Bilan et perspectives

Le droit de vote des ressortissants de nationalité étrangère au Luxembourg

Même si le droit de vote communal a été une revendication thématisée dès les années 1980, ce n’est que par le détour européen que la question des droits de participation électorale a évolué. À travers le concept de citoyenneté européenne introduit par le traité de Maastricht, entré en vigueur le 1er novembre 1993, de nouveaux droits ont été conférés aux citoyens de l’Union européenne (UE), donc aux citoyens ayant la nationalité d’un État membre. Parmi ces droits, le droit de voter et d’être élu pour les élections européennes et municipales dans l’État où l’on réside (art. 8B).

Une fois le traité de Maastricht ratifié, il s’agissait ensuite de négocier les deux directives fixant les modalités de l’exercice du droit de vote actif et passif aux élections communales1 et européennes2. Les directives étaient une opportunité, pour le gouvernement luxembourgeois, de négocier des conditions dérogatoires et transitoires quant à l’application du droit de vote des non-Luxembourgeois. Celles-ci incluaient la mise en place d’une condition de résidence pour exercer le droit de vote actif et passif, l’interdiction de listes composées uniquement d’étrangers.

Au final, le droit de vote des étrangers ressortissants de l’UE prend forme à travers la transposition des deux directives européennes respectivement3 en 1994 et en 1995.

Bilan sur la participation électorale des ressortissants étrangers

De 1999 à 2011, les inscriptions pour les élections communales sont passées de 13835 à 30937, soit une augmentation de 124% en douze ans, avec une hausse importante de 1999 à 2005 (+73%) et une augmentation moins importante entre 2005 et 2011 (+29%). Le taux d’inscription4 est passé de 12% à 17% et le poids5 de l’électorat étranger de 6% à 12%. Nous constatons donc une augmentation importante de la participation électorale communale des étrangers. Cette hausse concerne principalement les ressortissants de l’UE, car le nombre de non-communautaires inscrits est resté très faible pour une première participation en 2011.

En ce qui concerne les candidats, nous observons également une lente évolution. De 138 candidats étrangers en 1999 (4% du total des candidats), nous sommes passés à 189 en 2005 (6% du total des candidats) et à 236 en 2011 (7%). La représentation des candidats étrangers est extrêmement faible par rapport aux candidats luxembourgeois, mais aussi par rapport à leur effectif numérique dans la société luxembourgeoise. Neuf candidats étrangers ont été élus en 1999, 14 en 2005 et 17 en 2011. Les élus sont plus «nombreux» pour les élections au scrutin majoritaire, avec 11 élus en 2011, contre 6 élus au scrutin proportionnel.

Quant à la participation aux élections européennes de 1994 à 2014, le nombre de ressortissants communautaires inscrits a régulièrement augmenté en valeur absolue, passant de 6907 en 1994 à 21650 en 2014. L’augmentation la plus significative a été relevée pour les élections européennes de 2009 (+50%). De 2009 à 2014, la hausse observée est de 23%. Le taux d’inscription est passé de 3,1% en 1994 à 8,2 % en 2014. Le poids électoral est passé de 7,4% à 12,2% entre 1994 et 2014.

Perspectives

Quel est le nombre de résidents étrangers qui pourraient user du droit de vote tel que proposé par le référendum du 7 juin? Les données du Centre d’étude et de formation interculturelles et sociales (CEFIS) permettent d’aborder cette question.
Ainsi, les données relevées à la date du 27 février 2014 font état de 35379 électeurs inscrits sur l’une ou l’autre liste. Par rapport à la question du référendum, ce chiffre doit être évidemment revu à la baisse, puisqu’il ne tient pas compte de la condition des dix ans de résidence. Par ailleurs, il ne tient pas compte des personnes inscrites, mais naturalisées entretemps et qui sont de ce fait transférées vers la liste des électeurs luxembourgeois. De plus, il n’y aurait pas d’inscriptions automatiques des personnes d’ores et déjà inscrites sur les listes électorales communale et/ou européenne, qui devront donc faire une démarche d’inscription supplémentaire.

Au moment de la signature du traité de Maastricht et des débats sur le droit de vote des étrangers aux élections européennes et communales, des craintes sont apparues, somme toute légitimes, parce que nouvelles et innovatrices: le(s) bourgmestre(s) portugais, à Larochette ou ailleurs, la perte de la souveraineté nationale, une mise en minorité des Luxembourgeois dans leur propre pays, etc. Nous avons présenté un bilan de la participation politique des étrangers au Luxembourg qui relativise toutes ces appréhensions: les inscriptions aux élections européennes de 1994 à 2014, les inscriptions et l’analyse sociologique des candidats aux élections communales de 1999 à 2011. Vu les expériences et les débats des vingt dernières années, trois observations s’imposent.

