Quelle sera la politique culturelle du président Macron?

La culture a été largement absente dans les meetings et dans les débats à la télévision d’une présidentielle écrasée par les affaires, dans un pays qui semble cependant en pleine dépression identitaire. Si les questions culturelles ont été ainsi balayées des débats, elles ont été pourtant présentes dans les programmes, selon le vieil échiquier politique: la droite et l’extrême droite marquent un véritable tropisme pour tout ce qui est patrimonial, alors que Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon insistent sur le soutien à la création et aux artistes. Pour Emmanuel Macron, c’est le «et en même temps1» de la sauvegarde et de la mise en valeur du patrimoine et de l’ouverture à la création et à l’innovation. Trois constantes cependant chez tous les candidats: garder au moins le même budget pour la culture2, maintenir le régime des intermittents du spectacle et réformer le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).

C’est devant cette indigence du débat culturel que 180 créateurs, dans une tribune dans le Huffington Post (21 février), se sont inquiétés de ne pas voir se dessiner des ambitions claires liées à la politique culturelle et ont demandé aux candidats de prendre position, notamment, par rapport à des enjeux tels que: les inégalités culturelles criantes envers les femmes et les minorités, une démocratisation culturelle largement inachevée, une politique culturelle plus tournée vers les industries culturelles que vers la création, dans sa diversité, son originalité, sa richesse et sa capacité à créer un lien social et culturel, le rôle bénéfique que peut avoir la culture dans la lutte contre le populisme et l’obscurantisme, l’insuffisante – et trop tardive – «maîtrise» de la numérisation des produits et services culturels, notamment dans la rémunération des artistes et interprètes (droits d’auteur et droits voisins).

Comme les programmes des candidats ont été nettement plus consistants que les débats publics sur la culture pendant la campagne présidentielle, revenons brièvement, avant d’exposer le programme d’En Marche!, sur les programmes intéressants de deux des candidats éliminés au 1er tour.

Benoît Hamon souhaite articuler temps libre, pratique artistique et démocratisation de l’accès aux œuvres et aux savoirs et veut pour cela créer un «Ministère de la Culture, des Médias et du Temps libre». Souhaitant mettre en œuvre – et il a été le seul candidat à le demander – les «droits culturels», tels que définis dans la loi NOTRe3, il préconise «une culture partout, par tous, pour tous» et voudrait voir réalisées, partout en France, des «fabriques de la culture», sur le modèle des Maisons de la jeunesse et de la culture (MJC). Enfin, le candidat malheureux du Parti socialiste voulait aller au-delà du régime des intermittents et mettre en place «un statut de l’artiste».

Jean-Luc Mélenchon, dans son livre programme Un avenir en commun, n’avait réservé qu’un rôle anecdotique à la culture, en comparaison des réformes insti-
tutionnelles ou de l’économie qu’il préconise. Mais le candidat de la France Insoumise s’est rattrapé par un livret: Les Arts Insoumis, la Culture en Commun4 qui présente 10 propositions assez complètes, allant de la démocratisation de la culture et de la révolution citoyenne de la culture jusqu’à la défense de l’exception culturelle dans la sphère numérique et au droit à l’éducation artistique et culturelle, en passant par la demande de faire reculer l’emprise des multinationales de la culture et de bannir «la pollution publicitaire». Pour Mélenchon, tout comme pour les signataires de l’Appel Culture du 18 mars5, «la culture est la condition même d’une vie politique, c.-à-d. d’une vie des idées» et il convient de «réaffirmer l’importance fondamentale des outils qui servent la sensibilité, l’intelligence, l’esprit critique et qui résistent au profit». Le maître-mot: l’émancipation par la culture, grâce à une culture de la compréhension plutôt que de la consommation et de la possession, de l’expression plutôt que de l’accumulation, afin de pouvoir «résister à l’ignorance, à l’ordre moral, à l’état d’urgence et au consumérisme». Signalons aussi, par les propositions plus concrètes, la mise en place d’un Centre national du jeu vidéo, sur le modèle du CNC (Centre national du cinéma).

Emmanuel Macron, au mois de février, à Lyon, a lancé – par inadvertance ou par provocation – une mini-polémique culturelle, en semblant nier l’existence d’une «culture française»6. Ce qui lui a permis de préciser que, pour lui, «la culture française n’a pas peur de l’étranger; elle a fait de Chagall et de Picasso des peintres français. Ce qui fait de nous un peuple, c’est de toujours prétendre à l’universel».

