En 1975, Laura Mulvey décrivait dans Visual Pleasure and Narrative Cinema la femme au cinéma comme un double et passif objet du désir, offert au regard des personnages masculins et à celui des spectateurs. Depuis l’élaboration de sa théorie, dite du „regard masculin“ (male gaze), du temps a passé et cela fait longtemps que les femmes – même si elles sont toujours trop peu nombreuses – se sont emparées des caméras pour regarder à leur tour le monde… et les hommes.
Au Festival de Cannes, les films de trois réalisatrices étaient particulièrement emblématiques de ce point de vue.
Dans Western, Valeska Grisebach suit un groupe d’ouvriers allemands partis construire une station hydraulique en Bulgarie. Quoi de plus viril qu’un chantier où des mâles en sueur manipulent d’énormes machines? La réalisatrice prend le temps de filmer les corps au travail et au repos et elle saisit l’intimité qui s’installe entre les ouvriers dans l’isolement de leur camp. Une première rencontre avec des villageoises manque de mal tourner. Un jour, un des ouvriers, mal à l’aise avec l’étalage de machisme et de patriotisme de ses compatriotes, monte sur un cheval et s’en va lier connaissance au village.
Valeska Grisebach capte avec un sens très sûr du détail les gestes, les rituels et les jeux de pouvoir entre les hommes. On peut reprocher à Western un certain minimalisme mais celui-ci cache en fait une vraie réflexion sur le genre (masculin-féminin) et les genres (cinématographiques), mais aussi les différences culturelles et le rapport des hommes à la violence.
„Western“ de Valeska Grisebach
L’esthétique documentaire et la richesse du propos dans Western sont à l’opposé de l’imagerie publicitaire mise en oeuvre dans le remake signé par Sofia Coppola du film The Beguiled (Don Siegel, 1971). Pour la réalisatrice qui dit avoir voulu montrer „le point de vue des femmes“, cela revient d’évidence a lisser et aseptiser tout ce qui pouvait déranger dans l’original, y compris tout ce qui concernait un désir féminin inavouable parce que tabou. Le soldat un peu fruste arrivant durant la Guerre de Sécession dans un pensionnat pour jeunes filles qu’incarnait Clint Eastwood, a été remplacé par l’acteur Colin Farrell au physique de mannequin. Le trouble des femmes à la vue de ce corps offert (car blessé et fragilisé) s’y exprime de façon très soft. Même la castration symbolique qu’on pouvait interpréter chez Siegel comme la mise en scène des pires angoisses masculines vis-à-vis des femmes en train de se libérer dans les années 70, a lieu hors champ et fait rire plutôt que frémir.
„The Beguiled“ de Sofia Coppola
Lynne Ramsay apporte en revanche un vrai point de vue féminin sur l’ultra-noir et ultra-violent roman You Were Never Really Here de Jonathan Ames. Un vétéran de guerre, dont l’arme de prédilection est le marteau, y gagne sa vie en sauvant des fillettes prostituées. La réalisatrice britannique met en scène le personnage très stéréotypé du vétéran de guerre dans un récit dont l’archétype cinématographique est Taxi Driver. Comme Ames, elle cherche à nous plonger dans le cerveau d’un homme traumatisé par la violence mais elle aménage des moments lyriques inattendus, donne la parole à la jeune victime et change, en la rendant à la fois plus complexe et moins nihiliste, la fin assez convenue du livre. Contrairement à Ames, elle relègue aussi le plus souvent la violence hors champ ce qui la rend paradoxalement plus dérangeante, comme en témoigne la réaction de certains festivaliers que les pires brutalités ne rebutent pas quand c’est Tarantino qui les signe, mais qui ont jugé le film de Lynne Ramsay „complaisant“ alors qu’il est justement tout le contraire!
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