- Gesellschaft, Kultur
Un legs 1 prestigieux
Les photographies d’Edward Steichen (1879-1973) dans la collection du Musée national d’histoire et d’art de Luxembourg
L’héritage d’Edward Steichen est visible dans plusieurs institutions de son pays natal, chacune se présentant avec sa propre spéci cité, mettant en lumière la créativité abondante de ce personnage. La présente contribution est la troisième d’une série d’articles 2 s’inscrivant dans le contexte de la présentation du patrimoine d’Edward Steichen au Grand-Duché de Luxembourg, rassemblé sous l’appellation Steichen Collections 3.
Né le 27 mars 1879 à Bivange, comme ls de Ma- rie Kemp et Jean-Pierre Steichen, Edward quitte le Luxembourg en 1881 pour découvrir le monde et pour se distinguer grâce à son talent de photographe et de commissaire d’exposition, mais aussi en tant que directeur du département de la photographie du Musée d’art moderne de New York (MOMA). De nos jours, deux endroits illustrent son travail en tant que commissaire d’exposition : le Château de Cler- vaux avec sa célèbre exposition e Family of Man (1955) et le Centre national de l’audiovisuel (CNA) à Dudelange avec e Bitter Years (1962).
Si les photographies de Steichen se retrouvent dans des collections privées et publiques au Luxembourg, seul le Musée national d’histoire et d’art (MNHA) expose de manière permanente les œuvres issues du legs d’Edward Steichen. Le MNHA a en e et pour mission l’étude et la conservation des collections nationales, et la photographie joue un rôle prépondé- rant dans la section des Beaux-Arts. Ainsi, depuis 2015, le musée national présente périodiquement, dans un espace dédié à Steichen – e Photographer, une vingtaine de clichés originaux de ce généreux legs, suivant un roulement bimestriel pour des rai- sons de conservation. Composé de 178 photographies récemment restaurées 4, le legs représente un ensemble unique, et depuis leur entrée au musée, ces photographies ont fait souvent l’objet de demandes de prêt, surtout pour des expositions à l’étranger 5.
Contexte historique du legs Edward Steichen
De son vivant, Steichen se rend à trois reprises au Grand-Duché de Luxembourg – en 1900, en 1952 et en 1966 pour l’inauguration de l’exposition e Family of Man à Clervaux. Dans les années soixante, après une première exposition de ses photographies aux Musées de l’État à Luxembourg-Ville (en 1965) – l’actuel Musée national d’histoire et d’art –, Steichen o re à l’État luxembourgeois les ensembles e Family of Man et e Bitter Years.
Après le décès du célèbre photographe, le musée reçoit, en 1985, cette fois sous la direction de Joanna T. Steichen, le legs en question. Quelques années auparavant, en 1979, la veuve de l’artiste a choisi le George Eastman House, International Museum of Photography and Film à Rochester pour accueillir le legs de son mari. Selon les stipulations, des institutions sélectionnées allaient recevoir chacune un lot de photographies par l’intermédiaire de ce musée, dont le MNHA 6. Parmi les autres institutions, on peut citer: l’Art Institute de Chicago, le Metropolitan Museum of Art à New York, la Bibliothèque nationale à Paris, le Musée Folkwang à Essen (en 1983) ainsi que la Royal Photographic Society of Great Britain à Bath. En comparant les di érents legs, il s’avère que l’éventail choisi pour le pays natal du photographe se distingue non seulement par la quantité, mais également par la qualité des photographies sélectionnées 7. À cette époque, une lettre du ministère des A aires culturelles relative au legs Ed- ward Steichen, indique e ectivement que « la famille d’Edward Steichen a sans doute voulu marquer l’at- tachement d’Edward Steichen à son pays d’origine. (…) il quitta avec les siens le Grand-Duché pour les États-Unis, où il allait faire l’extraordinaire carrière que l’on sait. (…) Aujourd’hui, l’œuvre artistique de l’un des grands ls de notre patrie est donc dignement représenté chez nous 8». En nous laissant un héritage considérable, il est indéniable qu’Edward Steichen avait le besoin de souligner l’attachement à son pays d’origine.
