COVID-19
Esquisse d’un premier bilan, la veille d’une catastrophe annoncée
Face à l’emballement de la crise à vitesse grand V, la demi-vie de la présente réflexion est infinitésimale. Elle est dépassée au moment même de son énonciation. Cela vaut pour l’événementiel, la recherche et l’analyse. Si le temps logique est composé d’un instant pour voir, d’un temps pour comprendre et d’un temps pour conclure, nous ne sommes aujourd’hui guère plus loin que le premier.
Plus de questions que de réponses
À la fin de l’année 2019, j’étais en train de préparer un texte sur l’anthropologie de la fin du monde à l’époque de l’Anthropocène, interrogeant entre autres les visions des théoriciens de l’effondrement, et voilà que la catastrophe s’annonce et s’impose en temps réel, dans le réel.
À vrai dire, je fus moins pris au dépourvu par la pandémie que par l’appel à contribution ad hoc de la revue forum. Plutôt qu’un texte plus fouillé en cours de rédaction, j’en propose ici sous forme de brouillon le résumé provisoire, les prolégomènes d’un agenda de réflexion et d’élaboration de la crise, un canevas non exhaustif de pistes à creuser.
Qu’est-il en train de nous arriver ? Dans quoi sommes-nous pris ? En quoi le moment qualifié d’historique que nous vivons, l’événement qui se déploie sous nos yeux, est-il inédit ? Aurait-il pu être anticipé, prévenu, atténué, évité ? De quoi est-il révélateur ? Quels en seront les effets potentiellement durables et moins durables ? Que penser de la gestion de la crise actuelle sur le plan national et international ? Que pouvons-nous dire par anticipation de l’après-coup des scénarios évolutifs possibles ? Qu’est-ce que l’humanité est susceptible de retenir dès à présent de cette page de l’histoire en voie de s’écrire ? Dans quelle mesure est-il possible de prendre toute la mesure de ce que nous traversons et de ce qui nous traverse ?
Nous pouvons pour cela très schématiquement distinguer trois angles d’approche qui sont autant de champs discursifs et performatifs articulant de façon inégale les temps et les niveaux de la réflexion, de la décision et de l’intervention. Il s’agit, en un mot, du discours sanitaire (la crise est tout d’abord définie comme crise sanitaire), du discours politique (de crise sanitaire elle est devenue crise socioéconomique, institutionnelle et géopolitique) et du discours social (la crise interpelle les sciences humaines et sociales au niveau de l’analyse, de l’interprétation et de la construction du sens et du narratif). Par souci d’économie de place, nous allons nous limiter à l’esquisse de deux de ces discours, en laissant de côté celui par ailleurs non moins important du discours politique dépassant le niveau de celui qui est centré sur la seule politique sanitaire.
1. Le discours scientifique et politique sanitaire
Le discours sanitaire concerne les niveaux étroitement liés des sciences médicales et de la politique sanitaire, ceci dans un rapport qui place le politique sous le primat de la science. Les sciences médicales en question sont avant tout la virologie, l’immunologie, l’épidémiologie, la santé publique, la médecine des catastrophes, la médecine d’urgence et l’anesthésie-réanimation.
La timeline en très bref
Il nous faut commencer par le descriptif de la chronologie et de l’événementiel. 1er décembre 2019 : détection d’une maladie émergente zoonotique à Wuhan en Chine ; 31 décembre 2019 : information de l’OMS sur une zone de regroupement de cas de pneumonie de cause inconnue ; 24 janvier 2020 : apparition du premier cas en Europe, en France ; 31 janvier 2020 : déclaration de l’état d’urgence de santé publique de portée internationale par l’OMS, suivie de la publication d’un plan de préparation et de réponse stratégique ; 29 février 2020 : détection du premier cas au Luxembourg ; 11 mars 2020 : déclaration de pandémie par l’OMS ; 12 mars 2020 : la maladie devient endémique au Luxembourg ; 13 mars 2020 : l’Europe est désormais l’épicentre de l’épidémie.
La date du 16 mars 2020 constitue la date pivot, le point de bascule : publication le même jour de deux études scientifiques alarmantes ; appel de l’OMS pour adapter les stratégies et renforcer la cadence, notamment en matière de dépistage ; cri d’alarme des milieux médicaux luxembourgeois alertés par le dépassement des dispositifs sanitaires en Italie et en France ; réponse politique par le biais d’un arrêté ministériel qui sera successivement relayé par le règlement grand-ducal du 18 mars 2020 et la loi du 24 mars 2020.
Les auteurs de l’étude publiée ce jour-là dans Science « Substantial undocumented infection facilitates the rapid dissemination of novel coronavirus (SARS-CoV-2) » par Li et al. (Imperial College London, Columbia University New York, University of California, University of Hong Kong, Tsinghua University Beijing) estiment, pour le cas de la Chine préalablement à la date du 23 janvier 2020 (restriction des voyages), que 86% du total des infections ne furent pas documentées, et que celles-ci furent la source infectieuse de 79% des cas documentés.
Publication le même jour également par l’Imperial College COVID-19 Response Team du rapport « Impact of non-pharmaceutical interventions (NPI) to reduce COVID-19 mortality and healthcare demand ».
