Soutenir autant que possible et sauver autant que nécessaire
Le grand confinement – nom officiel donné par le Fonds monétaire international (FMI) à la récession mondiale actuelle – est une crise économique inédite. Elle est provoquée par un élément extérieur à la sphère économique et financière (en l’occurrence, la pandémie de Covid-19), a été, à certains égards, décidée par les gouvernements qui ont, pour des raisons de santé publique, limité la production, empêché la consommation, interdit les déplacements et activités non essentiels, et elle est sans précédent dans sa dynamique et son ampleur, compte tenu de la contagiosité du virus qui est à son origine et de l’interdépendance des économies mondiales1.
S’il n’est pas vraiment possible de savoir à l’heure actuelle quelle sera l’étendue exacte du recul de l’activité – puisque cela dépendra de l’évolution de la pandémie, de l’efficacité des mesures de soutien décidées par les autorités budgétaires et monétaires ainsi que de l’impact que cette crise sanitaro-économique aura sur le comportement et la solvabilité des agents économiques (entreprises, ménages, institutions financières, Etats) –, le FMI prévoit tout de même comme scénario de référence pour 2020 une récession mondiale de 3 % et indique que 90 % des pays verront leur produit intérieur brut (PIB) par habitant reculer cette année.
Comme il s’avère que les services du FMI ne sont pas particulièrement doués pour faire des prévisions, notamment en période de crise2, ces chiffres – qui reposent sur une batterie d’hypothèses techniques à la fois économiques et sanitaires – pourraient connaître des révisions substantielles. Mais en dépit de l’incertitude concernant l’ampleur de la récession, ce n’est pas prendre trop de risque que d’affirmer que l’on pourrait assister à une contraction record du PIB mondial en 2020, sachant qu’il y a eu une réduction importante du temps de travail au 1er trimestre (de l’ordre de 4,5 %, soit l’équivalent de 130 millions d’emplois à plein temps), qu’environ 70 % de la main-d’œuvre totale vivaient dans un pays où existaient des mesures de fermeture obligatoire ou recommandée des lieux de travail fin avril, et (donc) que la baisse du temps de travail au deuxième trimestre devrait être encore plus prononcée qu’au premier.
Dieu serait toujours luxembourgeois
Petite économie ouverte au cœur de la zone euro – qui devrait connaître selon les dernières prévisions de la Commission européenne une récession de 7,7 % en 2020 –, le Luxembourg n’est bien évidemment pas épargné par cette crise. Les pertes d’activité durant la période aiguë de confinement (du 23 mars au 17 avril) auraient été de l’ordre de 25 % par rapport à une situation sans mesures de restriction de l’activité, près de 40 % des entreprises ont sollicité le chômage partiel, environ 30 % des salariés étaient au chômage partiel fin avril et le taux de chômage a augmenté de 5,5 % à 6,9 % entre février et avril.
Malgré la mise en place par le gouvernement luxembourgeois d’un paquet de mesures (régulièrement revisité) – constitué d’aides financières aux petites entreprises et aux indépendants, d’indemnités de chômage partiel, d’avances remboursables, de reports de paiements d’impôts et de cotisations sociales, de garanties pour prêts bancaires, d’acquisitions d’outils et d’infrastructures médicaux – de l’ordre de 11 milliards d’euros, le Grand-Duché n’échappera pas à la récession et pourrait voir son PIB se contracter de 5,5 %, pour revenir en fin d’année au niveau qui était le sien… en 2017.
En 2020, le Luxembourg connaîtrait ainsi sa pire récession depuis 1975. Cette année-là, le PIB du Grand-Duché accusa une baisse de 6,6 %, due essentiellement au recul du commerce mondial, notamment dans le domaine des biens intermédiaires et plus spécifiquement de l’acier qui rentrait dans une crise structurelle qui allait précipiter la transformation postindustrielle du tissu productif luxembourgeois et conduirait l’ARBED – la principale entreprise luxembourgeoise – à réduire ses effectifs de deux tiers entre 1975 et 1990.
Mais alors qu’en 1975, c’est au Luxembourg que la récession fut la plus profonde parmi les pays européens, en 2020, le Grand-Duché devrait s’en tirer avec le décrochage le moins prononcé au sein de l’UE d’après les prévisions publiées début mai par les services de la Commission européenne.
Evolution du PIB
Cette situation d’une relative moins mauvaise performance de l’économie luxembourgeoise en 2020 s’expliquerait, au-delà de la (bonne) gestion du volet sanitaire de la crise par les autorités du pays, par un mixte sectoriel avantageux (secteur financier important, pourcentage élevé d’activités « télétravaillables » comparé aux autres pays, etc.), par une spécialisation (articulée autour de services à haute valeur ajoutée) en termes d’exportations, qui souffrirait moins de la réduction des contacts entre personnes, par un niveau plus faible de contrats de travail à durée déterminée et de travail au noir, par un poids plus réduit de la consommation des ménages dans le PIB, et par la bonne santé des finances publiques qui permet aux pouvoirs publics de soutenir la demande effective.
