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Trois propositions folles pour une fiscalité raisonnable
Cela fait deux ans et demi qu’on l’attend. Dès l’accord de coalition, DP, LSAP et déi Gréng avaient annoncé leur intention de procéder à une réforme fiscale. Par la suite, des mesures ad hoc comme la hausse de la TVA et l’introduction de la taxe «encadrement des enfants» ont renforcé les attentes envers la «grande réforme fiscale», celle où tout serait mis sur la table.
«[Ce] ne sera ni la révolution d’octobre, ni celle des œillets. La réforme se fera comme d’habitude à la marge, le gouvernement agissant sans plan d’ensemble, ni de véritable stratégie, si ce n’est celle d’utiliser la réforme fiscale afin d’être réélu.» C’est le pronostic qu’avait fait le lobbyiste financier Alain Steichen dans le Sozialalmanach 2015 de Caritas. Il affirmait préférer une «réforme fiscale a minima», considérant qu’«une mise à plat de l’ensemble du système fiscal pour des prétendues raisons de justice fiscale ne [pouvait] déboucher que sur des déconvenues».
Du côté patronal, certains voyaient les choses différemment. «Une réforme fiscale partielle, a minima ou une réforme ‘patchwork’ visant à concilier divers intérêts opposés et ‘rajoutant une couche’ de complexité ne constituerait pas une option viable», avait mis en garde sur son blog Carlo Thelen de la Chambre de commerce. Il a plaidé pour que la réforme constitue un «saut quantique»…«en termes d’attractivité du Luxembourg».
Le président de la Chambre des salariés (CSL), Jean-Claude Reding, a également exigé une réforme conséquente, mais pour d’autres raisons. Interrogé par RTL l’été dernier, il avait dénoncé le fait que la charge fiscale pesant sur les personnes physiques a augmenté ces dernières années. Pour y remédier, il demandait une adaptation des barêmes, notamment afin d’aplanir la «bosse des classes moyennes» («Mëttelschichtbockel»). On sait que de manière générale les syndicats rejettent l’augmentation des impôts indirects comme la TVA par rapport aux impôts directs. Ils préfèrent une taxation progressive telle que l’impôt sur le revenu à des taux fixes comme les 0,5% de la taxe «encadrement des enfants» (rebaptisée entre-temps «impôt d’équilibrage budgétaire temporaire»). Pour le reste, Reding s’est montré timide: l’imposition individualisée ou une augmentation des taxes vertes ou de l’impôt foncier entraîneraient des complications. Décidément, une véritable «grande réforme» ne semblait pas intéresser grand monde – aux dernières nouvelles, le gouvernement l’a compris.
Dans ces conditions, à quoi bon être raisonnable? Qu’elles proviennent des adeptes des écotaxes ou de la taxation des riches, même des propositions «réalistes» risquent de passer à la trappe… au nom du «réalisme» plus grand encore d’un gouvernement désorienté et inquiet pour son avenir. Les trois idées ambitieuses présentées ci-dessous, à défaut d’être reprises par le gouvernement actuel, peuvent impulser la réflexion pour des réformes futures.
Augmenter le volume des impôts
Faut-il réduire le volume total des impôts et prélèvements? Pour Carlo Thelen, «l’objectif primaire de la réforme fiscale ne doit pas être d’augmenter la pression fiscale». Il estime que «trop d’impôt tue l’impôt» et que «la perte d’attractivité et de compétitivité affecterait négativement l’activité économique et diminuerait la base taxable à moyen et long terme». La réforme devrait au contraire «renforcer l’attractivité du Luxembourg pour les entreprises». Il faudrait donc impérativement «maîtriser l’évolution des dépenses publiques, tout en optimisant l’efficience de celles-ci».
Faut-il donc épargner les entreprises, qui, comme aiment à le répéter les lobbyistes patronaux, créeraient seules la richesse et les emplois? Les économistes sérieux admettront que la question de comment se crée la richesse est plutôt controversée.Est-ce grâce aux entreprises et au capital investi? Grâce à la terre, comme le pensaient les physiocrates? Grâce aux ressources naturelles et à l’énergie solaire, pour faire plus moderne? Ou grâce au travail humain, comme l’affirment marxistes et syndicalistes?