Les multiples facettes du legs
Le legs Edward Steichen rassemble des photographies représentatives de la carrière de cet important photo- graphe du XXe siècle. La sélection de 178 pièces rend compte de la plupart des facettes (paysage, portrait, mode, publicité, spectacle, art, nu, nature morte) de l’artiste 9. Comme les diverses photographies ne peuvent être appréciées à leur juste valeur qu’à travers leur intégration dans la vie du protagoniste, nous allons illustrer notre propos à l’aide de quelques exemples. La biographie de Steichen est très dense, mais il est tout de même possible de la diviser en trois grandes périodes de travail, ponctuées par les deux guerres mondiales. L’existence de Steichen fut en e et radicalement transformée par chacun de ces deux événements historiques.
Les débuts. En 1881, la famille Steichen émigre du Grand-Duché vers les États-Unis (Hancock, Michigan) où elle s’installe à Milwaukee, Wisconsin. Très tôt, à l’âge de 16 ans, Edward réalise son premier cliché et en 1899, il expose pour la première fois au 2e Salon de la photographie de Philadelphie. Plusieurs photographies de famille illustrent cette période, elles représentent Steichen lui-même, mais également di érents membres de sa famille tels que ses parents, sa sœur Liliane Steichen, plus tard son beau-frère Carl Sandburg (1878-1967), ses épouses, ses deux lles et ses petits-enfants.
Au tournant du siècle, Steichen se rend à Paris où il rencontre entre autres le photographe Alfred Stieglitz (1864-1946). Il y reste pendant plusieurs années et ouvre un studio au Quartier latin. Il se mêle à la communauté artistique et travaille avec des artistes tels que Paul Cézanne (1839-1906), Henri Matisse (1869-1954), Constantin Brancusi (1876-1957) et Auguste Rodin (1840-1917). Il trouve de nouveaux motifs et réalise par exemple plusieurs séries de photographies de l’atelier de Rodin entre 1902 et 1908, dont le très mystérieux Balzac (1908). À Londres, il participe à l’exposition The New School of American Photography organisée par le photographe et éditeur américain Fred Holland-Day (1864-1933), représenté d’ailleurs dans le legs sur le portrait intitulé Solitude – F. Holland Day. Au cours de cette période, Steichen photographie de nombreuses autres personnalités (série Great Men) de l’époque, tels Anatole France, Richard Strauss ou encore George Bernard Shaw. Ainsi, les portraits d’artistes, d’acteurs et d’écrivains dominent l’ensemble et témoignent de la grande sensibilité de Steichen pour l’être humain.
Représentant du pictorialisme. De retour aux États- Unis, en 1902, Steichen participe à la fondation de la Photo-Secession, groupe de photographes qui étaient les premiers aux États-Unis à vouloir faire reconnaître la photographie comme un art à part entière. Steichen conçoit la couverture de son magazine trimestriel Camera Work. La publication démontre la vigueur de la photographie dans le contexte de l’art moderne et révèle également l’art de l’avant-garde. Vingt-deux photographies du legs Steichen ont été publiées dans la Camera Work.
Plusieurs photographies pictorialistes font partie de la collection au MNHA, comme par exemple le e Big White Cloud, Lake George, New York, de 1903 ou le célèbre Moonrise – Mamaroneck, New York de 1904. En 1910, dans sa ferme à Voulangis en France, il étudie la génétique orale et commence à cultiver des delphiniums hybrides (pieds d’alouette), qu’il déclare plus tard être «une forme d’art». Nous retrouvons plusieurs photos dont les Heavy Roses de 1914 qui datent de cette période.
