Savez-vous ce qu’est la schizophrénie ou la psychose ?

Il y a presque dix ans, quand mon fils cadet a dû être hospitalisé une première fois et que le diagnostic posé a été celui d’une « psychose », je n’aurais pas pu en donner une définition valable. On est désemparé quand on vous annonce une telle nouvelle, on ne connaît pas du tout le terrain de la psychose et on commence à chercher ce que ce terme peut bien signifier.

Pour faire simple, il s’agit d’un dérèglement hormonal de la dopamine dans le cerveau, qui fait qu’une personne commence à avoir des hallucinations auditives (elle entend des voix) ou visuelles (elle voit des choses qui n’existent pas dans la réalité et que son entourage ne peut pas concevoir, elle croit qu’on contrôle sa tête), des fois aussi olfactives. Lors d’une première crise psychotique, la personne perd le contrôle sur elle-même et ne se reconnaît plus. Tout ce qui a été important jusque-là, comme les études, la formation, le travail, les loisirs, ne l’est soudainement plus. La personne n’arrive plus à faire le tri entre une information non importante (p. ex. que la personne qui parle à la radio contrôle ses idées) et une information importante. C’est vraiment compliqué de comprendre cette situation quand on ne l’a pas vécue !

Une souffrance invisible

Beaucoup de temps précieux est souvent perdu inutilement jusqu’à ce que le bon diagnostic puisse être établi. La plupart du temps, ce sont les adolescents qui sont concernés, la maladie se déclarant entre 15 et 30 ans, mais des personnes plus âgées peuvent également développer des psychoses. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime qu’une personne sur quatre souffre de troubles mentaux ou neurologiques à un moment donné de sa vie. Plus d’un demi-milliard de personnes en souffrent à l’heure actuelle, ce qui place les troubles psychiques à la troisième place des maladies les plus fréquentes, après le cancer et les maladies cardio-vasculaires. On peut notamment citer la schizophrénie (un type de psychose) qui touche 1 % de la population, ce qui correspond à plus de 6 300 personnes au Luxembourg, la bipolarité qui touche presque 3 % de la population mondiale et la dépression majeure qui n’en touche pas moins de 10 %. Cette souffrance invisible affecte non seulement les personnes concernées, mais également leur entourage, que ce soit directement (le conjoint, les enfants, les parents, frère et sœur) ou indirectement (les grands-­parents ou ami·es qui sont dans l’angoisse et qui souffrent, rompant parfois les liens).

Les études montrent que 60 % des personnes ayant des troubles psychotiques seraient dans le déni de la psychose, car ils ne se sentent pas malades. Ceci rend le rétablissement difficile. Comment expliquer à une personne, souvent hospitalisée contre son gré, qu’elle a besoin de prendre des neuroleptiques afin que les voix qu’elle entend s’estompent, que ses hallucinations visuelles disparaissent ? Comment expliquer à la famille que le personnel infirmier a dû attacher leur proche au lit, afin de lui injecter l’antipsychotique étant censé lui apporter de l’aide ? Souvent, à la sortie de la psychiatrie, la personne atteinte de troubles psychotiques finit par arrêter son traitement, car elle est dans le déni des symptômes. Ce qui va augmenter les chances d’une rechute à court ou à moyen terme. Le facteur « surmenage » (stress) comme par exemple la mort d’un proche, un nouveau cap à franchir dans la vie comme aller à l’université, la pression au travail peut être un facteur déclenchant une psychose chez une personne vulnérable. Les substances psychoactives peuvent aussi provoquer, dans certains cas, une psychose avec un début de délires et d’hallucinations.

Briser les tabous et déstigmatiser

Les familles que nous avons rencontrées sont souvent gênées de parler de leur proche atteint d’une psychose. Lorsqu’une personne doit se faire opérer du genou ou se faire implanter une nouvelle hanche, tout le monde en parle « librement ». Par contre, tout ce qui se passe dans la tête (idées délirantes, dépression, bipolarité, etc.) crée un « malaise », une grosse « gêne » lorsqu’il s’agit d’en parler. C’est un sujet « tabou », on stigmatise… et c’est injuste ! C’est pour cela qu’Eric Krebs, mon compagnon et président de notre ASBL Association des familles ayant un proche atteint de psychose au Luxembourg (AFPL) , et moi-même, Mady Juchem, vice-présidente, avons créé cette association en 2017, dont le but est d’informer et de sensibiliser sur le sujet, de briser les tabous et de déstigmatiser. C’est pour cela que nous organisons chaque année au mois de mars des conférences de sensibilisation sur les troubles psychiques.

Il faut savoir qu’il est rare qu’une personne avec des symptômes psychotiques aille chercher elle-même de l’aide dans un service de psychiatrie, car elle ne se rend pas compte qu’elle est dans le déni et n’a donc pas conscience qu’il lui faut un traitement. En effet, ce sont les familles et les proches qui voient que le comportement et le dialogue changent, qui ne reconnaissent plus la personne qui s’enfonce dans une crise et que cela peut devenir dangereux pour la personne elle-même et/ou pour son entourage.

