Un musée de et pour la résistance

Résistance 1.0

A peine 10 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les souvenirs du conflit et de l’oppression, autant que ceux des actes de résistance, étaient encore frais. En 1956, lors de l’ouverture du Musée national de la Résistance, ses fondateurs – la section locale de la LPPD1 sous l’égide d’Edouard Barbel – puisaient leur inspiration « dans le patrimoine de la Résistance héroïque de notre peuple, [s’inspirant] des souffrances horribles, subies au cours de l’invasion et de l’oppression allemandes ».2 Le musée devint un « temple du Souvenir, le mausolée des morts de la Résistance »3 et fut considéré comme « la digue dressée contre l’oubli fatal, (…) une résurrection constante de ce que nous ne devons jamais oublier – la lutte d’un petit pays contre les démons de l’esclavage ».4

Lisible en grandes lettres sur la façade du musée, une inscription résume jusqu’à aujourd’hui la valeur du musée et du monument aux morts, considérés comme indissociables. « Honneur à ceux qui par leur résistance héroïque pendant l’occupation ont donné leur vie pour la sauvegarde de notre indépendance »5 A l’époque, les quelques panneaux d’exposition disposés à l’intérieur de ce musée–sanctuaire renonçaient à toute explication historique.

Ce n’est qu’au milieu des années 1980, sous l’impulsion du ministre de la Culture et ancien concentrationnaire Robert Krieps, que l’exposition permanente fut renouvelée. A cette époque, il y avait conscience que la jeunesse n’avait plus le bagage nécessaire pour contextualiser et pour comprendre l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Néanmoins, les responsables de la LPPD et des associations patriotiques bloquèrent l’initiative des historiens Serge Hoffmann et Henri Wehenkel, en charge du contenu, de traiter la montée du fascisme, l’antisémitisme, la loi muselière et l’engagement des brigades internationales en Espagne. Ils « passent sous silence, voire censurent ces […] chercheurs si leurs résultats contredisent l’image d’une nation unie » 6, réclamant quasiment un monopole d’interprétation du terme résistance. Après la réouverture du musée en 1987, le parcours muséal expliquait aux visiteurs les événements au Luxembourg à partir du 10 mai 1940, le jour de l’invasion. La nouvelle exposition ne prenait donc pas en compte la situation du Luxembourg des années 1930, une période pourtant importante pour comprendre les événements de la Seconde Guerre mondiale et de l’après-guerre.

Le musée, son nom et ses missions

Au moment de prendre en main la destinée du Musée national de la Résistance, en 2008, l’une de mes premières réflexions concerna son nom, qui me semblait réducteur, lié à un sujet certes important, mais non représentatif par rapport à la complexité de cette période. D’autant plus que son contenu en faisait, de fait, un musée de et sur la Seconde Guerre mondiale.

Par leur définition, les musées historiques traitent le passé. La résistance, elle, est universelle et intemporelle. Même si, dans notre système politique démocratique, elle joue un rôle moindre, elle est toujours d’actualité. Et comme il est essentiel de créer des liens entre le passé et l’actualité, il s’est vite avéré que le nom du musée n’était quand-même pas si mal choisi. Même si le sens du terme résistance a évolué depuis les années 1950.

Aujourd’hui – et cela restera valable dans le contexte de son renouvellement qui s’achèvera en 20217 – les missions du musée consistent « à acquérir, conserver, étudier, exposer et transmettre le patrimoine culturel [et historique] à intérêt national à des fins d’études, d’éducation et de délectation, […] par rapport à la Seconde Guerre mondiale et, par extension, par rapport aux événements et évolutions d’avant- et d’après-guerre, et aux autres épisodes historiques et actuels ».8 L’institution contribue « à l’éducation permanente à la citoyenneté et aux valeurs démocratiques humanistes, par la thématisation de sujets d’actualité en relation avec, entre autres, le racisme, la violence sous toutes ses formes, les violations des droits de l’Homme et les crimes contre l’humanité », et sensibilise « le public par rapport aux droits de l’Homme, à la responsabilité politique individuelle, aux droits et devoirs civiques »9.

