La politique culturelle eschoise

Les élus eschois ont rarement pris des décisions politico-culturelles, mais chaque fois qu’ils l’ont fait, ils ont réussi à enrichir la vie et l’offre culturelle de leur ville:
soutien de la vie associative (1871), éducation populaire (1913), Maison de la culture (1950), culture alternative et rock (1996/2000). 2022 ne serait-il pas l’occasion pour franchir une nouvelle étape?

Des fanfares et chorales

Avec la découverte des gisements de minerai de fer, la révolution industrielle a trouvé son chemin vers le Grand-Duché et notamment vers cette région qui longe le flanc de ce plateau lorrain qui contient «l’or rouge». L’ouverture des mines et la construction des hauts-fourneaux ont engendré une nouvelle classe sociale, la classe ouvrière. La population eschoise passa ainsi de 2123 habitants en 1869 à 4 401 en 1871, pour atteindre un premier pic en 1913 avec 23 900 personnes. Cette concentration de la population a fourni le potentiel de mélomanes s’investissant dans la musique et le chant.

Jusqu’à la découverte des gisements, la Chorale Sainte-Cécile de la paroisse Saint-Joseph, fondée en 1815, était la seule active sur ce terrain. Le décollage musical alla de pair avec le décollage industriel. La première chorale profane vit le jour en 1863. Déjà en 1852, la Société philharmonique d’Esch-sur-Alzette se présenta au premier concours de musique à être organisé au Luxembourg. En 1871 fut fondée la Société des fanfares d’Esch-sur-Alzette (aujourd’hui l’Harmonie municipale) et d’autres suivirent: le Cercle symphonique (1902), d’Studentemusek(1905), la Biergaarbechtermusek(1920). L’exemple de l’Harmonie municipale montre bien que l’initiative venait de la petite bourgeoisie (commerçants, indépendants, employés) qui en reprit aussi les rênes, les ouvriers formant le corps des musiciens, des membres «exécutants».

La communauté italienne, qui vivait en ségrégation, concentrée dans le quartier près de la frontière, organisait sa propre vie culturelle avec des orchestres comme La Garibaldina (1909) et Corpo Musicale (1911) ainsi que des troupes de théâtre telles que la Società Filodrammatica Esch (1911) et l’Amicale Filodrammatica Italiana (1910).

Les responsables communaux eschois soutenaient cette vie associative, où les ouvriers trouvaient une occupation «valorisante» dans leur temps de loisir, en la subventionnant. Le bourgmestre Claude Pierre, membre fondateur de la Fanfare d’Esch en 1871, lui accorda une subvention de 200 francs en 1871, subvention qui allait augmenter avec les années: 400 francs en 1877, 600 francs en 1890 et 1000 francs sous le bourgmestre Léon Metz. En 1890, la ville se dota d’un premier kiosque de musique sur la place de l’Hôtel de Ville.

L’éducation populaire

Dans les années 1910, l’éducation populaire était un des mots-clés de la politique locale, notamment dans le Bassin minier. Il s’agissait d’éduquer les masses ouvrières, un devoir que la droite et la gauche exerçaient avec le même enthousiasme. Les Volksbildungsvereine de la gauche étaient en concurrence avec les cercles catholiques. Les élus eschois décidèrent de créer en 1913 une bibliothèque municipale et une école de musique.

Il existait des bibliothèques sur le territoire de la Ville d’Esch-sur-Alzette. Dès 1892, une bibliothèque scolaire fonctionnait pour les classes primaires supérieures. En 1901, l’instituteur Jean-Pierre Theisen reprit la bibliothèque qui fut transférée à l’école du Brill en 1907. La section eschoise du Volksbildungsverein gérait depuis 1910 une bibliothèque populaire qui se trouvait dans une salle de l’Hôtel de Ville. Elle comptait quelque 400 livres ainsi que des revues et une grande partie des journaux luxembourgeois.
En 1914, 1710 livres étaient à disposition des 450 lecteurs inscrits.