Ce qui est sûr, c’est que tous ces «facteurs de production» sont indispensables au bon fonctionnement de l’économie. Faudrait-il donc tous les exempter d’impôt? Ce serait mettre en danger un élément indispensable à la création de richesse qui est souvent oublié: tout ce qui est du domaine public et de celui de la société civile. Cela comprend évidemment le savoir scientifique, l’éducation des enfants et des adultes, la construction et l’entretien d’infrastructures. De manière plus abstraite, une production de richesses efficace suppose aussi un sentiment général de sécurité et de paix sociale au sein d’une société. Tout cela passe par des dépenses publiques qui doivent être financées par l’impôt.
En fait, au fil des siècles, l’importance de ce type de facteurs s’est accru, ce qui explique que le «poids» des impôts et prélèvements par rapport au PIB a augmenté. Contrairement à ce que prétend le mainstream libéral, des impôts élevés ne grèvent pas la croissance future, mais la favorisent. Notons que cet argent public doit être utilisé à bon escient et que par croissance, nous entendons plus un développement du bien-être qu’une croissance matérielle.
Il est vrai que le niveau des dépenses publiques (hors budget militaire) par rapport au PIB a stagné ou baissé récemment. Mais cela est dû au triomphe de l’idéologie libérale – aux conséquences économiques désastreuses – plutôt qu’à une moindre importance de la contribution du public et de la société civile. Au contraire, face à la fameuse Troisième révolution industrielle et aux besoins de l’économie de la connaissance, les biens immatériels utilisés par la communauté et financés par l’argent public deviennent de plus en plus importants. Il s’y ajoute le défi de la «révolution énergétique» indispensable pour éviter une catastrophe climatique et écologique. Là encore, des investissements publics massifs sont essentiels, d’autant plus qu’une partie de cette révolution ne générera ni profits ni croissance, mais permettra surtout d’éviter de futurs préjudices économiques et écologiques.
En résumé, une réforme fiscale tournée vers l’avenir, qui prend au sérieux les défis de la Troisième révolution industrielle et de la révolution énergétique, doit forcément aboutir à une augmentation du volume des impôts et prélèvements.
Réduire la bosse qui n’existe pas
Faut-il réduire le «Mëttelschichtbockel»? C’est ainsi qu’on désigne une charge fiscale particulièrement élevée pesant sur les classes moyennes, prises entre les couches inférieures et supérieures de revenu. Les premières bénéficient d’un taux d’imposition faible voire nul, alors que les secondes profitent du plafonnement des taux d’imposition et de l’assiette des cotisations sociales. En même temps, ils peuvent avoir recours à des techniques d’évitement fiscal sophistiquées. Au Luxembourg, la chose semble entendue: en effet, les revenus annuels supérieurs à 40000 euros sont déjà taxés à 38%, tandis qu’à partir de 100000 euros, le taux de 40% n’augmente plus. Clairement, la progressivité de l’impôt sur le revenu s’applique aux revenus modestes (taux montant de 0 à 20% pour les revenus en-dessous de 25000 euros), mais pas aux revenus typiques pour la classe moyenne.
«Il n’y a pas de ‘Mëttelstandsbockel’ au Luxembourg.» Quelle mouche avait donc piquée Nathalie Georges et Robert Urbé, experts auprès de Caritas, pour qu’ils concluent ainsi, dans le Sozialalmanach 2014, leur article intitulé «Le ‘Mëttel-
standsbockel’: une chimère!?». L’édition suivante du Sozialalmanach est d’ailleurs revenue à la charge, notamment à travers une contribution très fouillée de l’économiste du Statec Paul Zahlen. Avec ce point de vue, les experts de Caritas se retrouvent isolés face au discours gouvernemental, mais aussi face aux représentants des salariés à la CSL et, sans surprise, face à l’impression qu’ont les classes moyennes de payer trop d’impôts. Sont-ils donc fous?
Pas vraiment, car leurs calculs ne se limitent pas à l’impôt sur le revenu, mais incluent les cotisations sociales et la TVA, aux caractéristiques dégressives. Zahlen explore également la question de savoir quelles couches de la population profitent le plus des transferts sociaux. Il parvient à démonter le mythe selon lequel les classes moyennes contribueraient beaucoup et profiteraient peu.
Faut-il donc réclamer l’aplanissement du «Mëttelstandsbockel»? Oui, dans la mesure où l’actuel barême de l’impôt sur le revenu ne peut pas être décrit comme progressif au sens d’une distribution équitable de la charge fiscale. La CSL demande d’une part un étalement de la progressivité – techniquement parlant elle dénonce la non-indexation du barême. D’autre part, elle plaide pour rajouter des tranches au bout supérieur du barême et rappelle que par le passé, le taux maximal atteingnait jusqu’à 56%.
