Cannes – Jour 1: L’envers du décor

(Viviane Thill) Après deux ans de pandémie, une édition annulée en 2020 et un étrange festival en juillet 2021, Cannes espérait nous faire prendre un grand bol d’air à l’occasion de son 75e anniversaire.

Paramount-Pictures-Corporation-Jim-Carrey: The Truman Show – Graphisme © Hartland-Villa

Un beau ciel bleu agrémenté de quelques nuages vaporeux, et les marches de Cannes qui nous emmènent au septième ciel, voilà ce que semble promettre l’affiche 2022. Oui mais voilà, l’image est extraite du film Truman Show (Peter Weir, 1998) et le décor onirique n’est justement que cela : un décor, sorte de village Potemkine qui masque une réalité plus inquiétante que jamais, entre crise climatique, guerres et famines.

❝On sentait dans ce discours la tentative un peu embarrassée de justifier malgré tout la fête du cinéma.❞

La cérémonie d’ouverture du festival mardi soir fut à l’avenant. Paillettes, strass et glamour d’un côté, apparition surprise de Volodymyr Zelensky sur le très grand écran du festival de l’autre. Poutine ne fut pas nommé mais Zelensky a longuement évoqué The Great Dictator de Chaplin (1940) : «On aurait pu croire que tout le monde avait compris qu’on peut conquérir les gens par la beauté en les réunissant devant les écrans et non pas par la laideur, en les réunissant dans des abris aériens» a-t-il scandé comme en écho aux paroles de Vincent Lindon, président du jury officiel, qui demandait un peu plus tôt : « Pouvons-nous faire autre chose qu’utiliser le cinéma, cette arme d’émotion massive, pour réveiller les consciences et bousculer les indifférences ? Je ne l’imagine pas. » On sentait dans ce discours la tentative un peu embarrassée de justifier malgré tout la fête du cinéma, et ce d’autant plus que le film d’ouverture qui suivait est à ranger dans la catégorie du divertissement ultra-léger.

Dans la moyenne

Coupez! (c) Lisa Ritaine

Alors que l’année dernière, le festival avait débuté par une oeuvre célébrant la magie du cinéma (Annette de Léos Carax), celui-ci démarre avec Coupez!, une comédie lourdingue constituée d’un faux film suivi d’une espèce de vrai-faux making of. Un réalisateur de troisième zone (Romain Duris), réputé pour travailler „de façon rapide, pas chère et dans la moyenne“ (c’est sa devise), est engagé pour tourner un film de zombies constitué d’un seul plan-séquence de 30 minutes qui doit être diffusé – en direct! – sur une plateforme internet. Il accepte, non par envie ou par nécessité financière mais afin d’impressionner sa fille cinéphile (Simone Hazanavicius).

Coupez! est le remake d’un film japonais devenu culte, intitulé… Ne coupez pas! (Shin’ichirô Ueda, 2017). Je ne l’ai pas vu mais d’après ceux qui l’ont visionné, ce film fauché serait bien meilleur que l’adaptation française quelque peu fainéante qu’en a tiré Michel Hazanavicius. D’abord, il faut se farcir les trente minutes que dure le live sans comprendre pourquoi les acteurs français ont tous des noms japonais ou… pourquoi c’est si nul! Ensuite, on nous raconte la genèse du film (et, en passant, la raison du remake fictif dans le remake réel), mâtinée d’un vague mélodrame familial, avant de nous remontrer le film mais en dévoilant cette fois, étape par étape, l’envers du décor.

Rien de tout cela n’est très drôle et malgré une double, voire triple mise en abîme, la comédie reste au ras des pâquerettes, gags de pipi-caca compris. Coupez! a coûté nettement plus cher que l’original japonais mais il est à coup sûr fidèle à la dernière partie du slogan affiché: dans la moyenne, et même très moyen. Pour son 75e anniversaire, le festival aurait mérité mieux. 