Appeler le 112 et faire hospitaliser contre son gré une personne qu’on aime, mais à qui on ne peut pas apporter de l’aide, est très désagréable. C’est pourtant le seul moyen afin que des professionnels puissent établir un diagnostic et proposer un traitement adéquat. En tant que mère concernée, je sais à quel point c’est dur, car j’ai dû hospitaliser mon fils à cinq reprises, à une période où il avait arrêté son traitement ; la tension montait à la maison et le dialogue devenait presque impossible. Je me rappelle que le premier livre que j’ai lu sur la schizophrénie était Schizophrenie ist scheiße, Mama!, de Janine Berg-Peer, et c’est vraiment le cas de le dire… 

Il ne faut pas raisonner le déraisonnable

C’est très difficile de placer quelqu’un en psychiatrie afin de lui apporter de l’aide. Un autre volet délicat concerne l’obligation de placer une personne sous curatelle ou tutelle, ceci afin d’éviter qu’elle continue à faire « des bêtises », comme des dépenses exagérées et insensées lors de ses crises délirantes. Le docteur Jean-Marc Cloos, directeur médical du Pôle psychiatrie des Hôpitaux Robert Schuman et médecin-clinicien à l’Unité d’addictologie-hépatologie de la ZithaKlinik, a dit lors d’une entrevue : « Il ne faut pas raisonner le déraisonnable. » En effet, la personne ayant une psychose a construit sa propre réalité et il est important de chercher de l’aide professionnelle pour pouvoir aider à sortir d’une crise psychotique.

Il faut savoir que beaucoup de personnes n’ont plus de famille qui pourrait s’occuper d’elles, après avoir été rejetées par leurs proches épuisés moralement, qui n’ont plus la force de subir les humeurs de la personne en crise psychotique, ou simplement à cause d’une situation financière précaire. La situation devient encore plus dramatique quand l’alcool, le cannabis ou d’autres drogues s’ajoutent aux troubles psychotiques. Cette situation entraîne le rejet de la part des structures encadrantes, car la personne a du mal à respecter les consignes. Le résultat est que les gens se retrouvent dès lors à la rue… c’est la triste réalité dans le petit et « aisé » Grand-­Duché de Luxembourg. A cette situation morose s’ajoute le fait que 10 % des personnes ayant un trouble psychique font une tentative de suicide (source : OMS), elles sont souvent angoissées par leurs voix et hallucinations, elles ne se sentent pas comprises par leur entourage et ne voient plus d’issue.

Je tiens à préciser que j’évoque ici ma propre expérience de maman et de vice-présidente de l’AFPL ASBL. Notre conseil d’administration est composé de personnes bénévoles. Nous sommes des familles concernées qui ont une occupation professionnelle dans la journée. Nous gérons notre association pendant notre temps libre. Nous n’avons pas de formation professionnelle ou médicale.

Informer et sensibiliser

Il est important de parler du sida à l’école en expliquant aux élèves pourquoi et comment utiliser un préservatif ; il est tout aussi important de sensibiliser les jeunes aux soucis psychiques, d’autant plus que la santé mentale ne fait que s’aggraver avec la pandémie actuelle. Les psychoses se déclenchent pendant ou après l’adolescence et les jeunes tout comme leurs parents se retrouvent complètement démunis lors de l’apparition des premiers symptômes et délires. Il est également important d’informer et de sensibiliser les élèves des conséquences de la consommation de cannabis ou d’autres substances psychotropes. En effet, cela peut déclencher, dans certains cas, des premières hallucinations et délires, parfois de manière irréversible.

Si je pouvais exprimer, en tant que maman d’un fils en traitement pour une psychose, « mes souhaits », je dirais…

  • Que nos psychiatres au Luxembourg forment un lobby pour réclamer des structures supplémentaires, tant sous forme d’atelier thérapeutique et protégé (ATP) que d’habitations encadrées. Ce que les familles concernées réclament depuis des années, afin que les proches qui sont malades puissent savoir ce qui leur arrive, accepter leurs symptômes et se rétablir le plus rapidement possible pour pouvoir continuer à poursuivre leurs études ou retourner au travail. Malheureusement, les rechutes et les retours en psychiatrie sont fréquents et cela devient souvent chronique. Il faudrait refaire le calcul, savoir combien coûtent les séjours répétitifs dans une psychiatrie pour une seule et même personne, alors qu’avec des structures supplémentaires, les patients pourraient évoluer favorablement à la sortie de l’hôpital. 
  • Que toute personne ayant un trouble psychique ait la garantie d’un accès rapide aux consultations psychologiques et d’un remboursement de celles-ci.
  • Que les entreprises respectent la loi imposant l’emploi de 5 % de personnes avec un handicap physique et/ou psychique.
  • Que nos psychiatres, qui ne prescrivent souvent que des antipsychotiques et des antidépresseurs, puissent aussi avoir recours à des moyens alternatifs pour permettre un rétablissement plus efficace (thérapies comportementales et cognitives TCC, intégration neuro-émotionnelle par les mouvements oculaires EMDR, dialogue ouvert…).
  • Que les personnes en crise psychotique soient mieux protégées en psychiatrie, souvent très surchargée.
  • Que les neuroleptiques sous forme de pilules soient remboursés à 100 %, tout comme les injections dépôt. 
  • Que la recherche (hormones, anticorps auto-immunitaires, bactéries du colon) soit encouragée pour proposer des améliorations aux personnes souffrant de troubles psychiques. 
  • Que les familles, qui s’occupent de leur proche atteint de psychose souvent sans occupation et revenu, puissent être soutenues financièrement, que ce soit sous la forme d’une prime ou d’un abattement d’impôt pour personne avec handicap à charge.
  • Que la société change le regard sur la santé mentale en générale. Que tout un chacun se rende compte qu’il peut, d’un jour à l’autre, se retrouver dans une situation difficile et délicate, ne sachant plus comment gérer son quotidien.

Luc Vigneault, qui vit lui-même avec la schizophrénie, a su faire un chemin remarquable. Il est pair aidant au Québec, formateur et conférencier international pour des organismes du milieu de la santé. Un de ses livres, Je suis une personne, pas une maladie !, m’a marquée. Et je le confirme : toute personne avec un souci psychique (psychose et autres) mérite le même respect que toute autre personne malade, un diagnostic rapide ainsi qu’un encadrement efficace afin de se rétablir le plus rapidement possible.

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