La quantité plutôt que la qualité

La fragile situation économique des médias luxembourgeois

En annonçant l’extension de l’aide à la presse aux médias électroniques, le gouvernement luxembourgeois prend acte de l’importance grandissante d’Internet dans le monde de l’information et de la communication. Cette démarche, logique sur un plan économique, ne devrait toutefois guère influer sur la qualité du contenu, bien au contraire.

En 2014, le Premier ministre, Xavier Bettel, qui endosse aussi la charge de ministre des Communications et des médias, annonça son intention d’inclure les médias électroniques dans le mécanisme d’aide à la presse. Avec une enveloppe budgétaire globale inchangée, ce qui aurait eu pour effet de réduire la part accordée aux médias traditionnels, il dut reculer devant la fronde des représentants de la profession, inquiets de voir le montant des subventions se réduire avec la prise en compte d’un nombre plus important de bénéficiaires. Le gouvernement a finalement cédé et compte à présent fixer le montant total de l’aide à la presse à la hausse, étant donné que la part accordée aux médias électroniques s’ajoutera à l’aide à la presse traditionnelle. Le calme est dès lors vite revenu dans le paysage médiatique grand-ducal.

La loi relative à l’aide à la presse a été introduite en 1976 – et révisée en 1998 – pour garantir le pluralisme dans la presse luxembourgeoise, qui comptait à l’époque quatre quotidiens solidement arrimés à un courant politique. Le marché radiophonique et audiovisuel, alors monopolistique, était exclu de cet instrument budgétaire ; son lien avec l’autorité publique se définissait plutôt à travers l’attribution de fréquences ou la négociation d’un contrat de concession. Derrière les médias existants se profilaient les principales forces institutionnelles de l’après-guerre: elles étaient d’inspiration religieuse (l’Archevêché au Luxemburger Wort), syndicale (l’OGBL au Tageblatt), libérale au sens large (au sein du groupe privé RTL ou de l’hebdomadaire Lëtzebuerger Land) ou politique au sens strict (la ligne éditoriale du Lëtzebuerger Journal et du Zeitung vum Lëtzebuerger Vollék se confondant avec celle des partis DP ou KPL).

La libéralisation des ondes radiophoniques à partir des années 1990 et l’arrivée de nouveaux produits de presse ont alimenté un paysage médiatique resté figé pendant plusieurs décennies. Mais c’est l’émergence des médias électroniques qui a définitivement bousculé le modèle économique dominant. Depuis lors, les groupes implantés au Luxembourg se posent des questions similaires à celles qui secouent le secteur des médias à l’étranger, la plus importante étant de savoir comment l’on peut gagner de l’argent dans un marché de plus en plus concurrentiel et fragmenté, donc de moins en moins captif en termes de consommateurs.

Pour relever ces défis, la profession peine à trouver des réponses adéquates. La plupart des groupes présents au Luxembourg disposent d’une structure de gestion et d’administration où règne l’opacité et qui est davantage taillée sur la personnalité des décideurs que sur une stratégie cohérente en termes économiques. Si l’on supprimait du jour au lendemain l’aide étatique à la presse, le monde des médias au Grand-Duché en serait sans doute chamboulé au point de devenir méconnaissable.

La forme plutôt que le fond

L’instrument de l’aide à la presse tel qu’il existe dans notre pays a un double effet, dont l’un est bénéfique et l’autre pervers. Il est bénéfique car il favorise une multiplicité de supports et réduit le risque d’une concentration économique aux mains d’un seul groupe de presse. Un risque qu’on ne peut exclure comme on peut le constater sur le marché audiovisuel, où RTL jouit pleinement de la puissance de son groupe pour écarter toute velléité destinée à lui faire de l’ombre (tout en profitant de la faiblesse d’une concurrence à laquelle manquent non seulement les moyens mais bien souvent aussi l’imagination). Cet instrument a également son côté pervers: en bénéficiant d’une aide plus ou moins conséquente de la part de l’État, les groupes de presse ressentent moins le besoin de puiser dans leurs propres ressources pour contribuer à la vitalité du journalisme au Luxembourg. Le caractère intrinsèquement pécuniaire de l’aide à la presse fait que l’aspect quantitatif prime sur l’approche qualitative, car cette forme de subvention n’a pas pour objectif de relever le niveau de l’information mais de valoriser la productivité. Il en résulte que lorsqu’il y a débat sur les médias au Luxembourg, il porte essentiellement sur la forme et très rarement sur le fond.

