«La France fournit le plus de frontaliers»

Un entretien avec Philippe Gerber, chargé de recherche au Luxembourg Institute of Socio-Economic Research (LISER), sur les personnes mobiles au Luxembourg

Quelles sont les différentes facettes de la mobilité au Luxembourg ? Qui sont les personnes mobiles?

Philippe Gerber: La population du Luxembourg croît beaucoup par l’immigration, mais cela vient surtout des personnes qui ont été mobiles parce qu’elles ont quitté leur pays d’origine. Elles viennent d’autres pays comme anciennement l’Italie ou plus récemment la France ou le Portugal – de plus en plus aussi de l’Europe de l’Est et d’Europe du Nord –avec le but de rester, au moins jusqu’à la retraite pour la plupart. On a aussi les mobilités «résidentielles», c’est-à-dire les personnes originaires de Lorraine, d’Allemagne, de la Sarre ou de la Wallonie qui s’installent au Luxembourg.

Évidemment, il ne faut pas oublier les mouvements pendulaires quotidiens des frontaliers et la mobilité qui se passe au Luxembourg même. Enfin, même si la population de ceux qui viennent travailler au Luxembourg pour une durée assez courte et qui repartent plus tard – on parle d’«expatriés» – est de plus en plus importante, ils ne demeurent pas très nombreux. Concernant les fonctionnaires et employés de l’Union européenne (UE), le cas est différent parce que souvent, ils restent sur place. C’est pourquoi, on ne parle pas d’expatriés dans le sens propre du terme. En effet, on retrouve plus les expatriés dans les grandes compagnies privées, les entreprises d’audit, etc.

Cette population a-t-elle, même si marginale, un impact sur l’espace urbain au Luxembourg?

P.G.: Même s’ils ne sont pas nombreux, l’impact se voit, avec des endroits précis où ils se ressemblent. On observe des phénomènes de distinction et le mélange n’est pas nécessairement souhaité: cette population ne cherche pas forcément un ancrage local, mais un ancrage multi-échelles.

Généralement, où s’installent d’abord les nouveaux arrivants au Luxembourg?

P.G.: A priori, Luxembourg-Ville est le premier choix et à partir de là, ils rayonnent. En effet, il est plus commode de s’installer là où il y a le plus de travail, de l’offre et du mouvement. Après, ils commencent à connaître mieux l’environnement résidentiel et le Luxembourg en général; certains vont donc souhaiter adapter leur espace de vie et déménager en milieu péri-urbain ou à la campagne. Le choix de s’installer ou non à Luxembourg-Ville dépend certainement aussi des moyens de financement. Néanmoins, la tendance de s’installer à Luxembourg-Ville plutôt qu’à la frontière domine.

Certains choisissent de quitter le Luxembourg et déménagent vers les régions limitrophes. Qui sont ces migrants qui de-viennent frontaliers?

P.G.: Dans la grande majorité, il s’agit de personnes qui retournent dans leur pays d’origine, comme par exemple des Français qui se réinstallent en France, ici en Lorraine, des Allemands qui retournent en Allemagne, en Sarre ou en Rhénanie-Palatinat, ou des Belges qui reviennent s’installer en Belgique, en Wallonie. Mais il y a également d’autres nationalités, comme les Portugais, qui ont plutôt tendance à aller en France, vu qu’il y existe déjà une communauté portugaise. Par contre, nombre de Luxembourgeois vont plutôt s’installer en Allemagne. Les motifs du déménagement sont très variés: souvent c’est pour avoir un logement plus grand ou devenir propriétaire, parfois les aspects culturels ou l’éducation des enfants sont également déterminants. On voit que ce n’est pas forcément parce que les personnes en question ont moins d’argent. Le nombre de ces nouveaux travailleurs frontaliers a certainement augmenté ces dernières années. Pour autant, en chiffres absolus, leur nombre reste limité: dans les années 2000, il y eut grosso modo 1000 migrants transfrontaliers par an et dans les années 2010, on parle de 1800 à 2000 par an.

Selon Elisabeth Boesen, des villages du côté allemand se sont transformés en «localités cosmopolites» suite à la migration transfrontalière. Observez-vous un phénomène similaire dans la région francophone?

P.G.: Il est certainement moins important. Il se peut que ce genre de phénomène existe en France, mais on ne le voit pas. En outre, le côté français est plus urbain et par conséquent, les migrants transfrontaliers non-français sont davantage noyés dans la masse. En termes de nationalité, ce sont plus les Italiens et les Portugais que les Luxembourgeois qui choisissent déménager en France. Ainsi, de nouvelles petites communautés se créent dans la région frontalière: pour schématiser largement, les Italiens à Villerupt, les Portugais du côté d’Audun-le-Tiche, mais ce n’est pas marqué. Du côté allemand, les communes mènent des politiques d’attraction de Luxembourgeois et celles-ci peuvent avoir la tendance à concentrer ces populations luxembourgeoises et à créer ce qu’on appelle de «l’entre-soi résidentiel».

Quels sont les moyens de transport qu’utilisent les frontaliers pour faire les trajets quotidiens?

P.G.: En général, ils préfèrent la voiture; il est intéressant de noter que 15% vont en co-voiturage et ceci vaut pour l’Allemagne, la Belgique et la France. De l’autre côté, l’offre du transport en commun s’est améliorée: en Allemagne, les bus se sont beaucoup développés; en France ce sont davantage les trains, mais les bus transfrontaliers se sont également développés. Une meilleure offre a encouragé plus de salariés à laisser la voiture à la maison. Il y a certes quelques incitations financières de la part des entreprises pour encourager l’utilisation du transport en commun – qui est, faut-il le rappeler, moins cher que la voiture –, mais elles ne jouent qu’à la marge. Il ne suffit pas de diminuer les coûts du transport en commun pour que la personne fasse un changement modal de la voiture au train: il faut encore d’autres incitatifs comme une meilleure accessibilité en transport en commun, un meilleur confort ou une plus grande fiabilité des horaires.

Le Luxembourg n’est pas le seul pays à connaître le phénomène des salariés frontaliers. Quelles sont les autres régions en Europe et quelles sont les principales différences?

P.G.: La France fournit le plus de frontaliers au sein de l’Union européenne. Beaucoup de Français vont en Allemagne: que ce soit des Alsaciens, mais aussi des Lorrains qui vont à Sarrebruck. Selon les chiffres de MKW Empirica de 2009, la Suisse accueille le plus de frontaliers en termes de personnes, le Luxembourg venant en deuxième position. La situation du Grand-Duché est particulière parce que le nombre de salariés frontaliers est extrêmement élevé par rapport aux salariés résidants. Au niveau de l’Union européenne, on compte en tout 700-800 mille frontaliers. Ce n’est pas grand-chose et reste encore un phénomène marginal, mais pas au Luxembourg.

Merci pour cet entretien!

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