C’est en septembre 1982, à Naples, lors de la 1re réunion informelle des ministres de la Culture de la Communauté européenne, que la ministre grecque Melina Mercouri (la Grèce était devenue en janvier 1981 le 10e membre de la Communauté européenne), a proposé l’idée de nommer chaque année une autre ville «ville européenne de la culture». Dans l’esprit de Melina Mercouri, il s’agissait de rapprocher les peuples européens entre eux, mais aussi de rapprocher les citoyens européens de ce qui allait devenir l’Union européenne. Cette idée, soutenue dès le début par le ministre français Jack Lang et par le Franco-Luxembourgeois Robert Grégoire qui dirigeait le secteur culturel à la Commission européenne, fut adoptée officiellement en 1985 et Athènes fut déclarée 1re Ville européenne de la culture, pour la même année.
Aujourd’hui, 30 années et plus de 50 villes/capitales de la culture plus tard, Esch-sur-Alzette s’apprête à poser sa candidature pour devenir, en 2022, «Capitale européenne de la culture», après Luxembourg en 1995 et Luxembourg/Grande Région en 2007. Depuis 2014, le «cahier des charges» d’une Capitale européenne de la culture1 est devenu beaucoup plus contraignant. Il ne s’agit plus seulement de proposer quelques objectifs artistiques et culturels, de mobiliser les secteurs culturels et créatifs et de stimuler le dialogue interculturel. L’inclusion sociale et l’égalité des chances figurent désormais parmi les objectifs, tout comme la dimension culturelle de l’éducation, de la recherche, de l’environnement, du développement urbain et du tourisme. Il est demandé aussi de toucher un public plus large, d’associer «la zone environnante», d’impliquer le plus largement possible l’ensemble des composantes de la société civile à l’élaboration et à la mise en œuvre du programme et de «renforcer le sentiment d’appartenance à un espace culturel commun». Tout cela dans le souci de développer «une stratégie à long terme, ayant une incidence durable sur le développement économique, culturel et social local».
Les défis qui attendent Esch – Capitale européenne de la culture 2022 sont donc multiples et difficiles à relever.
Il y a d’abord le défi de la mutation/métamorphose sociétale dans laquelle nous sommes engagés. Les concepts nouveaux fleurissent: 3e révolution industrielle (Jeremy Rifkin) voire 4e révolution industrielle (Klaus Schwab, Davos), économie circulaire et partagée, économie sociale et solidaire, «capitalisme liquide» (Zygmunt Bauman), développement durable (qui nous demande non seulement de trouver un équilibre durable, équitable, viable et vivable entre l’économie, le social et l’environnemental, mais implique aussi la responsabilité d’un bien commun à partager avec le reste de la terre et avec les futures générations). À Esch-sur-Alzette, nous sommes passés de hauts-fourneaux florissants aux Maisons du Savoir de l’Université, en passant par des friches industrielles et urbaines. La question qui se pose – et pas seulement à Esch – est: quel type de société voulons-nous construire et devenir?
Il y a ensuite le défi des changements profonds que nous vivons aujourd’hui au niveau des villes: on parle de villes en transition et en résilience2, de smart city et d’éco-quartiers, d’urban culture et de cités créatives (Richard Florida), tout comme on met en évidence l’écologie de la ville et la nécessité d’inventer de nouvelles mobilités. Une «Capitale européenne de la Culture» ne saurait, en tout cas, se limiter à une opération de city branding. Au-delà de la volonté tout à fait justifiée de donner une autre image de la ville, elle implique une réflexion en profondeur sur la Cité du futur que veulent les Eschois. Elle comporte aussi la nécessité, pour les Eschois et leurs responsables politiques, d’inventer leur propre contemporanéité, sur la base d’une identité redéfinie et renégociée à partir des influences entrecroisées, asymétriques, parfois contradictoires.
On pourrait ajouter à ce défi qui implique urbanisation et mobilités plurielles celui de la métropolisation ou, de manière plus générale, l’étendue territoriale que la ville d’Esch veut donner à sa candidature. Quelles autres villes du Minett et du Sud vont être parties prenantes du projet? Quelle place sera donnée à des structures plus régionales, telles que Pro-Sud, l’Office régional du tourisme Sud, la Fondation Bassin Minier, etc. qui ont déjà signalé leur volonté de participer activement à 2022? Enfin, quid d’une coopération organique avec des structures telles que le Centre national de l’audiovisuel, opderschmelz ou 1535 °C (et les industries créatives en général), sans même parler de la Kufa, de la Rockhal et de l’Université, implantées à Esch?
