celle-ci serait constituée par la valeur réelle de l’immeuble, évaluée selon les règles de l’art par le propriétaire au prix qui serait obtenu lors de la vente de cet immeuble, comme cela se pratique en France. Des sanctions adéquates seraient à appliquer en cas de déclaration insuffisante intentionnelle.
Avant le calcul de l’impôt à raison d’un taux faible de 0,5 %, les dettes y relatives seraient à déduire et des abattements seraient à prendre en considération pour l’habitation personnelle et des immeubles indispensables à l’exercice de l’activité professionnelle du contribuable.
L’individualisation de l’imposition des époux
Deux méthodes existent pour soumettre un couple (marié, pacsé, en union libre) à l’impôt sur le revenu : considérer le couple en tant qu’entité juridique autonome distincte des individus qui le composent ou bien imposer chacun de ses membres séparément.
Aux termes du programme de la coalition gouvernementale actuelle, une généralisation progressive couplée à l’introduction d’un barème unique nouveau garantit à terme un modèle fiscal neutre quant au mode de vie des personnes. Or, aucun projet de loi, voire avant-projet, n’est disponible, ce qui montre qu’il y a des difficultés presque insurmontables pour trouver des solutions équitables.
Au Luxembourg, où le régime est calqué sur celui en vigueur en Allemagne, l’introduction de l’imposition individuelle pure, sans aménagements, apporterait à la limite uniquement des avantages pécuniaires aux époux très aisés, ayant chacun des revenus dépassant 200 000 euros, ou si les deux personnes ont des revenus plus ou moins équivalents. Pour les autres, le désavantage augmente avec la différence plus grande entre les revenus des deux époux.
On peut se poser également la question de savoir pourquoi on veut avancer dans le domaine des impôts directs, alors que le mariage et le partenariat sont reconnus dans les droits de succession, dans le Code civil (conditions du mariage, régimes matrimoniaux), en matière de sécurité sociale (maladie, pension, dépendance) et dans les lois sociales (REVIS).
L’introduction de l’imposition individuelle obligatoire entraînerait surtout des problèmes, en termes de compensations financières, pour des couples disposant de revenus faibles ou moyens, par l’augmentation rapide des taux d’impôt par l’effet du taux très progressif. De plus, un changement brusque de la situation professionnelle – par l’acceptation non voulue d’un poste moins bien rémunéré, la mise au chômage, la diminution ou même la suppression de l’indemnité de chômage, l’invalidité permanente due à un accident ou une maladie – aggraverait la situation financière précaire du couple, en l’absence du rôle de pondération joué par l’imposition collective.
S’y ajoutent des circonstances socialement moins dramatiques avec les différences de revenu des deux conjoints, le congé parental, le travail à temps partiel, les pensionnés avec une seule pension, à l’exception du forfait d’éducation, ou simplement une prévision de vie faite par un couple. En outre, mentionnons les salaires du personnel de ménage et autres qui disposent d’une imposition forfaitaire définitive plus favorable que l’imposition collective (l’autre conjoint garde la classe d’impôt 2 sans imposition collective). Par ailleurs, l’objectif destiné à encourager le travail féminin ne joue plus un rôle prépondérant de nos jours.
Tous ces arguments plaident pour le libre choix des contribuables mariés ou en partenariat d’opter pour l’imposition collective ou bien pour l’imposition individuelle pure ou encore pour l’imposition individuelle avec réallocation des revenus. Des améliorations seront nécessaires en matière d’exécution, par exemple en mettant en place une généralisation des avances d’impôt négatives (pour les personnes mariées et les pacsés) et en évitant ainsi l’inscription de pourcentages sur les fiches de retenue d’impôt.
Conclusion
Les impôts ne représentent pas une fin en soi. Ils ne servent qu’au financement des dépenses publiques, ni plus ni moins. Une quelconque réduction d’impôts ne peut être contrefinancée que par l’augmentation de recettes ou la diminution des dépenses publiques ou bien encore la majoration de la dette. Le débat sur l’augmentation de la dette publique est toujours hypocrite. Ne prenons que l’exemple du rapport au PIB. Le PIB du Grand-Duché est trop élevé pour la contribution du Luxembourg à la défense, alors que le revenu national brut (RNB) ne se substitue pas au PIB en matière d’analyse de la dette (aussi longtemps que le crédit AAA est garanti par les agences de notation).
Sans vouloir remettre en question de façon fondamentale le système fiscal luxembourgeois en procédant à un bouleversement des impôts existants, le prochain gouvernement devra néanmoins examiner de fond en comble la structure fiscale existante, tout en lançant une discussion avec l’implication de toute la société civile et ses différents représentants.
C’est sans doute dans le domaine de l’imposition de l’entreprise que la concurrence est visible et où les marges de manœuvre des Etats sont les plus étroites. Le but serait donc de trouver dans une économie ouverte la juste balance entre les égoïsmes particuliers et l’intérêt général, tout en prenant en considération les facultés contributives de chaque contribuable, et, surtout, de ne pas perdre de vue in fine le principe de la justice en général et de l’équité fiscale en particulier.
De plus, dans une démocratie, le consentement à l’impôt est élémentaire. L’impôt légitime exige qu’il doive être utilisé efficacement. Il est indispensable de donner au contribuable un maximum d’informations quant à tous les détails des impôts existants afin d’améliorer l’acceptabilité du système fiscal.
Lesen Sie dazu auch die Dossiers 360 Steuerreform (2016) und 328 Steuerlandschaft Luxemburg (2013) im forum-Heft oder online auf www.forum.lu.
Guy Heintz est directeur honoraire de l’Administration des contributions directes.
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