Au pays de Disney
A tout juste six ans et dotée d’une imagination débordante, Moonee (l’étonnante Brooklynn Prince) ressemble davantage à une lointaine cousine de Fifi Brindacier qu’à une princesse de Disney. Avec ses copains Scootie et Jancey, elle fait les 400 coups autour du motel Magic Castle où elle occupe une chambre avec sa mère Halley (Bria Vinaite). Autrefois le motel accueillait les touristes se rendant à Disney World mais depuis longtemps, il n’abrite plus que des laissés-pour-compte du rêvé américain, ceux qui ne peuvent pas se payer un vrai logement et qu’on appelle dans les médias les hidden homeless. („The Florida Project“ était dans les années 60 le nom donné au projet de construction de Disney World mais le mot project désigne aussi aux Etats-Unis l’équivalent des HLM français.)

Willem Dafoe (c) A24
Toujours peint dans les couleurs kitsch de l’univers Disney (que le film reprend à son compte), le Magic Castle où réside Moonee fait malgré tout honneur à son nom : pour les enfants qui sont les héros du film de Sean Baker, il est bien un ‘château magique’, un terrain de jeux où Moonee et ses amis partent à l’aventure durant les vacances d’été. Le château de Cendrillon, à quelques kilomètres de là, est pour les pauvres hors de portée, alors quelques vaches dans un pré doivent suffire pour se croire en safari.
Inspiré par le cinéma social de Ken Loach, Sean Baker s’intéresse aux marginaux, à ceux dont Hollywood ignore généralement l’existence. Tangerine (2015) avait pour protagonistes un couple de prostitué(e)s transgenre et avait été tourné sur un téléphone portable ! Le succès de Tangerine lui a permis de tourner cette fois sur pellicule 35mm, ce qui donne une image plus chaude, en accord avec le regard que les enfants posent sur leur univers. Les seuls personnages adultes développés dans le film sont Halley, mère complice elle-même immature et très peu responsable, et Bobby (Willem Dafoe), le gérant du motel, qui joue pour tous le rôle de père de substitution et protecteur bienveillant.
Bien qu’il privilégie un style quasi-documentaire (tournage dans des décors réels, comédiens en grande partie non-professionnels, absence de musique d’ambiance), ce choix du point de vue des enfants permet au réalisateur de rester dans une certaine légèreté et poésie, en adoucissant les aspects trop crus et en parlant de la pauvreté sans misérabilisme, comme dans la très belle séquence de plans de Moonee en train de jouer dans la baignoire, qui se répètent sans raison apparente jusqu’au moment où l’on comprend que sa mère l’envoie prendre un bain quand elle reçoit des « clients » afin de payer sa chambre.

Brooklynn Prince et Bria Vinaite (c) A24
Mère indigne aux yeux de la société mais férocément aimante, Halley transforme ainsi en jeux les moments les plus sordides de leur existence. Elle laisse aussi à Moonee une liberté qui fera envie à beaucoup d’enfants tant surveillés aujourd’hui. L’attitude de Haley a provoqué de vives discussions sur les réseaux sociaux, tout comme la fin inattendue (mais tout à fait dans l’esprit du film). Sean Baker dit ne pas avoir voulu critiquer l’empire Disney mais The Florida Project est de fait à l’antipode des histoires préformatées fabriquées à la chaîne par ce dernier. Malgré quelques longueurs, c’est un beau film qui appelle à réfléchir sur la place de l’enfance dans la société actuelle.
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