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forum_C : La fin d'“Un village français“, série de Frédéric Krivine (2009-2017)
Ce jeudi 16 novembre, France 3 commence la diffusion des derniers épisodes de sa série Un village français.
Lancée en 2009 suite à un appel d’offres annoncé quatre ans auparavant par la chaîne et remporté par Frédéric Krivine qui en deviendra le show-runner et scénariste principal, la série se décline en 7 saisons (dont certaines se sont étalées sur deux ans) et 72 épisodes de 50 minutes couvrant la période de 1940 à 1945. L’histoire est située dans la ville fictive de Villeneuve dans le Jura, non loin de la ligne de démarcation.

Nade Dieu (c) France 3 / Tetra Media
La phrase célèbre de La règle du jeu de Jean Renoir (1939) – „Le plus terrible dans ce monde, c’est que chacun a ses raisons“ – pourrait servir d’exergue à Un village français. Chacun y a en effet ses raisons qui sont politiques, psychologiques, matérialistes, sentimentales et le plus souvent, c’est un mélange de tout cela qui explique mais n’excuse pas les actions des personnages. La longueur exceptionnelle de la série permet un traitement inhabituellement nuancé d’une période complexe. L’élaboration des personnages part certes d’archétypes (le maire, l’institutrice, le policier collabo, le soldat de la Wehrmacht, le résistant, l’officier nazi, le communiste, etc.) mais c’est pour mieux approfondir ensuite leur psychologie et leurs motivations intimes, grâce notamment à la collaboration d’une « consultante en psychologie des personnages » (Violaine Bellet).
Les auteurs montrent comment un personnage peut entrer en résistance et un autre devenir collaborateur suite à des hasards et des péripéties dans lesquels l’idéologie et la morale ne sont pas toujours déterminantes, comment un choix fait à un moment et dans une situation particulière aura des conséquences imprévisibles plus tard, comment les relations entre les personnages et leurs contradictions internes influencent leurs décisions qui peuvent par ailleurs évoluer au fil des saisons et des événements. L’entrepreneur Raymond Schwartz passe ainsi de collaborateur passif à résistant actif, le policier Marchetti se mue d’anti-communiste en « boucher de Villeneuve » tout en aimant secrètement une femme juive, d’autres trahissent par peur, amour, inconscience ou esprit de revanche, ou se surpassent dans une situation dramatique comme la paysanne Marie qui dirigera le maquis local ou le sous-préfet lâche qui démontrera un certain courage au moment de son exécution à la Libération
Certains acteurs y trouvent l’un des plus beaux rôles de leur carrière. C’est notamment le cas de Robin Renucci qui a fait une carrière plutôt médiocre au cinéma, et qui joue ici le rôle principal du docteur Larcher, collaborateur malgré lui et conscience morale de la série. Mais cela vaut aussi pour Thierry Godard (Raymond Schwartz), Fabrizio Rongione et Constance Dollé (le couple de résistants communistes), Nade Dieu (la cheffe de la Résistance), Richard Sammel (le nazi Heinrich Müller), Audrey Fleurot (la femme de Larcher et amante de Müller) ou encore Nicolas Gob (le commissaire Marchetti).
En écrivant Eng nei Zäit avec Christophe Wagner, je me suis souvent référée à la série de Krivine et la façon dont elle met en scène toutes les nuances de gris (l’expression est de l’historien Julian Jackson) de cette période trouble, ainsi que certains faits longtemps restés tabous (comme les tensions à l’intérieur de la Résistance ou les exactions à la Libération).

Audrey Fleurot (c) France 3 / Tetra Media
Chapeautée par l’historien Jean-Pierre Azéma, la série se veut le reflet d’une écriture de la Seconde guerre mondiale qui privilégie la multiplication des points de vue et une attention accrue à l’histoire individuelle. Cet intérêt apporté aux « petites gens » avait déjà été le point de départ de la série allemande Heimat d’Edgar Reitz en 1984 dont Un village français s’est en partie inspiré. Malgré sa forme télévisuelle, Heimat est considéré comme un chef-d’œuvre cinématographique et fut d’ailleurs projeté à l’époque dans certains cinémas (y compris au Luxembourg si mes souvenirs sont bons) ce qu’on n’imagine pas pour Un village français. D’un point de vue formel et narratif, la série de Frédéric Krivine assume bien d’avantage son statut de feuilleton, avec maints rebondissements, beaucoup d’histoires d’amour qui tournent mal, des cliffhangers à la fin de certains épisodes et des tensions dramatiques bien exploitées. Mais ces outils scénaristiques restent toujours au service du projet qui vise à faire comprendre au spectateur la complexité des événements historiques et celle des choix individuels.
Dans les derniers épisodes qui seront diffusés à partir de ce jeudi 16 novembre sur France 3, on nous promet un saut dans le temps et une réflexion sur la mémoire, individuelle et collective, de la guerre.
Alors que la série s’achève, deux livres viennent de paraître: Un village français – Une histoire de l’occupation de l’historienne Marjolaine Boutet et Un village français de Bernard Papin, spécialiste de l’histoire des formes télévisuelles.
Pour ceux qui auraient raté les 67 premiers épisodes ( !), la série est disponible en dvd et à la médiathèque du CNA.

Robin Renucci (c) France 3 / Tetra Media
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