Au service du militaire. Durant la Première Guerre mondiale, de 1917 à 1919, Steichen dirige le service de reconnaissance photographique aérienne de l’armée américaine. Vingt-cinq ans plus tard, lors de la Seconde Guerre mondiale, il reprend les mêmes fonctions dans les rangs de la marine. Les photographies de guerre n’ont pas été reprises dans le legs.
Photographe de mode. Après la guerre, en 1923, Steichen devient photographe en chef chez Condé Nast (Vanity Fair, Vogue) et il commence à travailler pour l’agence de publicité J. Walter ompson. Il témoigne d’une sensibilité artistique sans précédent dans le portrait de presse et modernise la photo de mode. En e et, une caractéristique importante des photographies de Steichen est un dynamisme qui provient du recours novateur à l’éclairage et aux fonds, permettant de créer des environnements résolument modernes pour la mise en valeur de ses sujets. Contrairement à ses images de jeunesse, qui comportent un éclairage doux et naturel, ses photographies postérieures sont dé nies par une lumière arti cielle forte et directe.
Le patrimoine d’un portraitiste
De nos jours, Edward Steichen est considéré comme l’un des meilleurs photographes portraitistes du XXe siècle. Son travail dans ce domaine s’étend sur une période de trente ans, allant d’images picturales – sensuelles et artistiquement oues – publiées dans le magazine Camera Work, aux portraits détaillés, nets et précis, produits pour Vogue et Vanity Fair.
À travers l’œuvre de Steichen, il est possible de suivre l’évolution du portrait photographique d’un outil documentaire vers une forme d’art indépen- dante. Mais le photographe était aussi à la pointe de la technologie en photographie, et plusieurs photographies en couleurs témoignent de son travail expérimental dans ce domaine. Les photographies conservées au MNHA reprennent la plupart des catégories représentatives de la riche carrière artistique décrites ci-dessus et témoignent des multiples talents d’Edward Steichen. Grâce à ce prestigieux legs, dont une sélection de 20 œuvres est exposée en alter- nance, le visiteur peut découvrir l’œuvre multifacette du photographe originaire du Luxembourg non seulement dans son accrochage permanent, mais aussi à travers des expositions temporaires à l’étranger.
[1] Un legs est une disposition à titre gratuit faite par testament et prenant effet au décès du testateur.
[2] Pour les deux articles précédents, voir: Reitz, A., «Kurator mit Künstlerkern» in: forum 366, 2016, p. 53-55.; Reitz, A., «Das Erbe der Steichen Collections. Eine Interpretation der Sammlungen am CNA », in : forum 367, 2016, p.58-61.
[3] Pour plus d’information, voir : www.steichencollections.lu
[4] Le MNHA a décidé de restaurer l’ensemble du legs en 2012.
[5] Plusieurs expositions importantes ont vu le jour en Europe : au The National Museum of Photography à Copenhague au Danemark (en 2012-2013), au H2 – Zentrum für Gegenwartskunst im Glaspalast à Augsburg en Allemagne (en 2014), au Latvian National Museum of Art à Riga en Lettonie (en 2015), pour ne citer que les récentes.
[6] Concernant le legs Edward Steichen, voir: Steichen, J.T., « Edward Steichen » in : Image. Journal of Photography and Motion Pictures of the International Museum of Photography at George East- man House, vol. 26, n°3, sept. 1983, p. 1-29.
[7] Un catalogue raisonné des photographies d’Edward Steichen du MNHA est en cours de préparation.
[8] Ministère des Affaires culturelles, Legs Edward Steichen, Luxem- bourg, 28 juin 1985.
[9] Edward Steichen a joué un rôle essentiel notamment en intro- duisant l’art moderne aux États-Unis au début du XXe siècle. Voir: Conférence de Dr Gerd Hurm, «Picasso Meets Steichen. The ‹Lët- zebuerger Jong› who Introduced Modernism to the New World», Musée national d’histoire et d’art, 16.06.2016. À l’âge de 16 ans, Edward réalise son premier cliché et en 1899, il expose pour la première fois au 2e Salon de la photographie de Philadelphie.
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