Le révélateur grec

Les gouvernants de la zone euro face à la Grèce: malheur aux vaincus

Deux lectures sont possibles de la victoire du parti de gauche Syriza à l’élection grecque du 25 janvier.

La première lecture voit l’arrivée au gouvernement d’une nouvelle équipe comme une chance. Porteur d’un projet de relance de la Grèce, Syriza bénéficie d’un large mandat populaire. Moins encastré dans des relations clientélistes que les partis traditionnels, plus indépendant vis-à-vis des élites grecques, Syriza est en meilleure position pour mettre en Å“uvre des réformes ambitieuses, notamment dans le domaine crucial du renforcement de la capacité de l’État grec à lever des impôts et à mettre un terme à l’évasion fiscale.

Le renouveau politique en Grèce représente aussi l’opportunité de mener une discussion honnête sur la dette publique et sur le bilan des politiques d’austérité menées ces cinq dernières années. Le programme sur lequel Syriza a été élu comporte des propositions de bon sens pour rendre la dette grecque soutenable et sortir du cercle vicieux des politiques d’austérité qui ont étranglé l’économie grecque et creusé la dette publique, qui est aujourd’hui de 175% du Produit intérieur brut.

Hélas, une deuxième lecture, très différente de la première, semble l’avoir largement emportée dans les milieux dirigeants de l’Union européenne. Cette lecture voit dans la victoire de Syriza une menace pour l’Europe du consensus.

Avant même l’élection, Jean-Claude Juncker avait exprimé le souhait de voir des «visages familiers» élus par les Grecs, comme si la démocratie européenne était un club réservé, un «clubby world of familiar faces» (Financial Times, 6 janvier 2015). Le président de la Commission européenne était allé jusqu’à mettre en garde les électeurs: «Les Grecs savent très bien ce qu’un mauvais résultat des élections signifierait».

Négocier ou suffoquer?

Conformément à cette défiance à l’égard de Syriza, tous les instruments de la coercition ont été mis en Å“uvre à l’égard du nouveau gouvernement quasiment dès le lendemain de l’élection. La Commission européenne, l’Eurogroupe et la Banque centrale européenne ont fait de la continuation des politiques d’austérité, que les Grecs venaient de rejeter par les urnes, la priorité des priorités. L’UE veut maintenir coûte que coûte l’objectif d’une réduction de la dette publique grecque de 175% du PIB à 110% en 2022. Une annulation partielle de la dette est considérée comme une hérésie, la remise en question des politiques d’austérité est un tabou. Dans ces conditions, des négociations de bonne foi deviennent impossibles.

En février, les négociations au sein de l’Eurogroupe sur la conclusion d’un accord de transition ont été menées dans une ambiance exécrable. La visée de faire perdre la face au nouveau gouvernement grec et de le délégitimer face à son opinion publique a été manifeste: ultimatums posés, déclarations à l’emporte-pièce de membres de l’Eurogroupe sur la supposée «irresponsabilité» du gouvernement grec et discussions dans la droite allemande autour de la possibilité d’une sortie forcée de la Grèce de l’euro.

La Banque centrale européenne (BCE) a considérablement contribué à accroître la pression en n’acceptant plus les titres de dette grecs comme collatéraux et en laissant aux banques hellènes comme seule possibilité de financement l’Emergency liquidity assistance (ELA), faisant planer la menace d’un effondrement du système bancaire grec. Un «senior international banker», cité par le Financial Times, a décrit la démarche de la BCE: «They are squeezing them on everything, it’s part of a system to suffocate them, to make them realise the end is coming, to realise it is time to get on their knees.» (Financial Times,
18 février 2015).

En 2013, la menace de la BCE de cesser d’alimenter en liquidités les banques chypriotes via l’ELA avait contraint le parlement de l’île à accepter un plan de sauvetage, comportant de nombreuses mesures d’austérité.

L’Europe, un cartel?

L’arrivée au pouvoir de Syriza en Grèce est ainsi devenue un révélateur de l’ossification d’une UE dirigée de facto par une grande coalition entre démocrates-chrétiens/conservateurs et sociaux-démocrates. Face à Syriza, cette grande coalition se comporte comme un cartel des partis établis. Le politologue irlandais Peter Mair avait développé le concept de «cartel party» pour décrire la tendance à la collusion entre les partis établis1. Cette cartellisation des partis relativise les différences entre partis, favorise la dépolitisation et contribue à faire de la politique un espace réservé aux professionnels de la politique, de plus en plus imperméable à la société. En outre, à l’image d’entreprises qui cherchent à contrôler un marché, les partis cartellisés cherchent à barrer l’accès au champ politique à des nouveaux entrants.

Le ministre des finances allemand, Wolfgang Schäuble, est à la pointe de l’opposition au gouvernement grec. Avec satisfaction, la Frankfurter Allgemeine Zeitung a constaté qu’il mène le combat «mit Härte gegen sich und andere» (21 février 2015). Également en première ligne, les gouvernements conservateurs espagnols et portugais qui craignent un effet de contagion aux élections prévues pour la fin de l’année. Des dirigeants sociaux-démocrates, comme François Hollande ou Matteo Renzi, l’étoile montante de la gauche réformiste, ne sont pas en reste et refusent de soutenir les demandes grecques. Il est vrai que la France et l’Italie, tout comme l’Allemagne, vont largement profiter du programme de Quantitative Easing de rachat de la dette souveraine par la BCE. Programme dont la Grèce est exclu.

Et le Luxembourg?

Les autorités luxembourgeoises se sont prononcées de manière équivoque ou contradictoire. Le ministre des finances, Pierre Gramegna, a laissé entendre que le Luxembourg ne faisait pas partie des partisans de la ligne dure et a souligné la nécessité de se comporter avec «respect» vis-à-vis de la Grèce, mais sans préciser davantage sa pensée. Le ministre des affaires étrangères, Jean Asselborn, a jugé sur la télévision allemande que la Troika a fait des «erreurs» et a parlé d’une «catastrophe sociale», alors que le Premier ministre, Xavier Bettel, a défendu avec désinvolture cette même Troika dans un entretien au Luxemburger Wort: «Das hier ist keine Veranstaltung bei Kaffee und Kuchen. […] Die Troika — oder „die Institutionen“, wie sie jetzt genannt wird — hat eine präzise Mission, die sie durchführen muss.» (19 mars 2015).

À souligner aussi, l’absence à peu près totale de débat public sur les positions adoptées par le Luxembourg au sein de l’Eurogroupe et le peu d’intérêt apparent de la Chambre des députés pour les négociations avec la Grèce. On ignore aussi tout des positions défendues par le président de la Banque centrale luxembourgeoise, Gaston Reinesch, au sein du conseil des gouverneurs de la BCE.

Finalement, la question se pose de savoir ce que le Luxembourg fait concrètement pour aider le gouvernement grec à combattre l’évasion fiscale. Tant que les grandes fortunes et entreprises hellènes peuvent contourner l’imposition, la Grèce ne sera pas en mesure de regagner son autonomie. À cause de sa place financière et de la pratique des tax rulings, le Luxembourg porte une responsabilité particulière sur les questions fiscales. Le Luxembourg a récemment conclu un accord avec la Belgique qui prévoit la transmission au fisc belge des tax rulings concernant des firmes multinationales belges. Pourquoi ne pas également transmettre aux autorités grecques les tax rulings visant des multinationales hellènes?

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