Ce scénario d’un moindre impact des mesures de confinement sur l’activité au Luxembourg suppose toutefois, en plus d’un retour progressif « à la normale », que les liens entre le marché du travail du Luxembourg et les frontaliers ne soient pas empêchés. Il suppose également que la base productive de l’économie grand-ducale soit en mesure de redémarrer le moment venu et donc que les plans de soutien à l’économie aient été à la bonne hauteur pour protéger à la fois la demande (à savoir le pouvoir d’achat des ménages) et l’offre (à savoir la capacité productive des entreprises).
Economie du « whatever it takes » budgétaire
Parce que beaucoup d’aspects du « grand confinement » sont nouveaux et inattendus, les enseignements des crises passées ne sont pas nécessairement d’une grande aide pour « deviner » quelle sera la durée de la récession actuelle, l’ampleur de la reprise, ni le délai qui sera nécessaire pour que l’activité revienne au pic d’avant le confinement. Car si habituellement, une récession dure environ un an, que les reprises sont généralement plus accentuées que les récessions et qu’en moyenne, la production retrouve après une récession son point culminant antérieur en moins d’un an, cette fois-ci cela pourrait être très différent. Certaines activités, qui supposent de l’interaction physique, pourraient demeurer longtemps interdites ou structurellement moins fréquentées, et la gestion américaine de la crise sanitaire risque d’aggraver et de prolonger plus que d’habitude la récession.
Il convient toutefois de garder à l’esprit – comme étant une vérité constante – que les récessions couplées à des crises financières ou des politiques d’austérité ont tendance à être plus graves et suivies de reprises plus lentes. Par conséquent, à côté « d’aplatir la courbe des infections », les interventions budgétaires pour stabiliser l’activité devraient être construites autour du principe de « soutenir autant que possible et sauver autant que nécessaire » les entreprises, ceci afin d’éviter une hausse des prêts non performants dans le bilan des banques, qui pourrait épuiser leurs fonds propres et transformer le grand confinement en une crise d’insolvabilité bancaire3. Cette orientation volontariste de la politique budgétaire, qui pourrait faire passer la dette publique du Luxembourg de 22 à près de 30 % du PIB, ne devrait cependant surtout pas être suivie d’une politique de consolidation budgétaire de principe visant à rétablir le plus rapidement possible et à tout prix l’équilibre budgétaire. Cela pourrait donner « l’impression » que la situation budgétaire du pays est fragile, avec un ratio de dette publique à 30 % du PIB (ce qui ne serait pourtant absolument pas le cas) et surtout serait de nature à freiner la reprise4.
Le jour d’après
Même si le « déconfinement » a été officiellement annoncé au Luxembourg, il peut sembler prématuré d’évoquer ce qui devra changer « après », alors que certains pays luttent encore contre la maladie sans forcément entrevoir le « bout du tunnel », que des personnes touchées par le virus, y compris au Luxembourg, sont encore à l’hôpital, qu’il ne semble pas totalement imprudent de dire qu’une « deuxième vague » n’est pas à exclure ou que la pandémie de Covid-19 se transformera peut-être en endémie, et que le plus important demeure de simplement parvenir à « contrôler » la maladie et réduire, un peu plus chaque jour, la sous-activité.
Dès lors, conjecturer au sujet de « l’après » et de certaines grandes questions quasi-civilisationnelles qui occupent déjà certains esprits (faudra-il plus d’écologie ? plus d’Europe ? plus de nation ? plus de coopération internationale, régionale, locale ? quelle réorientation du tissu productif ? comment faire pour que les humains aiment leurs prochains comme eux-mêmes ? comment réduire la dépendance du Grand-Duché par rapport aux travailleurs frontaliers ? comment intégrer les frontaliers au vivre ensemble luxembourgeois ? faut-il réduire la dépendance nationale aux importations d’équipements et de produits médicaux ? faut-il désormais baser les rémunérations non plus sur les diplômes, mais sur l’utilité sociale des métiers ?) semble encore un exercice périlleux, voire quelque peu futile.
L’une des particularités de cette crise est que, pour une fois peut-être, le court terme prime à raison sur le long terme. Et à court terme, l’important ne semble pas pour le Luxembourg d’opérer de grandes transformations, mais d’être conscient que cette crise n’est pas une « opportunité », mais une « catastrophe », et de s’assurer que la pandémie est « sous contrôle », que la sécurité au travail est « maximale », qu’aucune entreprise systémique (ou stratégique) n’est en faillite, qu’il n’y a pas de licenciements massifs, que 2020 ne sera pas une année perdue pour les étudiants en formation professionnelle qui devront trouver des places en apprentissage, que les semaines d’enseignement à domicile n’ont pas aggravé les inégalités scolaires et ainsi de suite.
- La Chine, qui serait le foyer de départ de la maladie Covid-2019, est le premier partenaire commercial de 120 pays et en moyenne une nuit sur seize passée par un touriste (en provenance d’un pays non membre) au sein de l’UE l’était par un Chinois en 2016, ce qui a permis à l’UE d’avoir une balance des services positive vis-à-vis de la Chine en matière touristique de 4 milliards d’euros.
- Voir Independent Evaluation Office, IMF forecast: Process, quality and country perspectives, 2014.
- La question du Brexit non évoquée est par ailleurs un danger financier supplémentaire.
- Voir https://voxeu.org/article/austerity-aftermath-great-recession (dernière consultation : 25 mai 2020).
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