„Blanquita“ de Fernando Guzzoni

L’ombre d’un mensonge

Partant d’une affaire qui ébranlé son pays au début du 21e siècle, le cinéaste chilien Fernando Guzzoni propose une réflexion passionnante sur les concepts de justice, de vérité, de pouvoir et de bienveillance. Présenté l’année dernière au Festival de Venise où il a remporté un prix du scénario, le film Blanquita (coproduit au Luxembourg par Tarantula) ne se démarque pas seulement par une narration intrigante mais également par l’intelligence de sa mise en scène et l’excellence de ses comédiens.

(c) QuichoteFilms_Tarantula_BonnePioche_Madants_VariosLobos

La protagoniste s’appelle Blanquita mais le personnage imaginé par Fernando Guzzoni est tout sauf innocent, ingénu ou angélique, qualités généralement associées à la couleur blanche. Dès les premiers plans du film, on la découvre seule avec son bébé, dans une chambre sordide, puis traversant des couloirs sombres au fond desquels on devine des adolescents en train de se battre. Elle arrive enfin près d’un jeune homme manifestement en souffrance, qui hurle sa rage en cassant les meubles. Bien qu’il l’agresse verbalement, Blanquita (Laura López) réussit à le calmer. La grande carcasse du garçon s’effondre alors littéralement sur Blanquita qui ne flanche pas. Elle reste debout et le soutient.

Carlos et Blanquita ont traversé les mêmes épreuves. Maltraités et violés par leur père respectif et d’autres hommes durant l’enfance et l’adolescence, ils ont connu l’épreuve de la rue et ont un jour atterri dans le foyer dirigé par le père Manuel (Alejandro Goic). Carlos en a été anéanti. « Une coquille vide » conclut le psychiatre chargé de l’ausculter. Et cette coquille vide, il faut la protéger en lui épargnant l’épreuve d’un procès contre ses violeurs. Ce qui relève peut-être d’une bonne intention mais arrange aussi les affaires de l’accusé, un businessman soupçonné de gérer un réseau pédophile.

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Cela fait longtemps que le père Manuel ne croit plus aux bonnes intentions et n’attend plus rien du ciel. Quand on lui parle de l’amour qu’il est censé apporter aux gamins du foyer, il répond qu’il leur faut plutôt à manger et de l’éducation. S’il est bien un piège dans lequel Fernando Guzzoni ne tombe pas, c’est celui du sentimentalisme. Il n’y en a pas une once dans son film dans lequel il dit les choses crûment et les filme sèchement. Le cinéaste ne cherche pas davantage à rendre ses personnages sympathiques. Ni Manuel ni Blanquita ne sont des protagonistes auxquels on s’identifie facilement. Ils sont durs avec les autres et avec eux-mêmes, fixés sur un seul objectif : faire tomber le réseau pédophile. Et ils sont prêts pour cela à mettre en œuvre des moyens que notre morale bien-pensante croit devoir réprouver.

Car plutôt que de mettre en scène l’enquête sur le réseau pédophile comme un thriller (façon américaine) ou un plaidoyer pour la libération de la parole dans l’Eglise (façon française), Fernando Guzzoni en fait d’abord une passionnante réflexion quasi philosophique sur les concepts de justice et de vérité. Des victimes de violences sexuelles, on attend qu’elles disent la vérité, toute la vérité et rien que la vérité, sur ce qu’elles ont vécu. Le moindre fait inexact suffit alors à faire s’écrouler tout l’édifice de leur témoignage. Le film démontre que le mensonge n’est pas nécessairement incompatible avec la vérité. Dans Blanquita, des personnages mentent mais c’est en mentant qu’ils révèlent une vérité que certains s’évertuent à cacher. Est-ce bien, est-ce mal ? « Ils peuvent violer, et je n’ai pas le droit de mentir ? » demande un personnage.

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Au Chili, l’affaire Spiniak, dont Guzzoni s’est inspiré et qu’il reproduit assez fidèlement dans les grandes lignes, est connue et le public est donc averti que des personnages mentent. En Europe, où nous ignorons pour la plupart tout des faits, nous n’avons d’abord aucune raison de ne pas croire à ce qui nous est raconté. Bien sûr, il y a la mise en scène de Guzzoni, qui laisse presque toujours ses protagonistes dans l’ombre et les arrière-plans dans un grand flou. Tout est trouble, comme si se dérobait à chaque instant non seulement la vérité mais l’emprise que les personnages ont sur la réalité. Ces personnages sont le plus souvent filmés en gros plan et très exactement cadrés au centre, emprisonnés dans le champ de l’image ou derrière des vitres et dans des décors étouffants, qu’ils soient glauques comme dans les squats et le foyer, ou au contraire imposants dans les villas bourgeoises et le palais de justice. Emprisonnés surtout dans leur condition sociale qui condamne les uns au silence et assure aux autres l’invulnérabilité des puissants.

Ce n’est donc que peu à peu que nous prenons conscience des mensonges. Parallèlement, Blanquita comprend le pouvoir qui lui est conféré par le simple fait qu’une psychiatre, une députée, une procureure ont décidé de la croire. Ces femmes sont bien contentes de trouver enfin un témoin déclaré officiellement crédible – l’une d’elles confessera plus tard avoir toujours eu connaissance de la pédophilie d’un des accusés. Mais Blanquita s’enivre de ses propres discours, défie Manuel qui tente de la prévenir et finit ainsi par mettre en danger toute l’entreprise. Lorsque la procureure est remplacée par un collègue masculin, que des menaces sont proférées et que les médias commencent à jeter l’opprobre sur celle qu’ils avaient auparavant encensée, l’édifice risque de s’écrouler.

Sans aucun effet de manche, le réalisateur met en scène, parfois sans paroles, des moments-clé ou d’autres, apparemment anodins, réussissant à suggérer toute la considérable complexité de ses protagonistes et de leurs sentiments par leur seule façon de bouger et d’interagir les uns avec les autres, aidé en cela par le jeu précis de Laura López et Alejandro Goic. La musique, assez minimaliste mais puissamment suggestive, de Chloé Thévenin, et la maîtrise du chef-opérateur Benjamín Echazarreta dans les tonalités sombres, plongent dans une atmosphère cauchemardesque un film qui réussit à démontrer, à une époque où cela est loin d’aller de soi, que les choses ne sont jamais toutes blanches ou toutes noires.

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