- Politik
Relations UE-Chine
Avancer sur la corde raide
Permettez-moi d’emblée de vous dire que défendre la dignité humaine est au cœur de mon identité – au-delà de toute considération politique. Défendre la démocratie, l’Etat de droit, la liberté, la liberté d’expression et une justice égale pour tous détermine mon engagement politique.
Aussi ai-je la conviction que, en tant qu’Union européenne (UE), nous devons par notre attitude, nos discours, nos actions ne laisser planer aucun doute sur notre détermination à défendre les droits humains. Dénoncer est indispensable afin que les atteintes aux droits humains ne se perdent pas dans l’ombre et l’anonymat. Quel que soit le pays concerné ! Sur quelque continent que ce soit ! Aussi quand il s’agit de la Chine ! Notre détermination doit rester intacte pour ce qui est d’affirmer que nous savons que les Ouïghours sont victimes d’oppression, que nous condamnons cette oppression, que nous condamnons la concentration d’Ouïghours et d’autres communautés dans des camps, que nous condamnons les violences faites à ces communautés, que nous condamnons le travail forcé.
Quelles actions doivent maintenant découler de ces condamnations ? C’est surtout là-dessus que les esprits sont divisés. Quels sont nos moyens d’action ? Quels sont nos pouvoirs ? Car ce sont eux qui, en définitive, déterminent nos moyens d’action. Quels pouvoirs a donc aujourd’hui l’UE pour agir dans ce domaine ?
J’ose croire que notre voix compte quand nous disons haut et fort que nous condamnons ces violations des droits humains. Nos dénonciations ne laissent en effet pas indifférentes les autorités chinoises. J’ai également la conviction que décerner le prix Sakharov à Ilham Tohti est un geste fort du Parlement européen et que par un tel geste, nous soutenons ceux qui souffrent d’oppression, et plus particulièrement le peuple ouïghour. Toutefois, ce geste ou nos autres résolutions ou paroles au sein du Parlement européen n’ont amené ni le gouvernement chinois à libérer Ilham Tohti, ni, j’en ai bien peur, à améliorer le sort des Ouïghours opprimés.
L’accord sur les investissements entre la Chine et l’UE
J’en viens alors à notre relation économique avec la Chine et plus particulièrement à l’accord UE-Chine sur l’investissement conclu par un accord de principe entre la Commission européenne et le gouvernement chinois fin décembre 2020. Cet accord n’est pas encore en vigueur. La procédure exige maintenant que les services du Parlement européen travaillent sur les détails juridiques avant que le texte ne soit envoyé – dans plusieurs mois – au Parlement européen pour analyses, avis et rapport des différentes commissions. C’est alors seulement que l’accord sera soumis au vote en plénière. L’accord d’investissement UE-Chine n’entrera en vigueur que si le Parlement européen le confirme par un vote positif.
Je dois dire que l’annonce d’une prochaine conclusion de l’accord mi-décembre m’avait quelque peu interloquée, vu nos différends mis en relief si souvent ces derniers mois sur les droits humains, entre autres au Xinjiang et à Hong Kong. Il est vrai que les détails de l’accord sur l’investissement laissaient clairement apparaître que l’UE avait un réel intérêt économique à accepter les propositions particulièrement favorables à l’UE mises sur la table par la Chine et sur lesquelles jusqu’à présent la Chine avait à peine bougé. Ainsi, nos entreprises auraient un meilleur accès au marché chinois avec de nouveaux secteurs ouverts aux Européens ; nos entreprises ne seraient plus forcées de se lier avec des entreprises chinoises ; la propriété intellectuelle serait mieux protégée ; le transfert des technologies ne serait plus obligatoire et la concurrence serait plus équitable grâce à plus de transparence sur les subventions aux entreprises chinoises. Quelles avancées spectaculaires ! Je n’ai pu m’empêcher d’émettre l’hypothèse que la Chine était vraiment pressée de conclure cet accord avant le changement de présidence aux Etats-Unis et l’arrivée au pouvoir du président Biden, ceci afin d’éviter un front commun UE-USA qui aurait compliqué, pour la Chine, la conclusion de cet accord d’investissement avec l’UE. Toutefois, nous étions nombreux à être perplexes quant à un accord qui aboutirait, alors même que la Chine n’avait aucunement bougé sur les droits humains. J’ai donc particulièrement apprécié l’immédiate intervention du ministre du Commerce extérieur français, lors de laquelle il affirmait que la France ne pourrait accepter un accord qui ne donnerait pas de garanties sur l’interdiction du travail forcé, allant jusqu’à évoquer la situation des Ouïghours. Dans les jours qui ont suivi, la Chine a semblé reculer de nouveau quant à la finalisation de l’accord en 2020, puisque Pékin indiquait vouloir négocier à son rythme. Finalement, comme nous le savons, quelques jours plus tard, l’accord de principe était conclu, la Chine s’étant vaguement engagée à des démarches pour la signature des conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail (OIT), notamment celle de la lutte contre le travail forcé.