Cette étude de modélisation épidémiologique discute deux stratégies, et leur application à la situation britannique et américain : 1. l’atténuation : ralentir sans nécessairement arrêter la propagation épidémique, réduisant le pic du recours aux soins tout en protégeant les populations vulnérables ; 2. la suppression, visant le renversement de la croissance épidémique, la réduction du nombre de cas à un bas niveau tout en maintenant celui-ci indéfiniment.
Les politiques d’atténuation optimales seraient à même de réduire le pic du recours aux soins de deux tiers et la mortalité de moitié. Par contre, il y aurait toujours des centaines de milliers de morts, et le système de soins, notamment les unités de soins intensifs, serait dépassé à répétition.
Les politiques de suppression seraient préférables pour les pays pouvant se le permettre. La combinaison de mesures intensives (distanciation sociale de toute la population, isolement de cas et quarantaine des familles) à déployer n’aurait toutefois pas que des avantages, notamment le fait que celles-ci devraient rester maintenues jusqu’à l’arrivée d’un vaccin (possiblement 18 mois ou plus…) en raison de l’effet rebond rapide en cas de relâchement des mesures. Versus stratégie de relâchement intermittent des mesures à intervalles relativement brefs et sous monitoring du nombre de cas.
L’appel de l’OMS du 16 mars 2020 fut des plus clairs (en ligne sur le site de l’OMS) : « But the most effective way to prevent infections and save lives is breaking the chains of transmission. And to do that, you must test and isolate. You cannot fight a fire blindfolded. And we cannot stop this pandemic if we don’t know who is infected. We have a simple message for all countries : test, test, test. Test every suspected case. »
Des stratégies sanitaires plus ou moins efficientes et efficaces
La recherche internationale virologique, immunologique, épidémiologique et pharmacologique tourne 24/7, cela à un niveau de fébrilité rare. Chaque jour sont publiées des études scientifiques plus ou moins pertinentes, nourrissant les espoirs des uns et des autres. Plus le temps passe, plus il y a du progrès et du recul dans l’ensemble des domaines de recherche, notamment celui de l’épidémiologie : évaluation des stratégies sanitaires et benchmark des politiques sanitaires déployées dans les différents pays, permettant de rectifier le tir et d’adapter les stratégies. Le fait que l’évaluation de la transposabilité des résultats de ces études doit chaque fois passer par leur contextualisation est à la fois un avantage et un inconvénient.
Nous pourrions passer en revue plusieurs cas de figure : 1. certains pays asiatiques, dont la Corée du Sud, forts de leurs expériences en matière de gestion épidémique, compte tenu de leurs antécédents (SARS, MERS) ; 2. les pays dont le nombre de cas est étonnamment bas, dans une mesure parfois inversement proportionnelle au degré d’autoritarisme du régime politique ; 3. les pays à revenu faible ou intermédiaire, en particulier les pays africains, où le pire est à craindre ; 4. les cas déjà cités des pays insuffisamment préparés, pour avoir perduré trop longtemps dans le déni, maintenu contre vents et marées, ou la stratégie de l’immunité collective, infléchie sur le tard, désormais frappés de plein fouet par l’épidémie ; 5. le cas des Pays-Bas, ayant misé sur une politique d’immunité collective plus subtile, associée à une stratégie de titration ; 6. les cas particuliers et particulièrement tragiques de l’Italie, de l’Espagne et de la France ; 7. le cas particulier de l’Islande, combinant les atouts d’une île et les possibilités matérielles d’une stratégie de détection et d’isolement systématique, à l’instar de celle qui s’est avérée efficace dans le cas de la ville de Vò en Italie ; 8. le cas particulier de l’Inde, économie émergente et deuxième pays le plus peuplé du monde, où a actuellement lieu le confinement le plus massif jamais opéré ; 9. le cas particulier du Brésil comme exemple d’une politique sanitaire sanctionnée par la justice ; 10. les cas particuliers de quelques autres pays européens, de la Belgique, de l’Allemagne, de la Suisse, de l’Autriche, de la Norvège ; (…).
La formule selon laquelle les modélisations épidémiologiques sont toutes fausses mais que certaines sont utiles ne signifie pas que ces dernières s’équivalent. Il y a des options stratégiques à prendre, des balances à opérer entre stratégies efficientes et/ou efficaces, des choix politiques à faire et des comptes à rendre, aussi bien en temps réel qu’à l’heure du bilan de post-crise.
Le bilan de post-crise et ses controverses postposées
Ce bilan est à faire à tous les niveaux : qu’en est-il de cet espace-temps mythique et mystifié de l’apparition du virus de Wuhan, devenu le 2019-nCoV puis le SARS-CoV-2, du patient zéro, du cas index affecté par le COVID-19 ? De cet espace-temps originel que différents pays se refilent entre eux comme une patate chaude ? C’est ensuite la question de l’évaluation des décisions prises depuis lors tant en Chine qu’au niveau de l’OMS, de l’Europe et des différents États-membres, y compris à l’échelle de notre pays. Est-ce qu’en matière de prévention et de gestion des risques et de gestion de crise les bonnes décisions, les bonnes mesures, ont été prises au bon endroit et au bon moment ? Autrement dit sont-elles le fruit d’une politique suffisamment prudentielle et anticipatoire, d’une politique suffisamment guidée par le principe de précaution ?
