Une Constitution made in Luxembourg?

Trois propositions pour l'amélioration de la garantie constitutionnelledes droits fondamentaux

«La garantie des droits et libertés à travers la constitution serait-elle devenue superflue?»1. C’est la question que pose Jörg Gerkrath en examinant la refonte de la Constitution dans le contexte international, marqué par une multiplication de traités en matière de droits de l’homme. Contrairement à l’auteur, les membres de la Commission des institutions et de la révision constitutionnelle de la Chambre des députés semblent en effet être d’avis que des garanties spécifiquement «luxembourgeoises» feraient double emploi2.

Rejetant tant la référence aux engagements européens et internationaux qu’un développement du catalogue des droits garantis, le projet de Constitution laisse l’impression d’une loi fondamentale in-aboutie, un texte abstrait qui ne donne aucune indication claire aux citoyens sur les droits dont ils bénéficient concrètement. Dans ce contexte, il n’est pas évident que — malgré la procédure référendaire — la population se ralliera à sa nouvelle Constitution. En effet, afin qu’une telle adhésion populaire se concrétise, il ne suffit pas d’un texte venant enregistrer une longue tradition ou traduisant le plus petit dénominateur commun. Le constituant ne saurait pas non plus se contenter d’un texte qui reflète de façon neutre l’état actuel du droit, mais devrait élaborer, à travers la Constitution, un projet d’avenir pour la communauté politique. Les particularités du Grand-Duché que l’on aurait ainsi pu consacrer — de son modèle social aux récentes avancées sociétales — ne manquent pas. Malheureusement, les députés préfèrent pour l’instant se contenter d’une démarche fort peu ambitieuse: reprendre des dispositions classiques non à jour des avancées jurisprudentielles qui sont venu les concrétiser, en les parsemant de timides (bien que nécessaires) avancées ponctuelles, à l’exemple du droit d’asile, de la protection des données ou du droit de pétition.

Dès lors, la Constitution restera un instrument insignifiant pour la plupart des citoyens, l’émergence d’une identité constitutionnelle luxembourgeoise protectrice des droits fondamentaux étant par ailleurs peu probable. Or, ce n’est pas une fatalité: je me limiterai ici à une esquisse de trois types de dispositions (parmi d’autres possibles) qui pourraient donner corps à la loi fondamentale.

Tout d’abord, le constituant pourrait préciser les caractéristiques constitutives de l’État, lesquelles sont déterminées dès les premiers articles de la Constitution. Au regard de l’importance généralement accordée au modèle social luxembourgeois, le refus de caractériser le Grand-Duché comme «État social» à l’image du Grundgesetz allemand3 et ainsi que l’ont proposé Déi Lénk est une lacune déplorable. Cette disposition pourrait en effet, entre autres, venir renforcer les nombreuses dispositions réduisant les droits sociaux à des objectifs à valeur constitutionnelle. Par ailleurs, il aurait été judicieux d’insérer des dispositions guidant la conduite des relations internationales. Il conviendrait de souligner particulièrement l’importance de défendre et de promouvoir, dans le cadre des relations diplomatiques, les principes démocratiques, l’État de droit et les droits fondamentaux par ailleurs proclamés comme étant au fondement de notre société politique. Certes, ces dispositions ne seraient peut-être pas directement applicables. Néanmoins, en tant que principes directeurs, elles ne seraient pas non plus dénuées de toute valeur juridique et auraient en tout état de cause une valeur politique et symbolique importante.

Ensuite, on ne peut que regretter que le constituant néglige la consécration constitutionnelle des dernières avancées législatives tout à fait majeures en matière sociétale. Deux exemples en particulier viennent illustrer la lacune. D’une part, on voit mal pourquoi le constituant s’abstient de protéger le mariage, à la fois entre couples hétéro- et homosexuels. Il existe en effet un large consensus politique sur la question, qu’une garantie constitutionnelle stabiliserait tout en donnant une orientation clairement progressiste à la loi fondamentale. D’autre part et surtout, la lacune majeure du catalogue des droits est l’absence d’un droit à la vie. On reconnaîtra qu’il serait difficile de bénéficier des autres droits si celui-ci pouvait être violé en toute impunité. Alors que le choix n’est pas motivé, il semble être dû à la frilosité des députés, craignant qu’une telle disposition fragiliserait la législation concernant le droit de mourir dans la dignité et l’interruption volontaire de grossesse. Or, voilà précisément un champ dans lequel le Luxembourg aurait pu innover en consacrant à la fois, d’un côté, le droit à la vie et, de l’autre côté, le droit de mourir dans la dignité et l’IVG au niveau constitutionnel. Les jurisprudences constitutionnelles étrangères tout comme la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ne contredisent pas l’idée. Protéger ces droits par une même disposition constitutionnelle serait sans aucun doute un signal fort. Il ne faudrait pas prétexter du caractère politiquement sensible d’une telle consécration afin de justifier un refus: une Constitution substantiellement riche et progressiste semble en effet plus pertinente qu’un document creux adopté sans aucune contestation ni aucun débat.

Enfin, l’on sait les ravages qu’a provoqué l’affaire autour des mesures de surveillance illégales du service de renseignement, ainsi que les promesses subséquentes du gouvernement en ce qui concerne la transparence. Seulement, si le terme est en vogue, il n’a pour l’instant donné lieu qu’à d’assez minces codes de déontologie pour les députés et ministres. L’absence de cadre législatif concernant l’accès aux documents administratifs, la difficulté d’accès aux archives pour les chercheurs récemment soulignée dans le cadre du rapport Artuso sur la collaboration de l’administration luxembourgeoise pendant l’occupation allemande ainsi que les inquiétants projets prévoyant la destruction pure et simple des archives actuelles et futures du SREL sous prétexte de la protection de la vie privée soulignent toutefois surtout une chose, à savoir la nécessité pressante d’un principe conférant une portée juridique à la transparence. Il serait ainsi judicieux de garantir non seulement la protection des données privées, mais également, au titre du droit à la réception et à la communication des informations, l’accès aux documents administratifs, et plus particulièrement l’accès aux archives, la loi venant équilibrer les droits en présence.

Ce ne sont là que quelques pistes, d’autres choix pouvant à l’évidence être faits et d’autres priorités établies. L’essentiel, c’est d’abandonner le consensualisme conservateur en faveur d’une démarche plus audacieuse donnant lieu à une Constitution en phase avec les exigences contemporaines en termes de protection des droits fondamentaux.

1. J. Gerkrath, «La proposition de révision dans le contexte international: la garantie constitutionnelle des droits fondamentaux serait-elle devenue superflue? Quelques remarques à propos de la notion des droits fondamentaux, de leur formulation et de leur protection», Actes de la Section des sciences morales et politiques de l’Institut grand-ducal, Luxembourg, vol. 14, 2011, p. 197-219.
2.Ainsi que le confirme P.-H. Meyers, «Les droits fondamentaux dans la Constitution luxembourgeoise», in J. Gerkrath, La refonte de la Constitution luxembourgeoise en débat, Larcier, Bruxelles, 2010, p. 66.
3.L’article 20§1 du Grundgesetz est rédigé de la manière suivante: «Die Bundesrepublik Deutschland ist ein demokratischer und sozialer Bundesstaat».

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