Dans la logique de cette multitude de tâches, il est nécessaire d’adapter nos démarches. Même si elle reste à la base du travail muséal, la simple transmission de savoir n’est plus suffisante. Ce qui importe, plus que dans les années 1950 et 1980, c’est la conscience qu’il y a nécessité de tisser des liens avec l’actualité, avec le monde d’aujourd’hui, avec les évolutions sociétales actuelles, afin de rendre accessibles et compréhensibles des faits qui sont désormais devenus « historiques ». D’autres conflits ont succédé à la Seconde Guerre mondiale. Même si l’occupation nazie du Luxembourg et les réactions de la population resteront au cœur de la muséographie de l’exposition permanente, celle-ci dégagera une universalité liée à des phénomènes inhérents à tout régime dictatorial et d’oppression. Les formes de répression, les conséquences et les réactions qui en résultent n’ont pas fondamentalement évolué au cours du dernier siècle, pas plus que l’opposition et la résistance.

Question de définitions

Ceci nous amène vers une question fondamentale, à laquelle le visiteur du nouveau musée sera confronté dès l’entrée : Que veut dire résistance en général, et dans l’optique du musée ? Avant d’analyser cette question, il serait utile de se rendre compte de la complexité de l’utilisation de certains termes, de leur utilisation parfois très approximative ou abusive – souvent dans une optique de manipulation ou de désinformation. Prenons l’exemple du terme génocide. Il est vrai que la définition de l’ONU de 1948 ne fait pas l’unanimité. Son utilisation excessive par des régimes autoritaires aussi bien que des minorités, mais surtout par des identitaires, qui dénoncent « la tentative de génocide, d’élimination démographique et culturelle »10, des peuples européens par nos propres élites et l’administration européenne11, montre cette problématique.

Pour le terme résistance, la situation est différente. Au Luxembourg et en Europe de l’Ouest, certains ont tendance à connoter le terme d’un jugement moral ayant ses origines dans la Seconde Guerre mondiale, correspondant aux actions des victimes, des « bons », obligés de se défendre contre les agresseurs, les « méchants », les nazis. C’était aussi l’optique des fondateurs du Musée. Aujourd’hui, nous ne pouvons et ne voulons pas nous adonner à une approche simpliste en noir et blanc. De plus, la plupart des définitions du terme résistance ne se basent pas sur des considérations éthiques. Il en est de même par rapport à l’usage général qui en est fait, ce qui se confirme par une simple recherche sur le net. Des sites et des pages facebook néonazis et homophobes12 revendiquent le terme aussi bien que des pages antiracistes/antifascistes13 ou des sites mémoriels en rapport avec la Guerre. S’y ajoutent des pages de différents bords politiques, de syndicalistes, d’initiatives citoyennes, d’activistes religieux, d’anarchistes, de Reichsbürger, qui font résistance ou qui appellent à la résistance, et des sociétés commerciales qui ont reconnu le potentiel de communication du terme.

Résistance 2.0

La résistance, dans le sens du musée, est obligatoirement liée à la notion de droits de l’Homme, respectivement à leur violation. Dans une optique d’éducation à la citoyenneté, les expositions et manifestations récentes (et futures) du musée soulignent cette approche. A partir de 2021, elle sera aussi intégrée dans son exposition permanente, et possiblement dans son nom.

Dans les années 1980, le « temple » érigé 30 ans auparavant en honneur aux résistants contre le National-socialisme se transforma en un lieu expliquant et contextualisant les actions de ces mêmes résistants. Aujourd’hui, et suite à l’évolution sociétale et politique, le musée historique est de nouveau contraint à s’adapter. L’Union européenne, que nous croyions protégée de telles évolutions, voit actuellement ressurgir des populistes, voire des extrémistes de droite qui, ayant un large soutien populaire, ont accédé au pouvoir. Des politiciens comme le ministre de l’Intérieur italien Matteo Salvini ou son homologue autrichien Herbert Kickl s’en prennent ouvertement à des minorités et des demandeurs de protection internationale ou demandent l’abolition de la séparation des pouvoirs14. Même si de telles attaques au droit international et aux valeurs humanistes se font rares au Luxembourg, elles existent.

Le musée se doit d’aborder de tels sujets, d’y confronter ses visiteurs et ceux qui le suivent dans les médias sociaux, mais aussi de prendre position par rapport à des actes racistes ou xénophobes, des discriminations et des violations des droits humains. Le musée analyse et explique, mais il défend aussi les valeurs humanistes qui forment la base de notre société démocratique.

De temps à autre, on reproche au Musée national de la Résistance de ne pas être neutre. Ma réponse est immédiate : dans de tels cas, il ne doit pas être neutre ! Nous ne devons pas être neutres ! La société ne doit pas être neutre ! Les droits de l’Homme ne sont pas neutres ! Respectons-les.

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