Pour le Luxembourg, l’axe chronologique est ponctué par les dates du 29 février 2020 (détection du premier cas, stratégie du confinement), du 14 mars 2020 (passage au stade deux du plan pandémie, abandon de la notion de zone à risque et redéfinition de la stratégie de dépistage et d’isolement), du 18 mars 2020 (déclaration de l’État de crise par voie de règlement grand-ducal) et du 22 mars 2020 (annonce du passage au stade deux en matière de dispositif, coordination de l’opérationnel et du monitoring au sein d’une cellule logistique commune, mise en place de centres de soins avancés, etc.).
Tout donne à penser qu’il aura fallu passer aux alentours de la date pivot du 16 mars 2020 par un exercice de dramatisation, de mise en alerte des réseaux sociaux et de l’opinion publique pour parvenir à un niveau de conscientisation suffisamment aigu et de tension politique suffisamment forte pour que soient enfin prises des décisions à la hauteur de l’événement sur le plan de la gestion du risque sanitaire.
Reste à savoir si déjà préalablement au 29 février 2020 tout a été fait en matière d’anticipation, de préparation et de prévention, notamment d’augmentation des capacités sur le plan des ressources humaines, de l’acquisition des ressources critiques (matériel de test, équipement de protection personnelle, ventilateurs mécaniques) et de dotation des structures hospitalières (nombre de lits équipés en unité de soins intensifs). Et si la stratégie de détection, d’isolement, de traçage des contacts et d’interruption des chaînes de transmission de même que les mesures de distanciation sociale et de confinement ont été prises à temps et selon les modalités les plus appropriées aux différentes dates clés citées.
Invoquer qu’on est toujours plus malin par la suite n’est pas une raison suffisante pour faire l’économie d’un bilan post-crise critique. D’autre part, si la solidarité est actuellement de mise, une critique en temps réel, suffisamment bienveillante et qui résiste à la tentation de la récupération politique, peut être une plus-value pour ajuster et réajuster le tir.
Point besoin de le répéter ici, c’est diffusé en bouclé par les médias : le talon d’Achille, le goulet d’étranglement constitué par la pénurie de l’équipement sanitaire, le risque de contagion, d’épuisement et de retrait du personnel de même que les limites des capacités hospitalières a deux implications majeures : il impacte sur la stratégie de gestion de la courbe épidémique (« aplatir la courbe »), et il laisse craindre le pire sur le plan de l’éthique médicale, notamment en matière d’éthique du triage médical de catastrophe (arbitrages algorithmiques, critériologiques, à préciser).
Des mesures indispensables aux conséquences lourdes
Ce n’est désormais plus le virus qui est confiné, mais la population. Les mesures dites de distanciation sociale sous forme de confinement (« shutdown », « lockdown ») ont elles aussi un double impact majeur : psychosocial d’une part, et socioéconomique d’autre part.
Le premier impact concerne, sur le versant négatif, la psychologie de l’isolement social ; la santé mentale déjà mise à l’épreuve par le risque sanitaire et la perte sinon la précarisation économique ; les conflits de cohabitation et le risque de violence familiale ; les conséquences négatives sur le plan de la santé générale, surtout des personnes vulnérables susceptibles de rester confinées sur une durée prolongée. À noter, sur le versant positif, autant au niveau de la psychologie individuelle que de la psychologie sociale, la résilience, l’intériorité, l’humour, la créativité, l’intimité digitale, les communautés solidaires, etc. Sans oublier la psychologie collective à l’échelle du pays et de la communauté internationale, européenne et mondiale.
Le deuxième impact s’inscrit dans le cadre plus large du second discours identifié plus haut, et que nous n’allons pas aborder ici, celui du politique et du géopolitique dépassant le champ sanitaire à proprement parler : celui de la gestion de la crise économique et de son impact sociétal et social aux différents niveaux nationaux et internationaux.
Énumérons toutefois quelques éléments dudit discours politique : lutte sino-américaine pour l’hégémonie politique, économique et symbolique du meilleur gestionnaire de la crise ; implosion de l’Europe communautaire institutionnelle, désolidarisation et replis des États-membres au stade d’États-nations ; lutte concurrentielle pour l’accès aux équipements sanitaires d’une Europe qui se découvre dépendante de la Chine ; solidarité et entraide humanitaire par contre à un niveau bi- ou multilatéral ; mobilisation transnationale et transsectorielle en matière de recherche scientifique (infectiologie, immunologie, vaccinologie, antivirologie) et, face à la crise de l’offre, de production artisanale et industrielle de matériel sanitaire (désinfectants, équipements de protection individuelle, ventilateurs mécaniques).