Dans son ascension politique fulgurante et irrésistible, le futur président a su se distinguer du reste de la classe politique en mettant en avant son travail aux côtés du philosophe Paul Ricœur7 et en parsemant ses discours de références littéraires8. Pour lui, «la culture est le premier chantier de (son) programme, puisqu’elle permet l’émancipation de l’individu. Le rêve français d’autonomie face au politique, au social ou au religieux – la conscience critique – s’est construit, estime-t-il, grâce à la culture. D’où l’affirmation très ferme, lors de son discours d’investiture comme président de la République: «je ferai de la culture et de l’école le premier des chantiers. Parce que la culture et l’éducation partagent un même dessein: donner à chacun la possibilité de s’accomplir».
Pour «refonder la culture», il fait huit propositions:

– affirmer la politique culturelle – «portée par le Président de la République» – comme une priorité du mandat;

– placer la culture au cœur de l’Europe et soutenir la francophonie. Les ambitions culturelles européennes du Président vont de la convocation d’un Sommet des chefs d’État et de gouvernement «pour réaffirmer le rôle central de la culture pour une Europe durable, proche de ses citoyens, et décider des grandes orientations pour donner corps à l’Europe de la Culture» au lancement d’un Erasmus des artistes et des professionnels de la culture, en passant par l’émergence d’un Netflix européen, où les géants du Net seraient taxés pour financer la création;

– faire d’un accès partagé à la culture la priorité du quinquennat avec, notamment, cette mesure, «empruntée» à Matteo Renzi et qui se veut emblématique, du Pass Culture pour les jeunes. Grâce à une application numérique sur smartphone, chaque jeune de 18 ans pourra acquérir des biens et services culturels à hauteur de 500 EUR: des tickets de cinéma, des billets d’entrée pour des expositions, pour le théâtre, les concerts et l’opéra, des livres…Une autre mesure proposée: développer l’accessibilité des bibliothèques et médiathèques dans la soirée et pendant le week-end;

– promouvoir un patrimoine vivant, en diversifiant, notamment, les ressources financières, par le mécénat, par des partenariats public-privé et par des tirages spéciaux de Loto;

– soutenir les artistes et la création;

– défendre un meilleur partage de la valeur, au profit des créateurs;

– protéger l’indépendance éditoriale des médias d’information;

– conforter les médias publics et développer le secteur audio-visuel.

Si l’on trouve beaucoup de belles paroles et de propositions intéressantes dans ce programme, il faut encore réussir à en faire une vraie politique. Nombre de ces propositions ne sont d’ailleurs pas nouvelles: on les trouvait déjà dans les programmes des présidents Sarkozy ou Hollande. D’autres doivent être négociées avec les partenaires européens. Ce qui ne sera pas facile, comme le montrent les récentes discussions, infructueuses9, au niveau du Conseil européen des ministres de la Culture.

Dans une de ces interviews, Emmanuel Macron disait que «la culture n’est pas un domaine de l’action publique: elle est un élan, une envie, une ambition». Certes, la politique culturelle n’est pas un secteur de l’action publique comme un autre: elle exprime un projet de société. Mais pour réaliser une vraie politique culturelle, il faut un ministre qui en assume pleinement la responsabilité et non pas seulement un délégué chargé de la mise en œuvre (cfr. 1re proposition).

À côté de cette «présidentialisation» du champ culturel, on peut être étonné de voir que ce champ semble se situer en-dehors des tensions et des combats qu’on peut constater dans les champs économique ou social. Même si, pour le moment, la question des intermittents est pacifiée, cette sanctuarisation de la culture peut paraître illusoire et dangereuse.

Ce qui peut surprendre aussi, c’est que la politique culturelle telle que la conçoit le programme culturel d’Emmanuel Macron, reste très sectorielle et ne prévoit guère d’interactions – exception faite de l’Éducation nationale – avec d’autres champs politiques, tels que le tourisme, la santé, les relations extérieures10, la coopération au développement. Tout comme il n’est fait mention, nulle part, des droits culturels qui deviennent pourtant désormais, un peu partout en Europe, une référence centrale de toute politique culturelle.

