- Kino
forum_C : Est-ce ainsi que les hommes et les femmes vivent au 21e siècle? – „Loveless“ d’Andrey Zvyagintsev
Au Festival de Cannes 2017, deux cinéastes ont mis en scène le lien profondément perturbé que notre société entretient avec ses enfants et en conséquence avec son propre avenir. Dans Happy End de Michael Haneke (qui va sortir ce mercredi au Luxembourg), une petite fille veut tuer sa mère et son père paraît désemparé face à cet être qu’il a conçu mais dont il ne sait absolument rien. Dans Faute d’amour/Loveless, le Russe Andrey Zvyagintsev montre un gamin du même âge – il est fort symboliquement né en 2000 ! – qui entend ses parents se déchirer. Ils disent qu’ils ne l’aiment pas, qu’ils ne l’ont jamais aimé et qu’il est juste un obstacle au moment où ils vont divorcer et refaire leur vie chacun de son côté. Ils ne savent pas qu’Alyocha a tout entendu. Le spectateur voit, lui, la réaction de l’enfant, pétrifié dans un cri muet qui rappelle le tableau d’Edvard Munch. Le lendemain, l’enfant disparaît.
Ailleurs, Zvyagintsev cite un autre tableau, le Paysage d’hiver avec patineurs de Pieter Brueghel. Les enfants ne patinent pas, ils font de la luge et, de sa chambre, Alyocha les regarde par la fenêtre. L’image reviendra à la fin du film comme la possibilité d’une vie plus heureuse, à portée de main et pourtant inaccessible. Dans son étrange beauté, elle est emblématique d’un film qui ne parvient pas seulement à faire à la fois le portrait d’un couple et celui d’une société mais tient de la description réaliste d’un fait divers autant que de la parabole et du conte de fées.
Au conte, Zvyagintsev emprunte le thème infiniment cruel de l’enfant abandonné. Avant même de savoir que ses parents veulent se débarrasser de lui, Alyocha marche seul dans une forêt dont Zvyagintsev fait un personnage à part entière. Il y exécute le seul geste signalant un espoir d’échapper à son destin en lançant vers le soleil un ruban de signalisation blanc et rouge qui va s’enrouler autour des branches d’un arbre dénudé. Ce ruban, qui connote ironiquement l’interdiction d’avancer, restera la seule et fragile trace du passage d’Alyocha sur terre.

(c) Pyramide
Les parents mettent du temps à réaliser que leur enfant a disparu. Après, il faut bien le chercher. La police commence par vérifier qu’ils ne l’ont pas tué puis se déclare trop occupée pour enquêter. Une association de bénévoles, froidement efficaces, prend le relais.
Les références de Zvyagintsev ne sont pas que dans la peinture, mais aussi chez Bergman, Tarkovski ou… Haneke dont il reprend les plans fixes énigmatiques qui désarçonnent le spectateur et le poussent à s’interroger sur ce qu’il est en train de voir. Tout dans sa mise en scène – le cadre, les mouvements de caméra mais aussi la durée des plans – est réglé au millimètre et à la seconde près, redonnant ainsi aux images un poids et une valeur qu’elles n’ont plus dans notre quotidien où elles sont banalisées à l’extrême, et invitant chaque spectateur à y regarder de près pour chercher sa propre interprétation.

(c) Pyramide
Le monde moderne promet un « droit au bonheur » qui n’est, comme l’amour qui semble un moment à portée de main pour le père et la mère, qu’une chimère quand il est recherché dans l’égoïsme d’une société matérialiste. En Russie, le poids du passé représenté par la grand-mère emmurée dans sa haine et un bâtiment communiste en ruines, celui de la religion – le père doit cacher son divorce à un patron fondamentaliste religieux – et la guerre menée par Poutine compliquent encore la donne. Froidement, méthodiquement, Andrey Zvyagintsev nous met face à notre société rongée par l’angoisse (on parle sans cesse de la fin de monde) et anesthésiée par la course à la surconsommation, qui se précipite vers l’avant sans savoir où elle va.
Als partizipative Debattenzeitschrift und Diskussionsplattform, treten wir für den freien Zugang zu unseren Veröffentlichungen ein, sind jedoch als Verein ohne Gewinnzweck (ASBL) auf Unterstützung angewiesen.
Sie können uns auf direktem Wege eine kleine Spende über folgenden Code zukommen lassen, für größere Unterstützung, schauen Sie doch gerne in der passenden Rubrik vorbei. Wir freuen uns über Ihre Spende!