Tout comme la décision de l’entrée en confinement, celle de la sortie n’est pas évidente, moins quant à son principe que quant au choix du moment et aux critères du pilotage. Le duo Fauci-Trump n’est ici que la caricature des déterminants d’un tel discernement. Comme dit plus haut, vu sous le seul angle de l’épidémiologie, la stratégie de la suppression totale jusqu’à la disponibilité d’un vaccin est la meilleure. L’enjeu est celui de trouver une balance éthiquement défendable entre la gestion de la crise sanitaire, notamment la protection des personnes vulnérables et le respect des capacités du dispositif, et celle de la crise économique, hypothéquant lourdement le secteur financier public et privé en plus du reste. Si la santé n’a pas de prix, elle a toutefois un coût. Si ce coût n’a pas de prix, alors autant rester confinés.
En ce qui concerne le contexte luxembourgeois, il fut annoncé ce 27 mars 2020 (date de la clôture rédactionnelle de la présente esquisse) qu’un plan de sortie discutant plusieurs scénarios sur base de différentes modélisations et projections serait présenté sous peu. En même temps que la Commission européenne se pencherait sur l’idée d’un projet de sortie commun.
2. Le discours social et métasocial
Entendons par-là d’une manière très générale tant le discours social que l’analyse critique du discours social, autrement dit de la représentation discursive de ce dans quoi nous sommes pris.
Le tournant narratif en sciences sociales a contribué à la tendance contemporaine à réduire à peu près tout à du narratif, à de la narration, ce qui lui a valu la critique d’empire narratif et d’impérialisme narratif. La narratologie ne s’encombre pas des exigences heuristiques de la construction d’une théorie ou de l’argumentaire d’une thèse. Ni de la recherche d’un sens plus profond, si sens plus profond il y a. Tout narratif n’est par ailleurs ni une scénarisation ni une métaphorisation. Ledit tournant narratif allait de pair avec la fin des grands récits (Jean-François Lyotard) de même qu’avec la montée et la mondialisation de la société numérique, se prêtant volontiers au déferlement d’un nombre illimité de néorécits et de microrécits éphémères sans jamais s’assembler sous la forme d’un discours consistant, identifiable, sauf que c’est en cela-même que celui-ci consiste.
Alors que ceci ne constitue que l’une des caractéristiques de la société fluide (Zygmunt Bauman), cela n’aura pas empêché l’émergence de nouvelles utopies, sans doute emblématiques du XXIe siècle naissant, et qui de différentes façons ont à se débrouiller désormais avec l’irruption dans le réel de la présente catastrophe.
De la passion du réel à la confrontation au réel
« Et je vois alors qu’au rebours de tout le jugement prononcé, cette passion, la passion du XXe siècle, n’a nullement été celle de l’imaginaire ou des idéologies. Encore moins une passion messianique. La terrible passion du XXe siècle a été, contre le prophétisme du XIXe, la passion du réel. Il s’agissait d’activer le Vrai, ici et maintenant. » (Alain Badiou, Le siècle, Paris, Seuil, 2005).
Voilà que c’est chose faite. Sauf que la confrontation au réel vient de s’activer par elle-même et qu’elle échappe, du moins jusqu’à nouvel ordre, au contrôle autant de la science que du politique. Faute de mieux, il ne reste plus dès lors aux uns comme aux autres qu’à confiner un tiers de la population, taux croissant. Alors que l’on nous faisait croire à l’utopie technologique et transhumaniste, l’humanité est brusquement rappelée à l’ordre, confrontée à son impuissance à riposter à un bête virus. L’homme se redécouvre nu, face à lui-même et à un ordre naturel qui lui échappe, alors qu’il s’est par ailleurs affranchi de l’hétéronomie, de son rapport à la verticalité et à la transcendance.
À l’inverse, en l’absence de toute intervention, le COVID-19 aurait conduit à l’infection de sept milliards de personnes et à 40 millions de décès dans le monde au cours de cette année (« The global impact of COVID-19 and strategies for mitigation and suppression », rapport du 26 mars 2020 de l’Imperial College COVID-19 Response Team). À en croire les scientifiques, voilà le tableau ! Ou l’un des narratifs proposés par la science, si l’on préfère. Un narratif parmi d’autres ? Sans doute que oui.
Si en ces temps agités et angoissants nous sommes tous virologues et épidémiologues, il y en a qui sont plus qualifiés que d’autres, et qui formulent des énoncés plus évidents, plus raisonnables, plus crédibles ou pour le moins plus plausibles et plus prudents. La question du statut de la science et des sciences dans le monde d’aujourd’hui, avant, pendant et après la crise pandémique, est à approfondir.
L’irruption d’un réel traumatique et traumatisant bouleversant l’habituel métacadre social et culturel peut du même coup entraîner l’effondrement des métaconteneurs psychiques (René Kaës) et être à l’origine d’un traumatisme psychique, individuel et collectif. Au-delà de la confrontation au réel, c’est c’elle à l’angoisse de mort, à la pulsion de mort, au travail du négatif. Et dans le cas précis de la pandémie, celui-ci est amplifié par le signifiant de la contamination, le fantasme de la contagion, la peur de l’autre en tant que vecteur de la transmission du mal, de cet agent invisible, vivant-non-vivant mortifère, cela dans le contexte de l’injonction de cette distanciation physique dite sociale propulsant les hypochondries exogènes et les angoisses paranoïdes. Voilà l’ébauche d’un narratif que pourrait proposer la psychanalyse.