Dans la vue du nouveau président, la politique culturelle reste «top down», avec un État concepteur et animateur d’une politique nationale à laquelle les collectivités locales ne peuvent participer que dans des logiques de contractualisation. On ne parle même pas d’une plus grande implication de la société civile, alors que, depuis une vingtaine d’années au moins, l’État n’a plus guère donné d’impulsions significatives à la politique culturelle, se contentant, la plupart du temps, de distribuer des subventions et de faire les nominations aux grandes institutions culturelles.

Pour maintenir l’effort public en faveur de la culture pendant le quinquennat, le nouveau président voudrait «conforter le développement du mécénat» et avoir une exigence accrue d’efficacité, grâce à des évaluations. Rien à redire à cela; encore faudrait-il savoir qui fera ces évaluations, avec quel budget et sur la base de quels critères11. Autres questions qui se posent ici: le mécénat est en train de changer12 et les partenariats public-privé n’ont pas donné jusqu’ici beaucoup de satisfactions, tout comme l’appel périodiquement demandé au Loto. Une telle diversification des ressources financières, si elle est sans doute souhaitable, ne saurait devenir une excuse pour une diminution, ou une non-augmentation, des fonds mis à disposition par l’État.

On reparle beaucoup de l’éducation artistique et de la nécessité de la généraliser partout dans les écoles. Mais on ne semble pas encore prêt pour transformer une telle éducation artistique en une formation culturelle (Kulturelle Bildung), plus participative et citoyenne, comme c’est le cas en Allemagne.

Quant au fameux Pass Culture, il semble être tourné exclusivement vers la consommation culturelle et ne pas prévoir l’accès à des formations artistiques et culturelles p.ex. ou à des stages ou des séminaires préparant les jeunes à une participation critique à la culture.

Même si le nouveau président veut demander aux grands acteurs internationaux du numérique de s’astreindre aux règles des commons et de cofinancer la politique d’accès à la culture, par «une contribution volontaire obligatoire» (!), on ne voit pas encore comment il entend gérer la transition numérique dans le domaine culturel.

Toujours au niveau européen, à partir de cette citation manifestement apocryphe de Jean Monnet, qu’il faudrait définitivement interdire («si c’était à refaire, je commencerais par la culture»), Emmanuel Macron souhaite convoquer un Sommet des chefs d’État et de gouvernement européens, «pour réaffirmer le rôle central de la culture pour une Europe durable» et pour «donner corps à l’Europe de la Culture». C’est une belle idée, tout comme faire jouer l’Hymne à la joie sur la place du Louvre, le soir de la victoire. Serait-ce un moyen de redonner du prestige à une Europe qui a failli dans la gestion des crises financières et monétaires post 2008, qui ne réussit pas à définir une politique des migrations conforme à nos valeurs prônées par ailleurs et qui continue à punir la Grèce de lui avoir menti sur ses statistiques? Pourquoi pas? Encore faudrait-il qu’un tel Sommet soit autre chose qu’un ravalement de façade et «une cerise sur le gâteau» et qu’il fasse vraiment de la culture non seulement une finalité de l’Europe, mais aussi un vecteur central du chantier européen dans son ensemble13.

Pour mettre en œuvre cette politique, Emmanuel Macron a trouvé une ministre de la Culture assez exceptionnelle, en la personne de Françoise Nyssen, jusqu’ici PDG des Editions Actes Sud. Non seulement Françoise Nyssen est une cheffe d’entreprise hors pair qui a su faire, à la suite de son père Hubert Nyssen, d’une maison d’édition provinciale, à Arles, un lieu focal pour des écrivains du monde entier14, mais elle incarne aussi un réel engagement de terrain et une certaine idée de l’entrepreneuriat culturel, puisqu’elle anime, avec son mari, un lieu de culture à Arles (Le Méjan, depuis 1984) où on pratique une culture pour tous, élitaire et populaire à la fois et une école qu’elle a ouverte, dans un domaine agricole au sud-est d’Arles, pour les élèves «différents» («Le Domaine du Possible», depuis 2015). Pas Parisienne pour deux sous, cette «ourleuse», comme elle se définit elle-même, aura sans doute à cœur de ne pas s’épuiser dans les inaugurations, premières de spectacles et autres vernissages et de continuer à trouver du temps pour la lecture, ce qui devrait lui permettre de ne pas oublier, comme elle le dit elle-même, en reprenant une citation d’Edgar Morin, «l’urgence de l’essentiel». Espérons que le président15 et les politiques et bureaucrates parisiens lui laisseront l’espace et le temps pour définir un projet, faire des choix, afficher des objectifs, avec un budget non seulement stable, mais en augmentation.

