Le cumul des mandats, l’enfant chéri des politiques et des citoyens ?

Alors que dans bon nombre d’Etats démocratiques, la tendance vers la limitation, voire la suppression du cumul des mandats politiques s’est définitivement imposée, le Luxembourg résiste. La France, la Belgique et l’Allemagne connaissent des législations qui interdisent, ou du moins restreignent, le cumul du mandat de député avec d’autres fonctions exécutives sur le plan régional ou local. Au Luxembourg, on en discute et rediscute sans que le monde politique ait pu se résoudre jusqu’à présent à sauter le pas et s’engager dans une réforme constitutionnelle qui mette fin à une particularité du système politique luxembourgeois, dans lequel les députés-maires occupent une place de choix sur les plans communal et parlementaire.

La Chambre des députés élue en 2018 regroupait une quinzaine de députés-maires, auxquels il y a lieu d’ajouter autant de députés-échevins. Ce cumul n’est possible que parce que le Parlement luxembourgeois est considéré comme un parlement à mi-temps, les députés pouvant bénéficier d’un congé politique de 20 heures par semaine seulement. Ils peuvent donc cumuler la fonction de député avec un emploi dans le secteur privé ou un traitement d’attente dans la fonction publique et d’autres fonctions politiques qui leur donnent, dans certains cas, encore droit à un congé politique. Electoralement avantageux, ce cumul des mandats est surtout synonyme de concentration de pouvoirs et renferme également une composante financière, ce qui n’est pas fait pour faciliter les discussions sur un éventuel changement du système.

La pression de l’opinion publique reste plutôt de faible amplitude, si l’on fait exception de quelques poussées médiatiques. Régulièrement, les bourgmestres-­candidats sont élus et réélus à la Chambre des députés et des députés-candidats au conseil communal portés par le vote des électeurs au poste de bourgmestre ou échevin. Une bonne partie des électeurs sont habitués à ce cumul et ne semblent guère s’en offusquer. Ils restent attachés à leur libre choix et comme ils l’ont clairement exprimé lors du référendum de 2015 sur la limitation de la durée des mandats des membres du gouvernement à dix ans, ils n’aiment guère le changement, même si ce changement est motivé par un souci de revitalisation de la vie politique.

La révision constitutionnelle en projet (proposition de loi n° 7777) déjà adoptée en première lecture ouvre une petite porte en direction d’une restriction des cumuls des mandats politiques. En effet, le texte, fruit d’un compromis en commission obtenu en 2015, permet d’avancer sans devoir passer par une révision constitutionnelle : l’incompatibilité du mandat de député avec certaines fonctions ou emplois publics « peut être étendue à d’autres mandats politiques à déterminer par une loi adoptée à la majorité qualifiée » (article 53 nouveau de la Constitution).

Mon expérience personnelle

J’ai été député-maire pendant dix ans, les électeurs m’ayant à deux reprises accordé leur confiance dans cette situation de cumul. En accédant fin 2013 au poste de président du groupe parlementaire, j’ai rapidement pris la décision de mettre fin à ce cumul pour me concentrer sur mes fonctions politiques parlementaires. En fait, je me suis rendu compte qu’il m’était impossible de concilier à la longue mon emploi du temps de député/chef de groupe avec celui de bourgmestre. Certes, avec l’expérience politique, on arrive plus facilement à fixer les bonnes priorités et à concentrer ses sorties politiques sur l’essentiel, mais ce qui manque le plus, c’est le temps nécessaire pour la réflexion stratégique et, surtout, la possibilité d’être disponible pour mes concitoyens et collaborateurs. On arrive à se débrouiller, mais on risque d’avoir le sentiment d’un travail accompli seulement à moitié. Déjà avant ma décision personnelle, j’avais essayé et réussi à convaincre mon parti d’épouser la thèse du non-cumul du mandat de député avec celui d’une fonction exécutive sur le plan communal. 

Une réforme nécessaire

Je plaide pour des députés à plein temps, tout comme je plaide pour des bourgmestres à plein temps. Une telle réforme contribuerait à renouveler en partie le personnel politique du pays. Le Parlement apparaîtrait moins comme une chambre des élus locaux, l’intérêt national primant la somme des intérêts locaux.

Je conçois aussi la nécessité d’éviter l’émergence de deux castes de politiques professionnels, l’une à l’échelon de la politique nationale, l’autre à celui de la politique communale. Il faut assurer une perméabilité de ces deux mondes, d’où la nécessité de ne pas créer une incompatibilité entre les mandats de député et de conseiller communal. Si ce système des vases communicants fonctionne, nul besoin d’envisager l’instauration d’une forme de Sénat, représentant des collectivités locales… une aberration dans un pays aux dimensions modestes comme celles du Luxembourg.

Toute cette réforme devra évidemment être accompagnée d’une redéfinition des statuts de députés et de bourgmestre. Son succès dépendra finalement des femmes et des hommes qui seront investis de ses mandats politiques ainsi que de leur volonté et de leur capacité à se montrer à la hauteur des nouvelles possibilités et responsabilités qui leur sont offertes.  


Alex Bodry est juriste, député honoraire et bourgmestre honoraire de Dudelange.

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