L’histoire de la femme de Tchaïkovski

Tchaikovsky’s Wife (c) Hype Film

J’avoue que je ne savais pas grand-chose sur la femme de Tchaïkovski. Elle était tombée follement amoureuse du compositeur à un jeune âge, lui écrivit quelques lettres enflammées et arriva à se faire épouser par lui. Ce qu’elle ignorait ou faisait mine de ne pas comprendre, c’était que Tchaïkovski aimait les garçons et ne se mariait que pour des raisons financière et pour mettre fin aux rumeurs concernant son homosexualité. Se rendant compte un peu tard qu’il est incapable de jouer au brave mari et plus encore de consommer le mariage, le compositeur quitte très rapidement sa femme qui fait alors un déni de réalité avant de sombrer dans la hargne, la misère et finalement la folie.

❝Plus le film avance, plus il semble épouser la déterioration mentale et les fantasmes sexuels de sa protagoniste.❞

Le réalisateur russe Kirill Serebrennikov met en scène les deux personnages comme les victimes d’un système patriarchal dominé par la noblesse et l’Eglise, pétri de bigotterie et d’hypocrisie. Néanmoins, celle qui en souffre le plus est  Antonina Milioukova (Alyona Mikhailova) dont tout le film adopte le point de vue. Tchaïkovski (Odin Biron) apparaît soit comme un lâche (allant jusqu’à charger son frère d’apprendre à Antonina qu’il la quitte), soit comme un artiste égocentrique, incapable d’exprimer la moindre émotion (le comble pour un romantique!) et bien content de retrouver sa chère liberté.

Tchaikovsky’s Wife (c) Hype Film

Dans Tchaikovsky’s Wife, Serebrennikov (dissident ayant récemment quitté la Russie, et lui-même homosexuel) peint ainsi de l’homosexualité un tableau à la fois convenu (par moments, on n’est pas loin du Querelle de Rainer Werner Fassbinder, 1982) et dérangeant dans la mesure où ces hommes font – tant qu’ils restent plus ou moins cachés – partie de l’élite patriarchale et s’unissent contre Antonina quand il s’agit de protéger l’un des leurs. Antonina est présentée en ingénue croyant dur comme fer au prince charmant qui prend, dans le contexte de la Russie tsariste, la forme d’un destin quasi-divin. Le portrait de cette épouse de Tchaïkovski est tout sauf aimable, l’amour d’Antonina pour Tchaïkovski (qui ne repose d’ailleurs sur rien de concret) tournant à l’obsession quand il la quitte. Plus le film avance, plus le cinéaste semble épouser la déterioration mentale et les fantasmes sexuels de sa protagoniste. Mais en même temps, sa niaiserie et son obstination maladive à poursuivre Tchaïkovski de sa passion finissent par étouffer toute empathie qu’on pourrait avoir pour cette femme qui semble éternellement se traîner sous une pluie battante ou dans le froid glacial de l’hiver russe, reflet de l’indifférence que manifeste pour elle son mari. Son destin est d’ailleurs scellé dès le début puisque le film commence  par l’ultime rebuffade de son mari à son égard. 

Tchaikovsky’s Wife (c) Hype Film

L’anneau trop petit pour le doigt du marié et celui de la femme perdu plus tard, la tristesse du repas de noce ou les mouches qui ne cessent de se poser sur Tchaïkovski lors de sa première visite à Antonina, ne laissent rien présager de bon non plus. Serebrennikov use et abuse de cette symbolique un peu trop voyante.

Malgré de belles scènes (notamment un adieu mélancolique à la gare et un séjour chez la soeur de Tchaïkovski qui apparaît paradoxalement alors comme le personnage le plus intéressant de cette histoire), la longueur du film (2h23!) ne joue pas non plus en sa faveur. D’une certaine façon, Tchaikovsky’s Wife ressemble un peu à L’histoire de ma femme (Ildikó Enyedi) en compétition l’année dernière: un film en costumes somptueusement mis en scène mais qui manque singulièrement de passion… et de romantisme.

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