There Is No Evil de Mohammad Rasoulof

Moins connu du public que Jafar Panahi (Taxi Téhéran, Trois visages), Mohammad Rasoulof est l’autre grand cinéaste iranien. Comme Panahi, il est dans l’impossibilité de quitter le territoire iranien, est régulièrement condamné à des peines de prison que le régime laisse ensuite planer au-dessus de lui telle une épée de Damoclès, et se voit systématiquement refuser les permis de tourner. Mais tout comme Panahi, Rasoulof réalise malgré cette censure des films. Son dernier, There Is No Evil, actuellement sur nos écrans, a reçu en 2020 l’Ours d’Or au Festival de Berlin.

Baran Rasoulof, la fille du cinéaste, interprète le personnage principal dans l’un des épisodes (c) Films Boutique

Si There is No Evil est un film en quatre épisodes, c’est un effet direct de la censure iranienne. Celle-ci étant moins attentive aux courts métrages, les producteurs de Mohammad Rasoulof ont demandé – sans mentionner son nom – des permis de tournage pour quatre films courts. Trois ont été situés en-dehors de Téhéran pour donner à Rasoulof la possibilité d’être présent sur les tournages. Pour le premier qui se passe dans la capitale, davantage sous surveillance, il a donné des indications précises à son équipe afin qu’elle puisse travailler sans qu’il ne soit sur place.

Ce ne sont là que les conséquences les plus anodines de la résistance que Mohammad Rasoulof oppose depuis des années à la dictature iranienne. Résister ou collaborer, partir ou rester, sont les questions autour desquelles tourne toute son œuvre. Au revoir (2011) racontait l’histoire d’une avocate des droits humains qui voulait fuir l’Iran. Les manuscrits ne brûlent pas (2014) décrivait le système organisé de chantage et de pressions diverses mis en place par le régime pour s’assurer de la complicité et de la soumission des intellectuels. Et dans Un homme intègre (2017), le protagoniste refusait de participer à la corruption qui gangrène la société iranienne et finissait par en payer le prix fort. 

Le cinéaste lui-même est emprisonné dans son propre pays, forcé de louvoyer entre les failles du système pour travailler, séparé de sa fille Baran qui vit en Allemagne et a du mal à comprendre  pourquoi son père a fait le choix de la résistance plutôt que de rejoindre sa famille. Ce questionnement de la jeune femme est devenu le point du départ de There Is No Evil et Baran est venue en Iran pour interpréter le personnage principal dans le dernier épisode.

Le choix de la résistance

Rasoulof pose donc cette fois de façon frontale la thématique de la résistance en l’abordant par un exemple extrême : que feriez-vous si votre gouvernement vous ordonne de tuer ? La question n’est en soi pas originale, elle est souvent traitée avec un certain moralisme autosatisfait quand il s’agit de mettre en scène la « banalité du mal » et la « lâcheté », voire l’« inhumanité » du bon soldat ou fonctionnaire prêt à exécuter n’importe quel ordre, même s’il faut pour cela sacrifier son prochain.

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Mohammad Rasoulof opte pour une autre approche. A travers quatre histoires, il nous présente des personnages qui choisissent ou non de résister et les conséquences de ce choix sur leur propre vie et celle de leurs proches. Tous sont sommés d’exécuter un condamné à mort, de « retirer le tabouret » comme le répète l’un d’entre eux pour qui il ne s’agit pas tant de sauver le condamné à mort (qui sera exécuté de toute façon) mais de ne pas se faire l’exécutant de ce meurtre et d’ainsi vendre son âme au régime. Car en forçant des hommes à devenir bourreaux, le régime les prive de toute autonomie morale et les soumet à vie, manière perfide et radicale d’étouffer dans l’œuf toute velléité d’insubordination. En contrepartie, ceux qui se soumettent espèrent une vie sans histoires tandis que les autres perdront leurs droits, leurs rêves et leur famille.  

❝Rasoulof insiste sur l’idée que la résistance, si elle implique la renonciation à beaucoup de choses, apporte aussi une certaine sérénité et la satisfaction de ne pas avoir succombé à ce Mal dont le régime irannien veut rendre les citoyens complices.❞

Outre la thématique centrale, les quatre épisodes, filmés dans des styles, des tonalités et des décors différents, n’ont pas de lien direct entre eux mais le spectateur attentif découvrira des rimes, des résonnances, des mots et des gestes ou quelques notes de musique qui se répètent. Surtout, les quatre récits dialoguent entre eux par la façon dont le choix de chaque protagoniste fait écho à celui d’un autre, et dont ils expérimentent des possibles et ouvrent des perspectives. Dans ses interviews, Rasoulof insiste sur l’idée que la résistance, si elle implique la renonciation à beaucoup de choses, apporte aussi une certaine sérénité et la satisfaction de ne pas avoir succombé à ce Mal dont le régime irannien veut rendre les citoyens complices.

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Le plus conformiste des personnages est filmé dans la capitale polluée, symboliquement coincé dans les bouchons avec sa femme et sa fille tandis que ceux qui ont eu le courage de renoncer à cette vie-là vivent sereinement dans la nature ou au milieux de collines sans fin. Rasoulof filme même une joyeuse bien que sans doute illusoire échappée belle jamais vue jusqu’à présent dans son œuvre. Et comme pour mieux narguer la censure, le cinéaste exhibe devant la caméra de magnifiques cheveux féminins (ceux d’une petite fille), permet à un personnage féminin d’ouvertement rouspéter contre le port obligé du foulard et filme une scène d’amour à peine dissimulée entre un soldat et sa fiancée. On pourrait aussi relever combien, dans un film qui parle de l’acte de tuer, très connoté à la notion de virilité, tous les protagonistes masculins sont dépendants de femmes fortes qui viennent à leur secours quand ils sont malades, les soutiennent quand ils ont besoin d’aide et les apaisent quand ils ont peur.

Au-delà de la dénonciation très directe de la peine de mort en Iran – rappelons que c’est après la Chine le pays qui exécute le plus de prisonniers – Mohammad Rasoulof signe là une œuvre forte sur un concept qui interroge chacun et chacune de nous.

There Is No Evil passe actuellement dans les salles luxembourgeoises

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