Après la défaite du grand projet « réforme de la constitution », auquel forum avait dédié en octobre 2019 un dossier teinté encore d’un peu d’optimisme, il semblerait que le grand moment soit venu : au moins, la révision constitutionnelle des quatre principaux chapitres est sur la dernière ligne droite. Dans les quatre mois à venir, nous donnerons la parole à divers experts pour qu’ils analysent en détail les innovations majeures dans les domaines de la justice, de la forme étatique et des droits fondamentaux ; la contribution d’André Hoffmann au mois de novembre portera sur le chapitre concernant le Parlement et le Conseil d’Etat. Le coup d’envoi de notre nouvelle série est donné ce mois-ci par Alex Bodry, qui synthétise les développements depuis l’automne 2019 comme suit : « A la fin du processus, le Luxembourg disposera d’une Constitution modernisée, conforme au régime démocratique du début du XXIe siècle. »
Après plusieurs tours de piste, le projet de révision de la Constitution semble enfin s’engager dans sa dernière ligne droite. Alors que les travaux en commission ont débuté en 2005 et conduit à une première proposition de révision déposée en 2009, suivis après de multiples consultations d’un accord politique sur une proposition plus large portant instauration d’une nouvelle Constitution en juin 2018, tout l’édifice de la réforme était menacé d’effondrement en automne 2019. Le CSV contestait certains points du texte, à la rédaction duquel il avait pourtant participé activement, et déclarait ne plus pouvoir voter la proposition en l’état.
Grâce à l’esprit de consensus qui a finalement repris le dessus sur des considérations de tactique politique, il a été possible de négocier entre les quatre partis ayant initialement soutenu le projet de réforme une révision light, permettant de sauver l’essentiel de la proposition d’une nouvelle Constitution. Le contenu de cette révision constitutionnelle a été arrêté provisoirement lors d’une réunion en commission parlementaire du 5 décembre 2019. En se basant sur le rapport de la commission des Institutions et de la Révision constitutionnelle du 6 juin 2018 relatif à la proposition de révision portant instauration d’une nouvelle Constitution (document parlementaire no 6030-27), une liste de 29 points/articles à réviser, auxquels ont été ajoutés deux autres points en commission, a été retenue. Parmi les points primordiaux du projet d’une nouvelle Constitution, seule l’indépendance du parquet ne figurait pas sur cette liste, faute d’accord.
Il a été décidé de procéder à une révision par blocs thématiques, le premier volet de la modernisation constitutionnelle devant être consacré au chapitre 7 de la proposition relative à la justice. Les différentes parties de la réforme correspondent en gros à la répartition des tâches qui avait été décidée entre les quatre rapporteurs parlementaires en 2016. Dans la foulée de cet accord, les quatre partis soutenant le texte de révision ont encore décidé de renoncer à l’organisation d’un référendum sur le ou les nouveaux textes.
Le référendum est mis entre parenthèses
Si certaines raisons plutôt techniques (le nombre de référendums, le fait de ne plus être en présence d’une nouvelle Constitution, etc.) peuvent partiellement expliquer ce revirement, il est évident que des considérations d’ordre politique ont également joué. Organiser un référendum décisionnel sur une matière aussi complexe et à multiples facettes comporte des inconnues et des risques importants. S’y ajoute le fait que dans ce cas précis, la majorité gouvernementale et une partie (seulement) de l’opposition doivent faire cause commune dans un grand débat national à l’approche d’élections nationales.
J’ajouterai que le processus de révision officiellement en cours depuis 2009 a réservé une large part à la consultation et au débat publics. La Chambre des députés a ainsi innové en lançant en 2015 une phase de participation citoyenne à travers le site www.ärvirschléi.lu et en organisant un hearing public avec tous les citoyens conduisant à une dizaine d’amendements au texte alors en discussion. Rappelons que le référendum du 7 juin 2015 portant sur trois questions constitutionnelles faisait également partie de la procédure de la grande révision constitutionnelle, le débat lors des réunions publiques ayant été à l’époque volontairement élargi à la proposition de révision globale. Enfin, à la demande du Parlement a été lancé en 2016 le projet Constitulux avec l’Université du Luxembourg, qui a permis par le biais de différents échantillons de citoyens d’avoir une meilleure compréhension de la réforme, d’obtenir l’adhésion aux idées y transposées et de déceler d’éventuelles lacunes et défauts du texte. Jamais de par le passé, une révision constitutionnelle n’avait fait une part aussi large à la consultation préalable.