La profusion d’associations de journalistes et d’éditeurs – cinq au total pour une branche économique d’une taille modeste – est caractéristique d’un secteur où les considérations particulières l’emportent sur les intérêts généraux. Près de 500 journalistes disposent actuellement d’une carte de presse officielle au Luxembourg. Les conditions de délivrance d’une carte professionnelle ont été modifiées au cours du temps, en fonction de critères qui se sont certes clarifiés mais restent partiellement sous l’appréciation d’une profession qui – à l’instar d’autres professions libérales – tient à son autorégulation. Celle-ci est particulièrement flagrante dans le cas de la commission des plaintes, une instance faisant partie intégrante du Conseil de presse et dans laquelle siègent les représentants de médias contre lesquels une plainte peut être adressée. Il serait plus équitable que cette commission soit uniquement composée de membres externes – et pas seulement son président, quelle que soit sa personne – pour éviter un trop grand déséquilibre dans le traitement des dossiers.

Comme pour tout autre organe autorégulateur, la profession pense avant tout à se protéger – parfois à juste titre – mais peine à admettre une quelconque faiblesse. Les carences se font particulièrement remarquer en matière de formation des journalistes. S’il faut reconnaître que le Conseil de presse a réagi il y a un certain nombre d’années en introduisant des sessions de formation à l’adresse des jeunes journalistes, ces initiatives méritoires portent davantage sur la connaissance du contexte institutionnel du pays que sur le développement des compétences de l’apprenti-journaliste. En outre, le recrutement des journalistes dans les diverses maisons s’opère selon des critères qui ne favorisent pas toujours la qualification professionnelle. Plutôt que de se contenter de les former sur le tas dans des conditions d’encadrement et de disponibilité réduites compte tenu des contraintes de travail, on pourrait y remédier en prévoyant par exemple que la période de stage s’accompagne d’un cycle de formation préparé en partenariat avec une école de journalisme.

Journalistes sous pression

L’émergence d’Internet a profondément modifié le travail du journaliste, qui est soumis à une pression grandissante du fait de la rapidité de la diffusion de l’information et de la multiplicité des canaux par lesquelles celle-ci circule. Les rédactions des médias luxembourgeois n’étant guère pléthoriques, les journalistes n’ont souvent d’autres moyens que de courir après l’actualité plutôt que de l’anticiper. En l’absence d’un temps de réflexion, la qualité du travail intellectuel s’en ressent forcément.

Une autre caractéristique de l’évolution du métier de journaliste est la tendance de vouloir effacer la frontière entre l’information et l’opinion. La Toile est devenue un vaste outil de communication, qui a pour effet de brancher le consommateur en permanence sur ce qui se passe dans le monde, quel que soit son centre d’intérêt. Ce débit continu fait fi de la hiérarchie de l’information, nuit à la recherche et au croisement des sources, conforte les opinions préétablies et renforce les théories du complot. Les nouvelles sont aisément sorties de leur contexte et se prêtent à toutes sortes de manipulation. Même les agences de presse se livrent depuis de nombreuses années à une pratique discutable en ne dissociant plus clairement le factuel et l’analyse, ce qui devrait pourtant constituer le b-a-ba d’une information honnête. Les journalistes ont leur part de responsabilité dans cette dérive, car à force de se reposer sur des sources d’information qui ne sont pas neutres, ils scient la branche de l’arbre de la connaissance sur laquelle ils sont assis. Dès lors, il ne faut pas s’étonner que dans nombre de pays démocratiques, la crédibilité des médias n’en sort guère renforcée.

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