Le bourgmestre portugais à Larochette était une chimère. Le bourgmestre de cette commune est un citoyen, luxembourgeois, dévoué à sa commune depuis de nombreuses années; avec le collège échevinal et le conseil communal, il veille à la bonne marche de sa commune, comme c’est le cas des autres communes du Grand-Duché. Et même si le bourgmestre avait été de nationalité étrangère, ne gérerait-il pas la commune et les administrés de la même manière qu’un Luxembourgeois? A-t-on déjà mis en cause le bourgmestre d’une commune pour favoritisme envers les Luxembourgeois? Et pourquoi pourrait-on présumer cela d’un bourgmestre allemand, français ou belge, ou autre? Pour les politiques ou futurs politiques, les «zoon politikon6» pourrait-on dire, la conviction politique prime avant tout, non la communauté de nationalité à laquelle on appartient. Nos propres études et celles réalisées à l’étranger sont claires: elles démontrent que le vote communautaire reste un phénomène marginal. Les candidats de nationalité étrangère sont tournés vers la défense du bien commun —même s’ils sont sensibles à la problématique de l’intégration, tout comme les candidats luxembourgeois d’ailleurs.

Le second point est l’allègement progressif des conditions de participation. Lors des débats parlementaires en 1993, les exigences pour voter et être candidat étaient assez strictes. Peu à peu, ces mêmes conditions ont été atténuées, allant jusqu’à la suppression des conditions de résidence pour les élections européennes. Ces différentes modifications de la loi électorale n’ont pas fait l’objet de controverses importantes de la part de l’opinion publique ou des partis politiques. Quand le CEFIS a réalisé une étude sur les partis politiques et les étrangers en 2009, nous avons noté que tous les partis politiques admettaient comme une évidence la nécessité d’une politique d’ouverture aux non-Luxembourgeois — avec un bémol cependant: «Il existe des décalages entre les intentions et la réalité. Qu’il s’agisse de la présence ainsi que de la place des étrangers dans les partis et leurs structures ou de la présence des étrangers dans le champ politique comme électeurs, comme candidats et comme élus, de l’affirmation d’ouverture et de volonté d’intégration, les mesures diverses mises en place ou envisagées pour renforcer ces deux formes de présence, restent nettement plus marquées que leur présence réelle et effective.7» Un effort reste à faire donc, du côté des partis politiques et des résidents non-luxembourgeois.

Dernier point, et non des moindres, le CEFIS a observé aux dernières élections communales de 2011 une carence de candidats dans les petites communes (avec huit sièges de conseillers communaux non pourvus). Par ailleurs, l’âge moyen des candidats et des élus augmente sensiblement. Pour les candidats, l’âge moyen est passé de 45,4 ans en 1999 à 47,3 en 2011, et l’âge moyen des élus était de 49,9 ans en 2001 contre 48,7 en 1999. Les élections législatives ne sont pas en reste, puisqu’en 2009, les chercheurs de l’Université du Luxembourg notaient que «la moyenne d’âge générale des candidats poursuit sa lente croissance en 2009. Elle est de 47,6 ans alors qu’elle était de 47,3 ans en 2004 et de 46,9 ans en 19998». Il s’agit juste d’en prendre conscience, de même du fait que les femmes, les jeunes et les non-Luxembourgeois restent sous-représentés en politique.

Une citoyenneté politique fondée sur quels critères?

La participation politique semble aller de soi, elle est même inscrite dans la Déclaration universelle des droits de l’homme: «toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis» (article 21). Les débats publics sur la participation politique des étrangers sont inexistants ou, quand ils existent, ce sont des arguments simplistes et commodes qui prennent le dessus et tournent à une opposition réductrice entre «nous, les autochtones» et «eux, les étrangers», avec tous les a priori qui accompagnent ce genre de construction mentale manichéenne. Le principe fondamental énoncé ci-dessus semble n’être pas ou peu accepté.

Le système que connaissent les pays démocratiques définit la citoyenneté surtout à travers des critères de nationalité et d’âge. Cette citoyenneté a connu des élargissements successifs au cours du temps. Le critère fondamental de la citoyenneté politique reste la nationalité. Cette citoyenneté nationale repose uniquement sur le passeport conférant des droits et des devoirs spécifiques. L’intérêt du traité de Maastricht réside dans l’instauration de la citoyenneté européenne, qui concerne tous les ressortissants UE, même si ce concept repose toujours sur le principe de la nationalité et exclut de fait les non-communautaires. L’article 19 du traité stipule en effet que «tout citoyen de l’Union résidant dans un État membre dont il est ressortissant a le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales dans l’État membre où il réside, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État». Ainsi, les citoyens de l’UE qui résident dans un État membre dont ils n’ont pas la nationalité ont le droit de vote actif et passif aux élections communales et européennes. À côté d’une citoyenneté nationale, on a instauré une citoyenneté européenne à cheval entre ouverture (ressortissants non-luxembourgeois communautaires) et fermeture (ressortissants de pays tiers).