Peut-on se limiter à aplanir la bosse? Non, car cela conduirait à perpétuer les autres inéquités du système fiscal luxembourgeois, favorables aux classes moyennes. L’étalement de la progressivité devrait logiquement s’accompagner d’une baisse de la TVA et d’une réflexion sur la logique des cotisations et des prestations sociales (voir ci-dessous). Et surtout, il faudrait s’attaquer aux nombreuses niches et zones grises de la fiscalité dont profite une partie des classes moyennes. Aplanir le «Mëttel-
standsbockel» devrait s’accompagner d’une augmentation conséquente de l’imposition du patrimoine et des héritages ainsi que des revenus tirés des valeurs immobilières et des revenus du capital.
Abolir les cotisations sociales
Un déplafonnement des cotisations sociales serait plus juste qu’une augmentation de la TVA, voilà une des conclusions qu’on pouvait tirer d’une étude sur des alternatives de financement de la Sécurité sociale. Cette prospection avait été effectuée par le Deutsches Institut für Wirtschaftsforschung (DIW) de Berlin et mise en avant par la CSL dans le cadre du débat sur le semestre européen 2014. Ainsi, il a été proposé de remplacer le plafond du montant sur lequel sont prélevées des cotisations, qui est actuellement de cinq fois le salaire social minimal (SSM) par un plafond à sept fois le SSM. Selon les calculs du DIW, cela permettrait de baisser le taux de cotisation à 5,44% et conduirait à un allègement fiscal des salaires faibles et une plus forte contribution des salaires élevés. Une mesure encore plus marquée serait d’introduire une progressivité au niveau des taux mêmes.
Publier cette étude était à l’époque le moyen pour les syndicats d’affirmer qu’il existait des alternatives aux mesures d’économie et au relèvement de la TVA. Alors que le gouvernement présentait ces mesures comme inéluctables afin d’équilibrer les finances publiques, Jean-Claude Reding insistait qu’il existait des possibilités de «faire de la sélectivité sociale» du côté des recettes plutôt que des dépenses.
Au niveau arithmétique, ces propositions tiennent la route, mais elles posent des problèmes de type philosophique. Tout d’abord, les caisses de maladie et de dépendance se rapprochent actuellement d’une logique assurantielle: chacun paie selon ses moyens et profite selon ses besoins. Certes, contrairement à une assurance privée, la cotisation augmente en fonction du salaire, mais cet effet est atténué par la déductibilité fiscale et par le plafonnement (maladie seulement). En introduisant un mécanisme renforçant la redistribution au sein de ces assurances sociales, on alimenterait le discours de ceux qui voudraient introduire des caisses de maladie privées pour les mieux lotis, comme en Allemagne.
Pour la caisse de pension, le relèvement du plafond pose un problème encore plus sérieux: jusqu’ici, il y a correspondance entre plafonnement des cotisations et plafonnement des prestations. Augmenter le niveau de retraite maximal de 40% ne contribuerait pas à la durablité du financement de l’assurance pension. De toute façon, à un moment où les fameuses retraites complémentaires se montrent de moins en moins performantes, on peut trouver que la garantie publique apportée aux retraites de niveau élevé représente déjà une grande faveur faite aux salariés des catégories supérieures.
L’alternative, non couverte par le DIW, est évidemment la fiscalisation intégrale de la Sécurié sociale. Ainsi, aux cotisations, plafonnées et dont le taux est dégressif, se substitueraient les impôts directs, non plafonnés et progressifs. Bien entendu, cela mettrait fin au contrôle – largement mythique – de la Sécurité sociale par les partenaires sociaux. Et cela repolitiserait le débat sur les niveaux de prestations, pour le pire et pour le meilleur. Cela ouvrirait notamment la discussion sur la nature des retraites: dans quelle mesure sont-elles des revenus de remplacement calqués sur le salaire au cours de la vie, et dans quelle mesure sont-elles des prestations accordées par l’État dans un esprit de justice sociale? Il reste qu’une fiscalisation de la Sécurité sociale est le moyen le plus transparent d’y introduire une redistribution des revenus – en bonus, une telle mesure faciliterait l’individualisation fiscale.
Ces trois propositions gardent leur valeur même après la réforme fiscale à venir… et encore, peut-on craindre, après celle ou celles d’après.
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