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forum_C : En attendant Godard ou Le pouvoir de l’imagination
En 2003, Agnès Varda filmait dans Les glaneurs et la glaneuse ses mains vieillissantes en se disant „que c’est bientôt la fin“. Quatorze ans plus tard, elle est toujours là et sillonne à nouveau la France, accompagnée cette fois de l’artiste J.R.. Plus de 50 ans les séparent mais ils ont en commun la passion des images et la curiosité des rencontres de hasard.
Elle ne voit plus très bien mais filme toujours ses mains et avoue, dans le minuscule cimetière où ils rendent visite à la tombe d’Henri-Cartier Bresson, qu’elle a parfois hâte que ce soit la fin. On ne sait pas s’il faut la croire. Il répond en photographiant les pieds d’Agnès qu’elle trouve trop petits et qu’il agrandit démesurément pour les coller sur un train qui les emmènera là où sa propriétaire ne les posera jamais. Cela la rend un peu rêveuse mais l’amuse aussi, comme de coller une tête de chèvre avec de magnifiques cornes sur une grange, histoire de rappeler à ceux qui brûlent ces cornes pour mieux rentabiliser la chèvre (en l’empêchant de se battre), qu’un animal a droit à son intégrité physique.
Visages villages n’est pas pour autant un film engagé, même si la féministe Agnès Varda demande à rencontrer leurs épouses quand J.R. engage la conversation avec des dockers. Dans le port du Havre où elle dit n’être jamais allée mais qui lui rappelle une chanson de son enfance, elle veut qu’il photographie les épouses debout pour qu’elles trônent dans ce monde d’hommes tels des totems. Ailleurs, ils affichent une jolie serveuse sur un mur de son village ou un portrait, fait il y a longtemps par Agnès Varda du photographe Guy Bourdin aujourd’hui décédé, sur un morceau de bunker que la mer effacera aussitôt.

„Visages villages“, actuellement à l’affiche au Luxembourg
Le temps qui passe et les traces qu’il laisse ont toujours été un des grands sujets d’Agnès Varda. Les images lui servent à cela. Que ce soient de vieilles photos de mineurs sur les murs d’une cité ouvrière promise à la démolition ou les images de Jean-Luc Godard jeune, enlevant un instant ses lunettes noires devant la caméra de Varda, il y a quelque chose de magique dans la présence fantomatique de ceux qui ne sont plus ou qui, comme Godard, sont devenus invisibles. Godard justement, Agnès Varda, veut le présenter à son ami J.R., mais au lieu de l’image de Godard, il n’y aura qu’une phrase écrite sur une vitre, comme dans un film de Godard qui, même en son absence, trouve le moyen de donner lieu à un beau moment de cinéma!
Si cette description donne l’impression que le film est fait de bric et de broc, c’est que c’est bien ainsi que l’ont voulu Agnès Varda et son complice. Leur balade à travers des villages sans histoires dans lesquels ils rassemblent les habitants pour des moments de convivialité aussi éphémères que leurs portraits géants, ressemble à des vacances, un espace de liberté placé sous le signe du pouvoir de l’imagination, un peu espiègle, un peu foutraque, un peu illusoire aussi et parfois mélancolique. Car si le film est signé par J.R. et Agnès Varda, il fonctionne aussi comme l’émouvant portrait d’une cinéaste qui voit s’échapper ce qui lui est le plus précieux: son regard.
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