La perception d’une catastrophe imminente n’implique pas seulement l’accélération des processus de mise en place du dispositif sanitaire pour y faire face, mais elle modifie également la perception sensorielle, les affects, le rapport subjectif à la spatialité et à la temporalité, susceptible de générer un sentiment d’étrangeté dans le rapport à soi, aux autres et au monde. La phénoménologie pourrait en rendre compte par le biais d’un narratif de ce genre.
Une proposition de typologie toute provisoire
En plus de ce que le discours médical et clinique peut apporter à la compréhension de la situation, voici une proposition de typologie toute provisoire, trop tôt sortie du four, faute de temps. Pour aller vite et faire simple, distinguons très schématiquement deux types de discours : les discours de banalisation et relativisation d’une part, et les discours de l’inédit et de l’opportunité d’autre part. Se côtoient les discours de sousévaluation et de surévaluation du seul et même événement.
Le premier type de discours englobe des discours à vrai dire très inégaux : en font partie autant les discours de banalisation au sens le plus banal de ce terme que les discours d’amplification qui par leur excès de dramatisation ou leur surinterprétation imaginaire, fictionnelle, passionnelle et/ou paranoïde passent à côté de l’essentiel qui du même coup est mis à distance, en l’occurrence le réel de l’événement, que les discours de relativisation et de contextualisation a priori plus rationnels, philosophiques et scientifiques.
Ceci ne veut pas dire que les sciences littéraires ne peuvent rien apporter à la lisibilité et à l’intelligibilité de ce que nous vivons actuellement, c’est l’inverse qui est vrai tel que le démontre en l’occurrence Jean-Paul Engélibert dans « Fabuler la fin du monde : la puissance critique des fictions d’apocalypse ». Si cette perspective n’est pas abordée ici, c’est que c’est partie remise dans le cadre du texte consacré à l’Anthropocène. Il en est de même de l’apport des sciences religieuses, de l’anthropologie religieuse notamment. Les discours de dramatisation n’ont par ailleurs pas tous le même niveau sinon le même manque de rigueur, et ils s’autodisqualifient de diverses façons et à divers degrés quant à leur signifiance ou insignifiance. Les mieux argumentés sont certainement ceux des collapsologues, et nous aurons donc à y revenir. La relativisation induite par les discours alarmistes et catastrophistes est une réaction à l’excès, c’est l’effet généré qui non sans dimension tragique pour les concernés est aux antipodes de l’intention.
Le deuxième type de discours est plus vite résumé. Il s’agit d’une part des discours qui insistent sur l’inédit de l’événement et qui tout en le surévaluant probablement ne vont pas jusqu’à en dramatiser l’interprétation, et d’autre part des discours qui soulignent dans une lecture systémique et symbolique de la crise l’opportunité intrinsèque de celle-ci : la crise comme chance, comme ponctuation d’un avant et d’un après susceptible d’apporter une plus-value.
Ces deux discours sont à l’occasion deux accentuations à peine distinctes d’un seul et même discours, le premier restant plus sous l’emprise de la sidération voire de la fascination de l’exceptionnalité repérée de l’événement, le second étant plus tourné vers le futur, davantage séduit par le supplément de résilience qu’il permet de mobiliser. Une distinction complémentaire peut être faite entre des discours davantage centrés respectivement sur le supplément d’humanité et le supplément d’écologie potentiellement générés par la crise.
Or tout le monde n’est pas optimiste, ou alors cet optimisme peut être motivé différemment en fonction de la vision du monde et des valeurs fondamentales : une même hypothèse d’un retour à la normale, à une normale pas si normale pour d’aucuns, celle d’une relance turbo ou encore celle de l’avènement enfin d’une civilisation de la postcroissance peut être l’indice selon le cas d’une posture respectivement résignée, réaliste, résiliente, etc.
Ces différents discours se distinguent encore par le fait que. pour certains. il s’agit de trouver dans la crise pandémique la confirmation de ce qu’ils auront toujours dit, alors que d’autres se contentent de commenter dans l’ici et maintenant et que d’autres enfin préfèrent adopter une vue à la fois plus décentrée, plus surplombante et plus anticipatoire.
Les discours de banalisation et de relativisation
Il y a une panoplie de discours qui se moquent de la pandémie, allant du déni bête et méchant à celui plus naïf et ignorant en passant par la banalisation et la relativisation en empruntant tantôt au constructivisme, tantôt à l’ésotérisme et tantôt au conspirationnisme : le COVID en tant que non-événement, en tant qu’événement plus ou moins insignifiant parmi d’autres ou alors en tant qu’événement déclenché par telle ou telle instance supérieure ou mystérieuse animée par une intentionnalité négative, opportuniste ou destructrice.
