forum_C : „You Were Never Really Here“ de Lynne Ramsay

Dans You Were Never Really Here (prix du meilleur scénario et de la meilleure interprétation masculine à Cannes), la réalisatrice écossaise Lynne Ramsay (We Need to Talk About Kevin) apporte à une longue nouvelle certes ultra-noire (et ultra-gore) mais au final assez convenue de Jonathan Ames cette chose rare: un vrai point de vue féminin. C’est le regard d’une femme posé sur un homme, sur la violence qui l’a détruit, sur celle qu’il continue de subir et sur celle qu’il inflige.

Joe est un vétéran des guerres du Proche-Orient (un court flash-back le situe en Afghanistan) et ex-policier traumatisé par la découverte d’un camion plein des cadavres de jeunes filles asiatiques, un ancien enfant battu et terrorisé par un père qui lui enjoignait de „se tenir droit“ car se laisser aller est l’apanage „des mauviettes et des fillettes“. Joe s’est forgé une carapace de chair et de muscles, vit toujours chez sa mère, est suicidaire, ne parle à personne et gagne sa vie en enfonçant le crâne à des pédophiles.

Quand le film commence, une voix de fillette compte à l’envers sur la bande son tandis qu’à l’image Joe tente d’aspirer de l’air, la tête dans un sac en plastique qu’il enlève juste avant de suffoquer. Joe est plus familier de la mort que de la vie à laquelle ne le rattache que sa vieille mère qui semble démente et ne se souvient plus du temps où, gamin, il se cachait dans un placard et s’enroulait déjà dans du plastique, préférant risquer l’asphyxie plutôt que d’entendre les cris de sa mère sous les coups de son père.

Quand une énième mission qui devait être de routine tourne mal et qu’on lui reprend la fillette qu’il avait tenté d’extirper d’un bordel, les quelques repères auxquels Joe s’accrochait encore, s’écroulent brutalement.

(c) Film4 Productions / Why Not Productions

You Were Never Really Here est un commentaire sur la représentation de la virilité, du héros masculin et de la violence à l’écran. Lynne Ramsay reprend les codes usuels du film d’action pour mieux les questionner, les retourner et les transcender, aidée en cela par les images étrangement fantasmatiques du directeur de la photographie Thomas Townsend, une composition musicale extraordinaire de Jonny Greenwood de Radiohead, une bande son méticuleusement travaillée qui accentue les bruits de la ville de New York, et l’interprétation sensible et très physique de Joaquin Phoenix, l’ensemble contribuant à nous plonger dans l’enfer mental qu’est le monde de Joe.

Certains spectateurs, qui n’ont généralement aucun problème avec la violence à outrance quand elle est signée Tarantino, ne trouvent pas de mots assez forts pour condamner la „complaisance sanguinaire“ et le sang qui „coule à flots“ alors que toutes les scènes violentes se passent hors champ, dans le noir ou sont mises à distance. Ce qu’on voit en revanche (mais brièvement), c’est le résultat: mains lacérées, gorge ouverte, visage éclaboussé de sang, gangster agonisant sur le sol d’une cuisine. Et, c’est vrai, Joe qui s’arrache une dent en gros plan. Au contraire de beaucoup de ses collègues masculins, Lynne Ramsay s’est visiblement posé à chaque fois la question de la mise en scène de cette violence. Si celle-ci dérange à ce point, c’est qu’elle est d’une part, à la fois plus réaliste et moins chorégraphiée que dans les films d’action usuels, et que d’autre part, il y a ce côté irréel, le rythme ralenti, la caméra qui s’arrête sur des détails, une façon de constamment laisser le spectateur dans le doute sur la réalité de ce qu’il voit et entend. L’esprit malade de Joe imagine-t-il certaines choses, et qu’est-ce qui relève dès lors du fantasme? Et peut-on accepter que dans un revenge movie, la jeune victime n’attende pas d’être sauvée par le héros? On a beaucoup cité Taxi Driver à propos de ce film, mais on pense plus encore à The Night of the Hunter, chef-d’oeuvre onirique de Charles Laughton (1955) dont le sujet est comme ici le Mal absolu (celui fait aux enfants) et auquel la scène des funérailles de la mère fait explicitement référence (voir ici l’extrait de „Night of the Hunter“, à partir de 02:05).

Alors que le cinéma – pas seulement hollywoodien – s’enlise dans la répétition à l’infini du déjà-vu, Lynne Ramsay a dit dans une interview avoir voulu relever avec You Were Never Really Here le défi des meilleures séries télévisées dont l’audace narrative et la complexité formelle aussi bien que scénaristique dépassent aujourd’hui celles du cinéma. Elle a réussi son pari!

You Were Never Really Here: extrait

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