Pour se défendre contre l’avancée des Volksbildungsvereine, l’Église créa à Esch-sur-Alzette le Cercle amical en 1910 (qui devint le Cercle catholique en 1919). Le Borromäusverein avait installé en 1912 une bibliothèque dans la maison paroissiale Saint-Joseph pour la «propagation d’une bonne lecture pour la population catholique». 235 familles y étaient inscrites.

À cause des dommages causés par la Première Guerre mondiale, la ville ne put ouvrir sa bibliothèque municipale que le 1er décembre 1919 dans la montée de l’École. Elle en confia la direction à Jean-Pierre Theisen, instituteur à la retraite. Le développement de la bibliothèque exigea plusieurs déménagements: dans la rue de l’Église, dans la maison du directeur du Lycée de garçons (1925) et dans le Parc Laval (1929), avant qu’elle ne trouve sa place définitive dans la villa Deitz, rue Émile Mayrisch, en 1949.

L’école de musique connut un démarrage encore plus difficile. En décembre 1913, la Chorale Uelzecht et le Cercle symphonique présentèrent au collège échevinal une pétition en faveur de la création d’une école de musique. La Première Guerre mondiale retarda toute avancée en la matière. En 1917, le conseil communal donna son accord de principe pour créer une école de musique et présenta le projet au gouvernement, qui accepta d’abord la prise en charge de 40% des frais de fonctionnement. Mais après le refus du Conseil d’État, il se prononça contre le projet.

Les Eschois ne se laissèrent pas décourager et les associations eschoises, sous l’impulsion de Nicolas Pesch, président du Volksbildungsverein, créèrent en 1923 une école de musique sous forme de coopérative. Les cours commencèrent en septembre 1924 et, après deux années d’activités, l’école proliféra: 497 élèves étaient inscrits à ce jeune institut. La Ville d’Esch-sur-Alzette subventionnait gracieusement l’école de musique (30000 francs en 1925), d’autres financements étant trouvés auprès du gouvernement (3000 francs par rapport à 24000 francs pour le conservatoire à Luxembourg), de l’ARBED, des Terres Rouges et de l’usine de Steinfort. En 1926, l’administration communale reprit le nouvel établissement sous la dénomination École municipale de musique.

La Maison de la culture

La première Maison de la culture fut créée par Louis Aragon à Paris en 1936 dans le cadre du Front populaire. André Malraux, nommé ministre des Affaires culturelles en 1959, reprit cette notion et voulut doter chaque département d’une telle «cathédrale de la culture», afin que «n’importe quel enfant de seize ans, si pauvre soit-il, puisse avoir un véritable contact avec son patrimoine national et avec la gloire de l’esprit de l’humanité».

À Esch-sur-Alzette, quelques années plus tôt, le bourgmestre Michel Rasquin (1949-1951) voulut proposer une offre culturelle accessible à tous. L’idée d’un théâtre et d’une galerie était lancée en 1954. En effet, Esch-sur-Alzette n’avait pas de salle appropriée et la musique aussi bien que le théâtre devaient se contenter de salles d’appoint; l’orchestre RTL, sous la direction de Henri Pensis, se produisait dans la salle des fêtes de l’école du Brill. L’orchestre du conservatoire et l’Harmonie municipale présentaient leurs concerts dans la salle des fêtes de l’école industrielle. Et même le Ciné Empire, ouvert en 1958, servit de décor à la représentation de la 9e symphonie de Beethoven par la Chorale Uelzecht et l’orchestre du conservatoire.

La Galerie d’art municipale ouvrit ses portes le 12 avril 1959 dans la Grand-rue et présenta des créateurs contemporains comme les peintres luxembourgeois
Roger Gerson, J. P. Georg, Lucien Wercollier, Janotscha, les Iconomaques, mais aussi des peintres étrangers, surtout des représentants de l’École de Paris. En parallèle, la Ville commença à constituer une collection d’art, en achetant ou en se faisant offrir une œuvre par l’artiste invité.

