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forum_C : Cannes – Jour 5 : Révolution bourgeoise et rêve américain
Hier, alors que les journalistes patientaient devant le Palais pour la séance de presse du soir, nous avons soudain vu les ouvreuses descendre les marches avec quelque précipitation, suivies des agents de sécurité qui ont tenté de faire reculer les gens faisant la queue. Repousser près d’un millier de personnes contre des barrières métalliques infranchissables n’est toutefois peut-être pas le meilleur moyen de garantir leur sécurité en cas de pépin. Heureusement, la situation s’est vite détendue: il semblerait que le colis suspect découvert sous un fauteuil dans l’une des salles du Palais contenait en fait des batteries oubliées par un technicien.
A moins qu’il ne se soit agi d’une facétie de Jean-Luc Godard! La projection qui a ainsi été retardée d’une demi-heure était en effet celle du „Redoutable“ de Michel Hazanavicius, d’après un livre écrit par Anne Wiazemsky.

Louis Garrel dans „Le Redoutable“ de Michel Hazanavicius
Le film, qui s’étend sur la période 1967-1969 quand Wiazemsky était l’épouse de Godard, adopte le point de vue de cette dernière et n’épargne pas le cinéaste, devenue une sorte de vache sacrée pour beaucoup de critiques. Godard se révèle ici en misogyne imbu de lui-même; en maoïste radical ; en mari possessif et paternaliste (il a le double de l’âge de sa femme); en bourgeois révolutionnaire et en cinéaste frustré à qui ses admirateurs redemandent „A bout de souffle“ et „Le mépris“ alors qu’il considère dorénavant ces oeuvres comme de „la merde bourgeoise“. La seule chose qui égale sa radicalité politique, c’est sa formidable mauvaise foi qui l’isole peu à peu de ses amis et de sa femme. Est-ce Godard qu’on assassine ?
Maître du pastiche („OSS 117“, „The Artist“), Michel Hazanavicius utilise ici ce talent pour jongler avec les effets de style de Godard (interprété avec humour et tendresse par Louis Garrel) et mettre en scène à travers lui le naufrage des extrêmismes politiques de l’après Mai 68. C’est à la fois triste et hilarant. Il sera facile aux adeptes inconditionnels de Godard de lui reprocher d’utiliser leur idole pour faire un film qui reste en premier lieu un divertissement, donc exactement le genre d’oeuvre „bourgeoise“ que dit exécrer Godard. Mais qui sait, „Le Redoutable“ aidera peut-être aussi à le faire redécouvrir. Car si on peut l’apprécier sans connaître la filmographie de Godard sur le bout des doigts, on perd dans ce cas beaucoup des clins d’oeil qui font de ce portrait iconoclaste un vrai plaisir de cinéphile.

„Promised Land“ d’Eugene Jarecki
Une autre star qu’on déboulonne, c’est Elvis Presley dans „Promised Land“ (séance spéciale) d’Eugene Jarecki, cinéaste américain connu pour ses documentaires politiques. Ce film a été réalisé durant la campagne électorale en 2016 et fait d’abord mine de s’intéresser à toute autre chose. Jarecki suit le parcours à travers les Etats Unis d’Elvis Presley, dans une vieille Cadillac ayant appartenu au King.
Mais le réalisateur annonce bientôt la couleur. Elvis est pour lui la métaphore de l’Amérique: un pays construit sur un mythe, qui s’est approprié une culture qui n’était pas la sienne (la musique des Noirs dans le cas du chanteur), ne s’oriente qu’à l’argent et finira, bouffi et défoncé, dans les toilettes de l’histoire ! Montant parallèlement des documents d’archives (dont le formidable concert de Noël d’Elvis en 1968, qui fait croire un bref instant à son come-back) et des images de l’Amérique d’aujourd’hui, Jarecki réalise un curieux mais passionnant fourre-tout qui renouvelle le genre du documentaire biographique en même temps qu’il questionne, encore et encore, le rêve américain.
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