Le Luxembourg a été le plus loin, en ouvrant le droit de vote actif et passif aux élections communales pour les ressortissants non communautaires. Si ce n’est certes pas le premier, ni le seul pays européen qui est allé dans ce sens9, c’est le seul pays à avoir aboli la condition de nationalité pour accéder au poste de bourgmestre ou d’échevin. Une nouvelle étape est franchie, de la citoyenneté européenne, on est passé à une citoyenneté de résidence, du moins en ce qui concerne les élections locales.
Le débat sur l’extension de ces droits reste d’actualité avec le référendum à venir, à savoir l’accès des résidents aux élections nationales, indépendamment de leur nationalité. L’enjeu est de taille, alors qu’il s’agit d’un pas de plus vers une citoyenneté de résidence, pleine et entière. L’électorat passif est toujours réservé aux Luxembourgeois.

L’argument-clé qui devrait soutenir et appuyer l’idée de la participation politique est que le sentiment d’appartenance, de chaque citoyen, à une même communauté fondée sur le lien civique, est primordial: «L’homme n’accède à son véritable statut moral que par le biais de la citoyenneté, dans une organisation politique réelle.10» Une exclusion politique peut développer un sentiment d’incompétence et de repli sur soi-même et aboutir à la création d’une identité particulière, différentielle, avec des risques de ghettoïsation. C’est toute la question de la cohésion sociale qui est en jeu et il s’agit de prendre la mesure des conséquences à moyen et à long terme des choix qui sont et seront faits.

Dans les débats à venir, deux visions du monde vont s’opposer, deux perceptions d’une société «idéale» de la société se confrontent, où chacun parle au nom de la collectivité (députés, bourgmestres, responsables politiques, associatifs d’ONG, syndicaux, citoyens, etc.) et s’applique à justifier publiquement ses intentions au nom d’un principe supérieur et d’un ordre social juste (Dieu, la nation, la démocratie, etc.). Dire que les débats sur le droit de vote des personnes de nationalité étrangère opposent les Luxembourgeois et les non-Luxembourgeois est une approche simpliste et sommaire. C’est un débat entre une vision idéale des principes démocratiques et de la citoyenneté d’un côté, et la souveraineté nationale, la culture et la langue luxembourgeoise de l’autre. Faut-il choisir?

L’intégralité de cette étude est disponible sur le site www.cefis.lu.

1. Directive 94/80/CE du Conseil, du 19 décembre 1994, fixant les modalités de l’exercice du droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales pour les citoyens de l’Union résidant dans un État membre dont ils n’ont pas la nationalité, Journal officiel de l’Union européenne, n° L 368 du 31.12.1994, p. 0038-0047.
2. Directive 93/109/CE du Conseil, du 6 décembre 1993, fixant les modalités de l’exercice du droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen pour les citoyens de l’Union résidant dans un État membre dont ils ne sont pas ressortissants, Journal officiel de l’Union européenne, n° L 329 du 30.12.1993, p. 0034-0038.
3. Par la loi du 28 janvier 1994 fixant les modalités de l’élection des représentants du Grand-Duché de Luxembourg au Parlement européen. Par la loi du 28 décembre 1995 fixant les modalités de participation aux élections communales des citoyens non-luxembourgeois de l’Union européenne et modifiant 1) la loi électorale modifiée du 31 juillet 1924 2) la loi communale modifiée du 13 décembre 1988, Mémorial A, n° 101.
4. Le taux d’inscription représente donc le nombre d’étrangers qui se sont inscrits sur les listes électorales par rapport aux étrangers qui auraient eu la possibilité de le faire, abstraction faite de la condition de durée de résidence.
5. Le poids de l’électorat étranger représente les électeurs étrangers inscrits sur les listes électorales par rapport à l’électorat total.
6. L’homme est, selon Aristote, un zoon politikon, c’est-à-dire, littéralement, un animal civique, ou un animal politique, seul capable de former une cité en vue de réaliser le bien commun.
7. Besch Sylvain, Dubajic Nénad, Legrand Michel, Les partis politiques et les étrangers au Luxembourg, Luxembourg, Sesopi-Centre Intercommunautaire, 2009, p. 147.
8. Patrick Dumont, Raphaël Kies, Astrid Spreitzer, Maria Bozinis, et Philippe Poirier (dir.), Les élections législatives et européennes de 2009 au Grand-Duché de Luxembourg. Rapport élaboré pour la Chambre des députés, Université du Luxembourg, décembre 2010, p. 114.
9. L’Irlande l’a accordé depuis bien longtemps, de même que la Belgique, le Danemark, les Pays-Bas et la Suède sous certaines conditions. L’Espagne, le Portugal et le Royaume-Uni accordent le droit de vote aux ressortissants de certains pays, alors que la France, l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie dénient aux étrangers non-communautaires le droit de vote.
10. Canto-Sperber Monique, Philosophie grecque, Paris, PUF, 1998.

Als partizipative Debattenzeitschrift und Diskussionsplattform, treten wir für den freien Zugang zu unseren Veröffentlichungen ein, sind jedoch als Verein ohne Gewinnzweck (ASBL) auf Unterstützung angewiesen.

Sie können uns auf direktem Wege eine kleine Spende über folgenden Code zukommen lassen, für größere Unterstützung, schauen Sie doch gerne in der passenden Rubrik vorbei. Wir freuen uns über Ihre Spende!

Spenden QR Code