La construction d’un théâtre prit plus de temps. C’est seulement le 26 mai 1962 que le théâtre fut inauguré en présence de la Grande-Duchesse Charlotte et du prince Jean. Comme pour l’école de musique dans les années 1920, le gouvernement refusa une participation financière. Pierre Frieden, ministre des Arts et Sciences, n’accorda aucune aide, mais proposa d’organiser un transport public d’Esch-sur-Alzette à Luxembourg, pour y amener les Eschois au théâtre.

Jos Wampach, premier administrateur, gérait le théâtre et la galerie selon le modèle d’une maison de la culture et proposa un programme «pour tous les goûts et toutes les bourses». Avec ce nouveau haut-lieu de la culture, Esch-sur-Alzette affirma sa
vocation comme capitale culturelle du Bassin minier, avec un rayonnement au-delà des frontières.

La culture pour tous (1996-2001)

Dans les années 1990, la Ville découvrit la culture alternative: le rock et le street art. Mais, dans le cas de la Kulturfabrik, le ministère de la Culture dut forcer la main à la Ville, dont quelques élus de droite ne voulaient pas investir dans ce «Ratelach».

Après la fermeture de l’ancien abattoir en 1979, les jeunes acteurs de Theater GmbH squattèrent les lieux et le transformèrent en salles de spectacle et de répétition, avant que le théâtre ne partage la scène avec la musique. En 1983 fut créée l’association Kulturfabrik pour lutter en faveur du maintien de ce centre alternatif face à une administration communale qui envisageait la mise en vente des lieux.

Grâce au déblocage des fonds du ministère de la Culture et l’apport du Fonds européen de développement régional (FEDER), les bâtiments purent être restaurés entre 1996 et 1998. Le 2 octobre 1998, le centre culturel Kulturfabrik, conventionné depuis deux ans, ouvrit ses portes et bénéficia dès lors du soutien financier du ministère et de la Ville. L’art libre, affranchi, s’appropria l’ancien abattoir.

À l’initiative de la bourgmestre Lydia Mutsch, le festival Terres Rouges nacquit en 2001. La Ville voulait changer l’image passéiste de la cité industrielle qui se cherchait un nouvel avenir, en présentant des animations jeunes et populaires. Deux journées de théâtre de rue dans la zone piétonne alternaient avec une journée de rock au Stade Émile Mayrisch.

En 2002, la Ville n’étant plus disposée à investir dans un festival, c’est l’État luxembourgeois qui prit la relève. Pour célébrer musicalement le 50e anniversaire de la Communauté économique du charbon et de l’acier, il finança le festival Steelworx qui présentait des têtes d’affiche comme Nina Hagen ou Zap Zoo devant la skyline des hauts-fourneaux d’Esch-Belval. L’année suivante, la Ville releva le défi et les éditions du festival Terres Rouges se suivirent d’année en année, avec – hélas – de moins en moins de succès.
Esch-sur-Alzette, Capitale européenne de la culture?

En 2010, la Ville d’Esch-sur-Alzette se dota d’un service culturel, une vingtaine d’années après les deux autres grandes cités industrielles de Differdange et de Dudelange. Mais pour le moment, à part quelques expositions organisées à la Villa Mousset et la Nuit des cultures initiée à l’occasion du cinquantenaire du Théâtre d’Esch, on ne peut pas constater un grand changement dans la politique culturelle de la ville.

La Ville d’Esch-sur-Alzette a deux grands atouts dont elle devra se servir à l’avenir : l’installation de l’université sur les friches d’Esch-Belval avec ses jeunes étudiants – un nouveau public qu’il s’agit de conquérir – et l’échéance 2022 de la Capitale européenne de la culture.

2022 sera une occasion unique pour établir un autre, un nouveau pilier de la culture eschoise et pour se positionner pour les décennies à venir. Même si le projet de la Capitale européenne ne devait pas aboutir pour une raison ou une autre, rien que le fait de réfléchir sur l’avenir culturel de la ville sera bénéfique. Alors, saisissons l’occasion, faisons une analyse des forces et faiblesses, établissons un plan de développement culturel pour la ville. Imaginons la vie culturelle eschoise et – pourquoi pas – de toute la région pour 2022 et au-delà. Il nous reste encore quelques années pour préparer cette échéance, de manière aussi bottom-up que possible. u

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