 

1 formule chère au nouveau président qui, à la suite de son « maître » Paul Ricœur, marque par là sa volonté de concilier dans un même mouvement des courants en apparence contraires et dans un même projet des positions contradictoires

2 les candidats de la gauche demandaient un budget équivalent à 1% du PIB, alors qu’en 2017 il est de 2,7 milliards d’EUR, soit 0,65% du PIB

3 cette loi sur une nouvelle organisation territoriale pour la République entend dépasser les politiques de l’offre et de la demande par les droits culturels. Le texte le plus explicite sur les droits culturels est la Déclaration de Fribourg, de 2007

4 rédigé par l’artiste plasticienne Danièle Attala, l’ancien responsable socialiste de la culture Roger Tropéano et l’universitaire Charles Plantade
5 on aurait souhaité que, devant la montée apparemment irrésis- tible de Marine Le Pen, il y eût eu un peu plus de réactions des milieux culturels, sur le modèle de cet Appel

6 il a dit exactement : « il n’y a pas une culture française, mais une culture en France »

7 il a été notamment son assistant éditorial pour La mémoire, l’Histoire, l’Oubli et a participé à la revue Esprit, profondément influencé par le personnalisme d’Emmanuel Mounier et la pensée de Paul Ricœur

8 faut-il aussi rappeler qu’il a connu son épouse Brigitte, professeur de français, en faisant du théâtre ?

9 voir le récent Conseil européen des ministres de la Culture du 23 mai où on discutait de la question de demander aux GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) et autres acteurs internationaux du numérique de se conformer aux règles en vigueur dans le pays de diffusion des œuvres – et non dans les pays où ils sont installés, afin de contribuer au financement des œuvres qu’ils diffusent, tout en respectant un quota d’œuvres européennes

10 certaines formulations peuvent paraître surprenantes concernant la place de la culture dans les relations extérieures. « La voix de la France doit être celle de l’esprit, des talents et de la création. C’est un devoir pour notre pays ». Puis on ajoute : « c’est également pour lui une manière d’exercer son influence ». Ou encore, quand on dit dans la même phrase : « placer la culture au cœur de l’Europe et soutenir la francophonie »

11 rappelons ici que la Lettre de mission qu’avait adressée, en son temps, le Président Sarkozy à sa ministre de la Culture Christiane Albanel et qui demandait déjà l’efficacité et l’évaluation, a laissé de mauvais souvenirs, sans parler du fait qu’elle n’a pas eu le moindre effet

12 nombre de grands mécènes qui, jusqu’ici, soutenaient les musées et les grandes institutions publiques, initient désormais leurs propres actions ou créent leur propre lieu d’art, comme un prolongement d’excellence sur lequel capitaliser (Fondation Cartier, Fondation Louis Vuitton ; prochainement Fondation Galeries Lafayette et les collections François Pinault, à l’ancienne Bourse de Commerce à Paris)

13 oserait-on rappeler ici au Président Macron un article qu’il a écrit, dans la revue Esprit (mars/avril 2011) sur les labyrinthes du pouvoir : « lorsque les problèmes relèvent du temps long, le pouvoir politique adopte un traitement symbolique (des grands-messes, une inscription à l’agenda, etc.), sans procéder aux réformes structur- elles requises, ni s’exposer au coût politique qui les accompagne. (…) La discipline qu’implique le traitement des problèmes longs exige une pédagogie permettant de construire un consensus politique et social et une constance dans l’application. »

14 Actes Sud éditent trois Prix Goncourt (Mathias Enard, Jérôme Ferrari et Laurent Gaudé), trois Prix Nobel de Littérature (Naguib Mahfouz, Imre Kertész et Svetlana Alexievitch), un Goncourt du Premier Roman (Kamel Daoud), ainsi que des écrivains devant lutter pour leur liberté d’expression, tels que Alaa Al-Aswany, Kamel Daoud, Salman Rushdie et Asli Erdogan

15 c’est d’ailleurs Marc Schwartz, conseiller à la Cour des comptes et médiateur du livre, qui a été nommé directeur de cabinet de Mme Nyssen. C’est lui qui a coordonné le programme culture et médias d’En Marche !

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