Il est vrai que cette méthode de travail ne peut pas remplacer une décision directe des citoyens à travers un référendum tel que prévu à l’article 114 alinéa 3 de la Constitution : « Le texte adopté en première lecture par la Chambre des députés est soumis à un référendum, qui se substitue au second vote de la Chambre, si dans les deux mois suivant le premier vote demande en est faite soit par plus d’un quart des membres de la Chambre, soit par vingt-cinq mille électeurs inscrits sur les listes électorales pour les élections législatives. La révision n’est adoptée que si elle recueille la majorité des suffrages valablement exprimés […] ». L’hypothèse d’un référendum constitutionnel est loin d’être complètement écartée.
Au moins un parti d’opposition est en train de préparer activement le terrain pour le lancement de la procédure de collecte de signatures à ce sujet. La brochure sur les textes de révision qu’il a fait distribuer à grand tirage, comportant bon nombre de semi-vérités, d’approximations et d’insinuations, augure mal de la sérénité et de l’objectivité du débat national sur cette question. Elle conforte plutôt la position de ceux et celles qui voient dans les campagnes référendaires le danger d’ouvrir la porte aux populistes et démagogues en tous genres.
Le compte à rebours a commencé
Il faut encore se rendre à l’évidence que même en cas de procédure exclusivement parlementaire, on n’est jamais à l’abri d’une nouvelle mésaventure. S’il existe à l’heure actuelle un accord quasi complet sur les textes de révision, tel n’est pas nécessairement le cas pour les innombrables lois de transposition des nouvelles dispositions constitutionnelles. Un nombre impressionnant de lois actuelles devront être adaptées et de nouvelles lois devront être rédigées, parce que prévues par les nouveaux textes. Il est vrai que les textes de révision prévoient des entrées en vigueur différées. Mais il n’est pas à exclure qu’au moins dans certains cas, il sera exigé de disposer de ces lois de transposition et de pouvoir en discuter le contenu avant le vote définitif sur la révision constitutionnelle concernée. En effet, le plus grand parti d’opposition sera tenté de faire dépendre son accord en seconde lecture d’un accord sur les lois de transposition qui d’ordinaire peuvent être votées à la majorité simple. On s’orienterait alors vers une extension de fait de la règle de la majorité qualifiée. Il est vrai que par le passé, les réformes institutionnelles par voie législative ont souvent fait la part belle à la recherche de majorités plus larges. Cette méthode devra être appliquée de nouveau sans que cela ne débouche sur de nouveaux blocages et chantages politiques. En tout cas, l’actuel président de la commission compétente devra faire preuve, comme l’ont essayé de le faire ses prédécesseurs, d’une certaine autorité et d’un sens diplomatique aigu pour éviter de se retrouver dans une impasse.
Le temps presse. Au fur et à mesure qu’approche la date des prochaines échéances électorales, les chances de voir aboutir le processus de révision de la Constitution s’amenuisent. L’année 2022 me semble constituer la dernière période utile pour aborder les révisions constitutionnelles dans de bonnes conditions, encore peu perturbées par la fébrilité qui caractérise les campagnes électorales. Alors que la révision constitutionnelle est avant tout une affaire du Parlement, il en est autrement des modifications législatives à apporter suite aux différentes révisions de la Constitution. Les projets de loi devront être élaborés par le gouvernement, même si l’on pourrait également envisager d’avoir en partie recours à des propositions de loi d’origine parlementaire. Le règlement de la Chambre devra également être modifié. Il n’y a plus de temps à perdre pour préparer ces textes si le gouvernement ne veut pas se retrouver dans la position de bouc émissaire responsable d’une révision constitutionnelle reportée. Si le premier volet de la révision ne devrait pas trop poser de problème dans ce contexte, l’affaire risque de devenir beaucoup plus complexe pour les trois volets restants.
En ce qui concerne le contenu des quatre textes de révisions constitutionnelles, on constate que la Chambre a dans la totalité des cas respecté le socle minimum de la réforme, telle qu’elle a été définie en décembre 2019 suite à une réunion entre les rapporteurs et les chefs de partis ou de groupe du CSV, LSAP, DP et Déi Gréng. Mission accomplie, puisque l’accord obtenu après l’abandon de la proposition d’une nouvelle Constitution a tenu bon.
