La république est morte, vive la république

Dans son nouveau livre, Henri Wehenkel évoque La république trahie

Un livre d’Henri Wehenkel est toujours la promesse d’une parenthèse d’intelligence, d’inspiration et, ce qui ne gâche rien, de plaisir de lecture. La république trahie, qui vient de paraître, ne déroge pas à la règle. Wehenkel y aborde les évènements qui, de l’effondrement allemand de novembre 1918 à janvier 1919, menèrent à la proclamation de la république au Luxembourg. Une république mort-née qui, comme le rappelle l’auteur, fut cependant bien plus que cette péripétie éphémère et hors-sol longtemps décriée dans l’historiographie conservatrice.

Car oui, l’un des enjeux de l’ouvrage est bien de se positionner face à cette dernière. Wehenkel ne s’en cache pas. C’est un historien de gauche, engagé, qui ne se dissimule pas derrière une fausse objectivité. Et si l’on sait d’où il écrit, on n’en est pas moins frappé par la force, volontiers littéraire, de son récit, l’originalité de ses analyses et sa capacité à faire remonter à la surface des faits méconnus. La révolution qu’il décrit ici n’était pas que le fruit des circonstances et sa défaite n’était pas écrite d’avance.

L’écroulement de l’ordre prussien

Wehenkel commence par planter le contexte en montrant à quel point le Luxembourg tournait à l’heure allemande, dès avant la Première Guerre mondiale, et à plus forte raison pendant celle-ci, lorsque le pays fut occupé par l’armée allemande. Le blocus que les Alliés imposèrent à l’Allemagne frappa durement le Grand-Duché. Les ouvriers, épuisés par la mobilisation totale au service de l’effort de guerre du Reich, souffrirent le plus des pénuries. Lorsque la révolution éclata en Allemagne, début novembre 1918, elle s’étendit tout naturellement au Luxembourg.

L’effondrement allemand déboucha sur une révolte contre ce que Wehenkel appelle à un endroit « le système prussien ». Ceux sur lequel il avait reposé, étaient soudainement délégitimés : la grande-­duchesse, jugée trop proche du Kaiser ; les maîtres de forge, qui avaient produit des armes pour les armées impériales ; les administrateurs des chemins de fer et des douanes, deux institutions entièrement contrôlées par les Allemands ; les officiers de la Compagnie des volontaires, dont les hommes dénonçaient le tropisme prussien.

La situation commença à s’échauffer dans les usines et les dépôts ferroviaires. Des conseils d’ouvriers et de paysans furent formés. Celui de Luxembourg proclama la république le 10 novembre. Débordé, le gouvernement annonça tour à tour la nationalisation des chemins de fer, la tenue d’un référendum sur la forme du régime (république ou monarchie) et l’abaissement à huit heures de la journée de travail.

Changement de maître

Selon Wehenkel, ces concessions étaient l’aboutissement d’aspirations enracinées dans la société, notamment dans le petit peuple des faubourgs : « Ces artisans des quartiers périphériques de la capitale étaient les mêmes que ceux qui avaient fait la révolution de 1848, qui avaient fondé le Centralverband der Luxemburger Arbeiter en 1871, qui avaient fourni les troupes du cortège antimonarchique du 2 janvier 1916. C’étaient des hommes des sociétés de gymnastique et de libre pensée, de culture autodidacte et fiers de leur métier transmis de père en fils. Ils n’avaient pas l’impatience des jeunes, mais ils portaient la mémoire des anciennes batailles. »

Ce peuple de gauche, qui entonnait volontiers la « Marseillaise », gardait en mémoire l’épopée napoléonienne de ses ancêtres. Fin novembre 1918, il accueillit les soldats français en libérateurs. Ses espoirs furent bientôt déçus. Les premiers à déchanter furent les cheminots. Croyant que les chemins de fer avaient été nationalisés, ils tombèrent de haut en découvrant qu’ils étaient simplement passés de main allemande en main française. Le 27 novembre, la nouvelle direction leur ordonnait de travailler de nouveau 10 heures par jour.

« Une fois de plus, le Luxembourg changeait de maîtres et tout restait comme avant », écrit Wehenkel. Pendant ce temps, la droite catholique commençait à mobiliser le peuple des campagnes contre les révolutionnaires impies, tandis que le gouvernement Reuter, pourtant démissionnaire, revenait sur ses promesses de novembre et tentait d’entrer en pourparlers avec les Alliés. Inquiets de ces évolutions, libéraux et socialistes appelèrent à une manifestation devant la Chambre des députés, le 9 janvier 1919. L’intervention des troupes françaises sonna la fin de la république.

Nationalistes contre mondialistes

Huit mois plus tard, 77,8% des électeurs se prononçaient pour le maintien du statu quo monarchique. « Si l’on tient compte des abstentionnistes et des votes nuls, précise cependant Wehenkel, le raz-de-marée se réduit à une majorité de 53% des électeurs inscrits. » L’idée républicaine était solidement implantée dans une partie de la population. Elle n’était pas une chimère, entretenue par une poignée de traîtres et de bolcheviks, comme l’affirmèrent ensuite les conservateurs, en se présentant comme les seuls authentiques porte-paroles du peuple.

Mais en cherchant à invalider le postulat de la droite, Wehenkel tombe dans l’excès inverse, en sous-estimant sa victoire. En 1919, le sens de l’histoire était favorable au parti de la Droite, pas au Bloc des gauches. Ce dernier avait dominé la vie politique avant la guerre parce que le droit de vote était restreint et parce que l’universalisme des libéraux et l’internationalisme des socialistes les poussaient à embrasser les promesses du monde (déjà) globalisé et en pleine expansion de la Belle époque.

Or, ce monde sombra avec la guerre, en ressortit affamé, traumatisé et divisé. Dans ce contexte, c’est le parti de la Droite, qui défendait l’attachement au cadre national et à l’identité traditionnelle, qui s’imposa. Le suffrage universel lui assura une majorité confortable dans un pays où la majorité des citoyens étaient encore ruraux et croyants. Aujourd’hui on dirait que les nationalistes l’emportèrent sur les mondialistes. Nicolas Welter, qui en 1919 se rapprocha de la droite après avoir été un compagnon de route des socialistes, résuma l’issue de l’affrontement par cette phrase, citée par Wehenkel : « Le temps n’est plus à l’internationalisme, aujourd’hui plus que jamais, tout homme doit avoir une patrie. »

Henri Wehenkel, La république trahie, Luxembourg, Editions d’Lëtzebuerger Land, 2019, 191 p., 29 €.

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