La question qui se pose pour nous, dans le contexte de la situation des Ouïghours, est de savoir si cet accord nous aurait permis, ou nous permettra encore, d’influer positivement sur leur situation. Je suis convaincue que oui, du moins en partie. En ce qui concerne les termes de l’accord, sûrement, puisqu’en quelques jours – face à une montée de boucliers sur le travail forcé –, le gouvernement chinois a concédé de s’engager dans des démarches pour signer les conventions fondamentales de l’OIT. En ce qui concerne la réalité sur le terrain, c’est une autre histoire. Quels moyens avons-nous pour que la Chine – si elle venait à ratifier les conventions de l’OIT – respecte les engagements pris, les conventions internationales signées ? Quels moyens seraient mis en place pour garantir le respect des conditions de travail ? Il suffit, pour se convaincre du peu d’influence que nous pourrions avoir, de constater que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) n’a réussi à faire accepter ses experts en Chine qu’il y a quelques jours – plus d’un an après les débuts d’une pandémie partie de Chine et ayant entretemps fait plus de 2 millions de morts !
Maintenir une influence de l’UE sur la scène internationale : une tâche ardue
Suis-je pour autant en train de dire qu’il faut purement et simplement refuser cet accord ou tout autre nouvel accord économique avec la Chine ? Sûrement pas. Et ceci pour différentes raisons, des raisons économiques liées à des raisons géopolitiques…, mais également à des raisons « humaines ». Je voudrais répéter ici que je crois en nos valeurs humanistes et que je crois également en la nécessité de les défendre au-delà de nos frontières. Toutefois, défendre ces valeurs n’est possible que si nous faisons le poids d’un point de vue géostratégique. Or, l’Europe a beaucoup perdu de son influence mondiale un peu partout sur ce globe et nous ne jouons plus un rôle déterminant dans les décisions que peuvent prendre les uns et les autres pays. Ce n’est pas vouloir noircir le tableau ! C’est seulement faire preuve de réalisme. Nous présentons encore un intérêt certain au niveau économique…, mais sommes-nous d’indispensables partenaires ? J’ai des doutes à ce propos. J’en veux pour preuve l’accord commercial signé en novembre par les pays d’Asie-Pacifique – sous la houlette chinoise –, qui est le plus important accord commercial au monde. Il concerne 30 % de la population mondiale – 2 milliards d’habitants – et 30 % du PIB mondial ! Et pourtant, aucune clause sur le droit du travail, sur des contraintes afin de protéger le climat ou… sur les droits humains. Or, si j’évoque ceci, ce n’est pas pour dire que ce qui compte, c’est que nous nous développions économiquement, et que les droits humains, les préoccupations climatiques doivent dans le contexte économique être reléguées au second plan. Bien au contraire ! Je veux que nous veillions à rester capables d’exercer l’influence nécessaire pour « imposer » des clauses relatives aux droits humains, aux normes climatiques, à l’Etat de droit. Il s’agit de ne pas faire preuve de naïveté et d’être conscients que notre capacité à influencer, à « imposer » nos normes a diminué et qu’elle diminue d’autant plus si nous sommes de moins en moins des acteurs économiques mondiaux déterminants. Il nous faut donc être très vigilants dans les accords que nous refusons – tout comme, d’ailleurs, dans ceux que nous acceptons. Nous ne pouvons en effet ni nous permettre de perdre en influence mondiale ni en autonomie stratégique, comme nous avons amèrement dû le constater quand il s’est agi de la pénurie de masques.