Il y a aussi – évidemment – le défi proprement culturel, qui est sans doute le plus difficile. D’une part, parce qu’il faudra éviter de reprendre tel quel un «modèle» de Capitale européenne de la culture. Il n’y en a pas, même si l’on peut s’inspirer de l’une ou l’autre action tentée avec succès ailleurs, en considérant le contexte nécessairement différent. On ne saurait faire l’économie d’un grand concours d’idées et d’une ouverture aussi large que possible, p.ex. dans le cadre de «Zukunftswerkstätten» (Robert Jungk), à la créativité et à l’inventivité des artistes, des acteurs culturels, des universitaires – chercheurs et étudiants – , des entrepreneurs, des «activistes» du développement durable et de la Transition, etc. D’autre part, il faudra éviter de trop donner dans l’événementiel et la «festivalité», évidemment plus visibles et gratifiants pour des élus, aux dépens d’actions culturelles en profondeur, p.ex. auprès des réfugiés et des immigrés ou auprès d’autres groupes marginalisés et défavorisés.
Il y a, aussi, le défi opérationnel. Esch dispose de quelques semaines pour soumettre sa candidature. Il reste ensuite 5 ans pour tout préparer, en prenant en considération qu’il y aura en 2017 les élections communales et en 2018 les élections nationales, dont on sait qu’elles sont plus favorables à des polarisations qu’à des projets a priori consensuels et portés par le plus grand nombre. Mais le temps ne devrait pas être une excuse pour ne pas tenter une approche vraiment bottom up de la Capitale européenne, en situant cette année 2022 dans une approche stratégique à long terme et participative, en commençant par une analyse SWOT (forces et faiblesses, opportunité et risques) de la culture à Esch et dans le Sud du pays et en terminant par la mise en place d’un plan de développement durable allant au-delà de 2022.
Il y a, enfin, le défi des ressources, tant humaines que financières. Les premières négociations pour trouver un budget adéquat semblent déjà en route, tant avec le ministère de la Culture qu’avec d’autres villes du Sud du pays. Esch devra sans doute faire appel aussi au mécénat, aux entreprises et au crowdfunding. Elle devra surtout ne pas oublier qu’on peut aussi proposer une Capitale européenne de la culture qui ne soit pas nécessairement plus chère et plus highlight que les capitales précédentes. Pourquoi ne pas prendre le parti, dès maintenant, de «faire moins», mais de le faire «autrement», en offrant un espace ouvert aux artistes et aux acteurs culturels de la région, en promouvant un vaste forum d’échange d’idées aux universitaires, aux chercheurs et aux intellectuels, en libérant les forces créatives de la région et du pays, non seulement auprès des individus, mais aussi auprès du tissu associatif social et culturel, en utilisant au maximum les réseaux européens d’artistes et de structures, pour créer un vaste espace interculturel et interactif, dynamique et «durable», qui table plus sur la création de nouveaux savoirs et savoir-faire et sur de nouveaux modes de vivre-ensemble, dans une citoyenneté renouvelée, que sur les highlights et autres events.
Le dossier que nous présentons ci-après ne saurait donner une réponse à toutes les questions soulevées ci-dessus. Il donne la parole à Vera Spautz, la Bourgmestre d’Esch-sur-Alzette et à deux de ses principaux conseillers, pour nous montrer l’engagement de toute l’administration communale dans ce projet 2022. Revenant aussi sur les expériences de Ruhr 2010 et la préparation de San Sebastian (2016), il dessine quelques pistes de réflexion et d’action, tant sur les orientations à donner que sur les processus à mettre en place.
La Ville d’Esch-sur-Alzette est aujourd’hui décidée à relever ces défis et à dire, à la manière obamienne ou merkelienne: yes we can. Ja, wir schaffen das!
Pour cela, elle mérite le soutien actif de tous ceux qui s’intéressent à la vie culturelle dans notre pays.
Raymond Weber (en coopération avec Anne Schaaf)
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