Pour la première fois depuis 23 ans, un président français est venu rendre visite à notre pays. Il est arrivé le matin du 6 mars et reparti le soir même, comme le font 80000 de ses compatriotes tous les jours. Il a eu droit à la visite de la SES, au chantier bien avancé de la Cité des Sciences à Belval. Il a pu mesurer la proximité de la frontière française et même peut-être celle de la centrale nucléaire de Cattenom. Il a pu rencontrer un président-Grand-Duc ainsi que les représentants de notre gouvernement. Il n’y a pas eu de bain de foule faute de foule intéressée par le personnage, ni d’enfants avec des drapeaux. La France et M. Hollande ne font pas rêver les habitants du Luxembourg.

Entre le Luxembourg et la France, on a pu longtemps parler d’une liaison amoureuse à sens unique. Les élites luxembourgeoises s’étaient, dès le 19ème siècle, résolument ancrées intellectuellement aux côtés de la Grande Nation. L’utilisation de la langue française se prêtait bien pour faire la distinction entre le peuple ordinaire (parlant seulement le Luxembourgeois) et la classe économique et administrative dirigeante ayant fait son éducation à l’Athénée du Luxembourg et à l’Université de Strasbourg.

Après la guerre, on se plaisait à lire Le Monde dans les ministères et il était de bon ton dans les lycées de faire comme si la jeunesse du pays était francophone. Que la France ait essayé d’acheter le Luxembourg en 1867, que les troupes françaises soient intervenues en 1918 aux côtés de l’ordre monarchique et que la France ait rejeté froidement l’union douanière demandée par le Luxembourg en 1919 a été relégué aux oubliettes. Pour les Luxembourgeois, la France était le pays des maquisards, des philosophes engagés, d’une certaine gauche politique et de l’art de vivre.

L’idylle s’est effritée à partir des années 90 du siècle dernier. L’utilisation massive de main d’oeuvre frontalière française (et dans une moindre mesure belge), ainsi que l’immigration continue de travailleurs portugais, a changé la carte linguistique du pays. Le bas peuple autrefois luxembourgeois est devenu à majorité francophone, pendant qu’une grande partie des autochtones se réfugie dans les services de l’État et des communes pour administrer une croissance vertigineuse. La langue luxembourgeoise a finalement pris la place du français comme instrument de ségrégation et d’exclusion sociale, d’abord dans les écoles puis dans la vie de tous les jours.

Dans les écoles justement, la langue de Molière est devenue un problème et l’éducation secondaire administrée en français un leurre. D’un côté, des professeurs de mathématiques ou de géographie au français rudimentaire qui préfèrent depuis longtemps enseigner en catimini en luxembourgeois (en conservant le français pour les examens, dans un vocabulaire non assimilé par les étudiants). De l’autre, des professeurs de français formés à la littérature et peu aguerris à la didactique de la langue. On connaît le résultat: le français est devenu «le problème» de l’école luxembourgeoise pour les autochtones comme l’allemand est «le problème» pour tous les autres. Arrive la solution: l’anglais…

Aujourd’hui les élites luxembourgeoises envoient leur progéniture en Angleterre ou en Écosse pour faire leurs études universitaires, si elles n’ont pas carrément déjà opté dès le lycée pour une école internationale au Luxembourg. Dans ces conditions, trouver un jeune universitaire luxembourgeois capable d’écrire le français de manière correcte est une gageure. Ainsi, depuis quelques années, la qualité des textes administratifs, réglementaires ou même législatifs du Grand-Duché ne peut plus être garantie.

Parallèlement, la France découvre que le traité de Maastricht comportait un chapitre sur la liberté des capitaux et que la marge de manoeuvre de ses gouvernements s’est de plus en plus réduite. Une lente descente aux enfers sur les fronts économique, social et identitaire fait entretemps de la France l’Homme malade de l’Europe. Le Luxembourg devient l’un des boucs émissaires du discours politique français, instrumentalisé à volonté et sans retenue. Notons entre parenthèses que les accusations sont généralement justifiées mais d’une hypocrisie parfaite vu la position de la place de Paris dans l’écosystème financier qui la lie aux pays francophones de l’Afrique de l’ouest. Jusqu’au changement de gouvernement en 2013, le Luxembourg n’a pas trouvé la parade et a détruit, par ses maladresses, son obstination et ses hésitations, une bonne partie de sa crédibilité européenne.

Désormais, la France n’a plus cette importance pour le Luxembourg. Elle n’est qu’un partenaire économique de second plan (10,4% des importations, 15,5% des exportations), ses Universités n’y sont plus un modèle, sa vie intellectuelle n’y a plus de grande résonnance. Et le gouvernement luxembourgeois a mandaté une agence de relations publiques basée à Londres et non à Paris pour veiller à la réputation de sa place financière…

Aujourd’hui la France ferait même peur. Entre l’anti-modernisme affiché d’une grande partie de sa population (qui sent avec justesse que l’intégration européenne et la globalisation font de la France un pays de consommateurs sans travail) et le pro-américanisme naïf de son élite traditionnelle, de nouvelles forces politiques prennent place. Le Front National galvanise les laissés-pour-compte et les frustrés des campagnes françaises. Les salafistes et autres islamistes infiltrent les cités. À Paris intra muros, les anciens des grandes écoles continuent à jouer leur petit jeu médiatique comme si de rien n’était. Le système politique verrouillé par Charles de Gaulle et les énarques reproduit une façon de faire et de penser complètement inadaptée à l’époque et à la situation.

Une économie atone, un marché du travail absurde, des partis politiques tétanisés par la puissance des corporations, des dissensions sociales si fortes que l’on peut parler d’une sorte de guerre civile non déclarée, la France s’installe dans un état de crise permanent. Pour le Luxembourg, la France est devenue un voisin à l’image des réacteurs fissurés de Cattenom…
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