Le cap de la réforme a été maintenu
La Chambre est allée plus loin qu’initialement négocié et a incorporé un nombre relativement important de modifications qui figuraient dans la proposition de révision n° 6030, mais qui n’avaient pas été reprises dans la fameuse liste de décembre 2019. Il est vrai que lors de l’établissement de cette liste de modifications ponctuelles, on voulait se limiter à l’essentiel et garantir un accord sur les points qui auraient pu donner lieu à une controverse. Certaines de ces modifications reprises de l’ancien projet de Constitution ont été partiellement reformulées, pas toujours dans le sens initialement visé.
Il y a lieu de relever que l’imminence de l’évacuation de la révision constitutionnelle semble avoir dopé les relectures critiques des textes et suscité diverses réactions et pressions pour abandonner ou reformuler des dispositions figurant depuis longtemps déjà dans le projet de réforme. Il y a eu en fin de parcours des prises de positions formelles du gouvernement. La Chambre s’est laissée persuader de faire un geste par rapport au Grand-Duc, en lui conservant au moins le titre de commandant de l’armée. Pour faire plaisir à l’administration de la Chambre, le pouvoir règlementaire du Parlement a été élargi aux questions relatives au personnel.
Somme toute, ces concessions par rapport au texte proposé pour la nouvelle Constitution sont mineures et ne touchent absolument pas à l’équilibre général de la réforme. En fin de compte, elles portent sur un nombre limité de points. La réforme va, pour ce qui est de quelques rares aspects, moins loin que prévu en 2018, mais elle se rapproche globalement de ce projet. Les différences sont minimes.
Finalement, il a même été possible de trouver un compromis sur l’épineuse question du statut et de l’indépendance du parquet. En commission, la Chambre s’est largement inspirée d’une formule avancée sur ce point au projet de révision initiale de 2009. Le ministère public voit consacrée son indépendance dans l’exercice des recherches et poursuites individuelles, sans préjudice du droit du gouvernement d’arrêter des directives de politiques pénales. Si la formule retenue n’est pas sans soulever des questions d’interprétation, notamment dans l’hypothèse où la directive aurait des effets sur des instructions individuelles en cours, elle a le mérite de ne pas s’être heurtée à une opposition des représentants de la magistrature. Elle est plus libérale que celle inscrite par exemple dans la Constitution belge. Elle marque une avancée dans l’affirmation de l’Etat de droit.
Globalement, le bilan reste largement positif. La révision constitutionnelle sera la plus importante effectuée depuis 1868. Le pays légal et le pays réel convergent. Le temps des « fictions constitutionnelles » est révolu. A la fin du processus, le Luxembourg disposera d’une Constitution modernisée, conforme au régime démocratique du début du XXIe siècle.
L’étendue de la révision est historique
Tout comme le projet de nouvelle Constitution de 2018, la réforme ne marquera pas une rupture avec la pratique institutionnelle du passé, elle ne préfigure pas un changement de régime. A côté de l’extension du catalogue des droits et libertés publiques, c’est sans aucun doute la partie consacrée au Grand-Duc qui comporte les modifications les plus significatives. Le besoin de réécriture était le plus urgent dans cette matière, tant les dispositions actuelles de la Constitution restaient imprégnées de l’esprit du XIXe siècle.
Les révisions apportées aux chapitres de la Chambre des députés, au gouvernement et à la justice ne sont pas non plus négligeables. La position de la Chambre en tant que législateur et organe de contrôle du gouvernement se trouve nettement renforcée. Avec l’introduction d’un droit d’initiative législative par voie de collecte de signatures, la participation citoyenne à la création de la loi connaîtra une nouvelle dimension, tout en respectant la mission dévolue au Parlement en tant que législateur. Le principe de la séparation des Eglises et de l’Etat sera consacré, tout comme le régime des langues, le drapeau et l’hymne national.
Espérons que des péripéties de dernière minute ne troubleront pas le déroulement de la procédure et qu’une information objective et un échange d’idées serein accompagneront ces révisions constitutionnelles. Le temps des discussions est sur le point de se terminer. Il est grand temps de passer aux temps des décisions.
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