La production et la mise en ligne de « fake news », qui sont en fait des mensonges et non pas des légendes urbaines, bat évidemment son comble au moment précis où le monde est en crise, où la crise est devenue aussi mondiale que mondialisée et où le monde entier est cloué devant son écran pour une seule et même raison. La propagation des « news » comme des « fake news », des mentis et des démentis, est instantanée et synchrone, à peine plus rapide que celle du COVID-19. Les narratologues et les rumeurologues auront à se pencher sur ce phénomène qui ne facilite pas la vie aux scientifiques, ni aux décideurs ni aux opérationnels de la gestion de la crise.
Il y a ceux qui l’auront toujours dit, qui ont le goût des prophéties, des millénarismes, des apocalypses, des collapsus, des effondrements, du survivalisme, du posthumanisme, etc.
Il y a ceux qui le disent en temps réel : la pandémie en tant que revanche de la nature qui ne fait que reprendre ses droits, en tant que processus de purification, de sélection naturelle, d’élimination des plus faibles et de survie des plus forts, faisant intervenir les discours et les postures du naturalisme, du darwinisme social, de l’écologie culturelle, de l’antispécisme antihumaniste, du mépris et du cynisme mettant en avant les bénéfices de la pandémie confrontant l’humanité à elle-même, à son arrogance, à son hybris, et du même coup à son impuissance, à sa fragilité et à ses limites.
Un autre discours réductionniste passant à côté de l’essentiel est la thèse de philosophie politique et de sociologie critique selon laquelle la pandémie constituerait le prétexte parfait pour l’accomplissement de l’état d’exception globalisé (Giorgio Agamben), la légitimation de la réalisation de l’État total, totalitaire, et de sa politique de la soumission, de la surveillance et du contrôle social, en tant que paradigme de gouvernance politique intégrant une zone sans droit dans le droit (le mantra selon lequel à une situation exceptionnelle il faut des mesures exceptionnelles), justifiant la privation de liberté, le confinement, le couvre-feux, etc., pour le plus grand bien de tous.
Ce n’est qu’un pas de plus que de croire ou de faire croire à la manipulation des données, tantôt vers le haut, tantôt vers le bas, dans un but de manipulation des foules placées sous le régime de la dictature du nombre : le primat apparent de la science et de l’ingénierie numérique de la conjoncture actuelle (qui serait celle de la pédagogisation des masses dans les termes d’une rationalité épidémiologique irrationnelle qui ne proposerait que de la navigation à vue et des projections erronées) ne serait alors que le masque d’une science et d’une intelligence à vrai dire instrumentalisées par le politique.
Slavoj Žižek, qui vient de publier « Pandemic ! COVID-19 shakes the world », a tenu à dénoncer la thèse d’Agamben sur l’état d’exception globalisé. Même si tout le monde peut s’imaginer aisément que l’affaire n’est pas sans contenir un fond de vérité.
L’humour en tant que stratégie de résilience, en tant qu’exutoire, peut contribuer à la préservation du moral des troupes, tout en exaspérant certains, du moins dans certains contextes. Il joue un rôle de première importance dans bon nombre de réseaux sociaux. Et puis il y a une jouissance sans doute plus perverse, plus ambiguë, plus incongrue, l’opposée d’une compétence émotionnelle, empathique.
Parmi les discours de la banalisation il y a celui de la fascination, perverse ou non : celui de se réjouir de vivre une « once-in-a-lifetime-experience », à l’instar de ce qu’offre l’industrie du tourisme, sur le mode d’une science-fiction incarnée, et ce qui dans le meilleur des cas n’est alors que la posture du consommateur pris dans l’illusion de l’artificialité et de la virtualité de ce monde.
Ou encore celui de s’étonner de la surévaluation présumée du risque au sein de la société d’excitation contemporaine, de contempler sur écran les chiffres, les graphiques et les courbes exponentielles et de n’y voir qu’autant de représentations du malheur de l’autre, tenu à distance, spatialement, mentalement et émotionnellement, ou encore de s’amuser de l’évolution en sens inverse de ladite courbe et de celle des indicateurs du marché boursier.
Quand la science est face à elle-même
Comme dit plus haut, en plus des discours de relativisation par l’intuition et l’imaginaire, il y a les discours de relativisation par la raison et le savoir, alors que cette distinction est en réalité beaucoup moins tranchée bien évidemment. De cette deuxième catégorie relève le discours qui par anticipation de l’après-coup, du temps d’après, à partir d’un point de vue méta, d’une vue d’hélicoptère sur l’axe de l’espace large et sur celui du temps long, par comparaison avec ce que le vivant, et en particulier l’espèce humaine, a déjà traversé à d’autres moments de l’histoire et de la préhistoire, arrive à relativiser l’événement en le mettant en perspective et en le contextualisant. C’est le point de vue adopté par bon nombre de philosophes, d’historiens, d’anthropologues, de scientifiques de la Terre, etc.
Rajoutons encore deux exemples, sans lien aucun et incomparables, de discours de banalisation repérables dans le champ des sciences humaines, de la médecine et de la biologie notamment. Ce sont autant d’exemples parmi d’autres qui ont d’ores et déjà leur place dans le narratif, dans la chronique du COVID-19.