Revenons concrètement à l’accord UE-Chine sur l’investissement, nous sommes face à une situation donnée aujourd’hui. Elle est ce qu’elle est – elle existe. Or, elle n’est pas bonne pour l’UE. Sans nouvel accord, c’est cette situation-là qui restera en vigueur. Il faut aussi savoir que la Chine et l’UE ont mis huit ans à réaliser cet accord. Refuser celui-ci revient à remettre l’accord une nouvelle fois sur la table et les négociations reprendraient pour un temps indéfini. Nous n’aurons alors rien changé, ni à la situation des Ouïghours ni à la situation du travail forcé en Chine, et nous n’aurions même pas ce mince engagement de la Chine à signer les conventions fondamentales de l’OIT.
« La situation des droits humains étant ce qu’elle est en Chine, nous devrions envisager de cesser toute relation économique avec la Chine », ai-je déjà entendu. Serions-nous prêts à en assumer les conséquences ? Encore une fois : en posant cette question, je ne pense pas essentiellement à nos intérêts économiques, mais à notre marge de manœuvre sur la scène internationale. Nous voulons continuer à avoir de l’influence en ce qui concerne la défense du climat, en ce qui concerne les droits humains. Pouvons-nous avoir cette influence en « ignorant » la Chine ? Je suis convaincue que non. La Chine a pris une influence internationale considérable en établissant des liens – souvent des dépendances – économiques avec un grand nombre de pays. L’aide ou plutôt les investissements chinois sont dépourvus des conditions que nous imposons. Sur le plan international, la Chine s’est ainsi assuré des alliés qui nous font défaut quand nous voulons agir sur le plan des droits humains. Tout ceci doit être pris en considération quand nous prenons nos décisions. De plus, j’ai également la conviction que des relations même difficiles sont préférables à l’absence de relations et que la présence de nos entreprises en Chine peut aussi être une chance pour les peuples chinois.
Encore une remarque avant de conclure : il ne suffit pas de crier ! Il ne suffit pas de s’écouter soi-même, de faire des effets de manche et d’être fier de l’effet produit, de se donner bonne conscience en criant. Encore faut-il que nos cris produisent l’effet voulu et non pas le contraire. Nous donner bonne conscience ne suffit pas pour que nos désirs se transforment en réalité ! Quand les bonnes intentions ont un effet contraire, nous nous rendons aussi coupables par manque de jugement.
Nos leviers : un marché européen fermé aux produits non conformes, un devoir de vigilance efficace, une coalition transatlantique
Ceci étant dit, je voudrais conclure que rien ne nous donne toutefois le droit d’accepter un accord qui ne contiendrait pas certaines garanties. Si nous ne pouvons pas changer fondamentalement les conditions de travail en Chine, ni changer à travers un accord d’investissement le respect des droits humains ni avoir des garanties absolues par le biais des conventions internationales, nous avons tout de même de vrais leviers. Nous avons le contrôle sur les produits qui entrent sur notre marché. Nous perdrions notre estime propre et trahirions nos valeurs les plus essentielles et le peuple européen si nous acceptions de profiter du travail forcé. Pouvons-nous nous imaginer de profiter de produits qui seraient le fruit du travail forcé ? De porter sur notre visage des masques produits par le travail forcé ? Non ! Cette garantie, nous devons, à l’avenir, la donner aux Européens ! Les produits accessibles sur le marché européen doivent avoir été produits dans le respect des droits humains. Ensuite, nous devons avoir la garantie que les entreprises européennes – où qu’elles œuvrent – respectent les règles fondamentales relatives aux droits humains et qu’elles sont tenues responsables pour ce qu’elles font, d’où l’importance des lois auxquelles nous travaillons en ce moment et qui imposeront des contraintes dans le cadre du devoir de vigilance (due diligence). Dans ce contexte, il faut d’ailleurs, de manière décidée, chercher des alliances et une stratégie commune avec les pays qui seraient prêts à imposer chez eux ces règles – plus particulièrement les Etats-Unis. La puissance économique d’une coalition transatlantique saurait manifestement imposer des critères auxquels même une Chine aurait du mal à résister.
Je suis ainsi convaincue que nous ne devons pas refuser cet accord en bloc, mais aussi que toutes considérations prises en compte – économiques, géopolitiques et autres –, le Parlement européen, pour accepter cet accord, doit au minimum obtenir des garanties pour les produits qui entrent sur le territoire de l’UE et des garanties quant à des lois efficaces sur le devoir de vigilance.
Avançons donc le plus possible sur les droits humains, conscients qu’il faut veiller à ne pas casser les fils qui nous permettent d’agir sur les droits humains là où nous pouvons réussir.
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