Premier exemple : la construction d’un lien entre la sévérité de l’épidémie en Chine et en Lombardie et la concentration particulièrement élevée en microparticules de l’air dans ces deux régions. Ce n’est que l’un des arguments de Sucharit Bhakdis, qui, présenté comme tel, ne tient pas debout. L’intéressé sousévalue par ailleurs le taux de morbi-mortalité lié à la pandémie et milite pour le laisser-aller.
Deuxième exemple : le discours de Didier Raoult, scientifique de haut niveau, maintes fois relayé lui aussi par les médias qui se complaisent à l’identifier aux figures idéalisées du chercheur illuminé, du loup solitaire, du héros méconnu, du Gaulois résistant, du général chloroquine, etc. D’après lui, on aurait pu endiguer l’épidémie et éviter la pandémie par le biais d’un recours massif, en plus des mesures barrières habituelles, à un vieil antipaludique, l’hydroxychloroquine.
C’est le message d’une épidémie parfaitement maîtrisable par une méthode ayant soulevé maintes controverses et polémiques dans les milieux scientifiques et politiques qui lui a valu entre autres le procès moral de banalisation. Encore qu’il n’a peut-être pas tort sur le fond, c’est ce qu’essaient de montrer des études lancées récemment (Solidarity, Discovery). L’emballement médiatique afférent n’est pas sans rappeler la saga du Docteur Olivier Ameisen et du baclofène, là-encore en France. Cet emballement et l’espoir suscité n’est par ailleurs qu’à la mesure du désespoir, et bien compréhensible de ce point de vue. Comme pour d’autres produits miracles, et comme ce sera sans doute le cas pour l’ensemble des produits prometteurs mis sur le marché et attendus par l’humanité tout entière, ce sera là encore la ruée et la surenchère des plus forts et des plus offrants.
Les discours de l’inédit et de l’opportunité
Revenons à nos moutons. Plus précisément à ceux qui insistent dans une perspective ex-post, cette fois-ci à travers le prisme du présentisme, sur le caractère inédit, historique, le jamais vu, du moment actuel, en y repérant une crise d’une ampleur telle que rien ne sera plus comme avant, qu’elle impose une césure, une bifurcation, voire la chance d’une renaissance de ses cendres sur une nouvelle base, une nouvelle culture de l’humanité, de la proximité, de l’inclusion, de la solidarité, de la fiabilité.
Alors que pour d’autres le monde ne sera plus jamais comme avant, l’épisode actuel de la culture des masques, de la distanciation sociale, de la méfiance, marquerait profondément et durablement les relations humaines, le rapport à l’autre non pas dans le sens d’une proximité retrouvée mais d’une distance maintenue.
Harald Weltzer relève pour sa part le progrès civilisationnel, du fait que des mesures draconiennes de guerre soient déployées non pas cette fois-ci pour faire la guerre (sauf celle contre le coronavirus, d’après la rhétorique martiale empruntée par Emmanuel Macron), mais pour protéger les populations vulnérables.
On peut voir dans la crise actuelle la confirmation du discours dénonçant depuis belle lurette ce qui n’allait déjà pas ou plus avant, la crise comme révélateur au grand jour de l’impasse d’une civilisation hédoniste centrée sur elle-même aux dépens des perdants du néolibéralisme occidental mondialisé, les peuples de l’hémisphère Sud, les animaux non humains, la planète, la biosphère.
Le mérite en quelque sorte de la catastrophe serait d’avoir contraint l’homme à la décélération, à la décroissance, à une révision de son paradigme dominant, ce qu’il n’aurait jamais fait en l’absence de ladite catastrophe. Le COVID-19 comme métaphore de la démondialisation (Daniel Cohen), de la décélération et du confinement. Le coronavirus comme réaction immunitaire de la planète contre l’hybris de l’homme qui, par goût du profit, détruit le vivant (Markus Gabriel).
Les conséquences de ladite révélation peuvent être nulles avec retour à la normale, à la case de départ, alors que par effet rebond le niveau de consommation et l’empreinte carbone pourront même dépasser les seuils précrise : relance plus que jamais de l’économie, de la croissance, de l’industrie de la consommation et de la mobilité…, quitte à entreprendre quelques corrections sur le plan géoéconomique. Comme se rendre moins dépendant à la fois de l’économie et de la bonne volonté de l’autre, que ce soit de la Chine ou de la Grande Région, face à la crainte de récidive du chacun pour soi actuel que tout le monde ne doit par ailleurs pas partager, en matière de ressources, de ressources humaines et d’équipement de survie notamment.
Relance y compris du tourisme dit d’extinction, entreprise paradoxale s’il en est, du tourisme de la dernière chance : de celle du lieu ou de l’espèce en voie d’extinction visitée que ledit tourisme d’extinction ne contribue qu’à précipiter, de la sienne propre aussi pour avoir survécu à la crise en attendant la prochaine du même genre mais en pire. L’exemple par l’absurde sera possiblement fourni par le tourisme des dauphins de Venise attirés précisément par l’absence de touristes (et de pollution).
En attendant les photos prises par satellite de la dépollution de l’air, au-dessus de la Chine et ailleurs, et celles des précités dauphins dans les lagunes de Venise, continueront à être diffusés et à faire de l’effet.
Crise contre crise : mais quelle crise ?!
L’après-crise nous renseignera davantage sur le paradoxe d’une humanité disposée à investir un maximum dans la lutte contre la crise pandémique et indisposée à le faire dans celle contre la crise climatique. Sur le paradoxe des gens davantage disposés à se mobiliser pour leur survie que pour celle de l’humanité et de la planète. L’injonction « rester chez soi pour sauver l’autre » de la crise pandémique pourrait être transposé à la crise climatique : « rester chez soi pour sauver la planète ». Les choses sont évidemment plus complexes. N’empêche que c’est dans la simplification que ce qui est évident est évident.
Comme s’il fallait choisir entre la peste et le corona. Ce signifiant qui ne nous lâche plus depuis nouvel an. De « corona-beer » à « corona-bond » en passant par « corona-band » et Sainte-Corona, qui a actuellement du pain sur la planche, on aura tout vu défiler, le confinement aidant. Les gens passent leur temps à s’envoyer des blagues et à scruter les courbes. Dans l’attente du rapprochement de la vague ou de la prochaine vague. Et voilà que mine de rien ils se mettent à sauver, une fois n’est pas coutume, le climat. Les personnes vulnérables autant que la biodiversité menacée. La peste et le corona apparaissent alors comme les deux formes d’expression symptomatique d’une seule et même crise planétaire.
Le risque d’une pandémie comme celle du COVID-19 est un risque connu, y compris quant à la vitesse et à l’extension de sa propagation, ceci non seulement en raison de la virulence potentielle des virus émergents mais aussi de l’hypermobilité de masse à l’heure de la mondialisation : le paradoxe de celle-ci pourrait être qu’elle participe à la fois du problème et de la solution par le biais de la technologie de la connectivité et des forces du « global research » et du « global pharma » parfois décriés hors crise.
La pandémie de toujours, ses avatars et emblèmes reconfigurés selon les traits de la mondialisation, ne fait que confronter l’homme à l’ambivalence de son rapport à la culture de la technologie, de l’utopie technologique. Le virus comme accélérateur de l’évolution (Matthias Horx), paradoxalement pas dans le sens de l’avènement de l’effondrement des collapsologues, mais plutôt de son évitement.
Comme si un fusible venait de sauter pouvant signifier une opportunité à saisir pour réorienter la trajectoire. Si l’anticipation d’une catastrophe dans le but de mieux la prévenir est une stratégie légitime et pertinente, la survenue malgré tout d’une catastrophe naturelle peut être l’occasion pour prendre conscience et pour agir afin de ne pas en rajouter d’autres, faites maison. Si d’après des études basées sur la preuve le SARS-CoV-2 ne serait définitivement pas un produit de laboratoire, il est moins évident qu’il suffit de lire la crise pandémique à travers la seule grille de la catastrophe naturelle.
La pandémie comme révélateur sinon comme accélérateur, qui se serait activée d’elle-même : peut-être, selon le sens donné à cette notion, sauf si on préfère situer le scénario de son activation dans le cadre de la théorie du complot… En même temps que les conditions de son activation et de sa propagation sont celles de la civilisation humaine, de ses failles et de ses excès.
Le retour sur soi, sur le mode de la résonance
La pandémie révèle autant les forces que les faiblesses de la communauté humaine planétaire, son esprit de collaboration et de solidarité que celui du repli sur soi et de la lutte égoïste pour l’accès aux ressources, tout ceci en l’absence d’une gouvernance mondiale digne de ce nom et acceptée par tous. La solidarité mondiale constituerait le remède contre la pandémie actuelle de même que contre les épidémies et autres crises et catastrophes dans le futur (Yuval Noah Harari).
La crise par le biais du confinement nous place face à deux alternatives, pour le dire avec Hartmut Rosa : celle de continuer sur le mode de l’accélération, de l’accessibilité, de la disponibilité, du contrôle, de la croissance, de la fuite intérimaire dans le digital, en attendant de pouvoir continuer sur le même mode à la sortie de la crise, comme si de rien n’était. Ou alors celle de saisir l’opportunité pour faire dans le cadre de l’expérience imposée d’un recentrage sur l’essentiel, d’une décélération contrainte, d’un temps d’arrêt pour repenser, ressentir et revivre son rapport à soi, à l’autre, au monde et à la transcendance sur le mode de la résonance. Le repli sur soi imposé par le confinement devient ainsi l’opportunité d’un retour sur soi, en résonance avec autrui, avec l’environnement et avec ce qui nous transcende.
Dans l’impossibilité de conclure
Il va sans dire qu’il est impossible de conclure la veille d’une catastrophe annoncée, d’une vague épidémique à la fois attendue et redoutée dans nos contrées comme ailleurs. Si le monde est sommé de décélérer, ladite vague ne fait hélas que s’accélérer. Il ne nous reste plus qu’à espérer que la catastrophe annoncée sera une catastrophe évitée, et que nous parviendrons à négocier la vague qui est quant à elle plus improbable à éviter. Terminons très humblement par une pensée pour toutes celles et tous ceux qui sont confinés non pas chez eux mais à l’hôpital, les soignants et les victimes de la catastrophe.
28.03.2020
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