forum_C : „The Post“ de Steven Spielberg ★★☆☆☆

Produit en un temps record de neuf mois, The Post sort un an après l’élection de Trump à la présidence des Etats-Unis. Steven Spielberg a même mis de côté Ready Player One pour mener à bien ce projet devenu pour lui prioritaire.

A l’origine, il y avait le scénario d’une débutante, Liz Hannah. Celle-ci s’était intéressée à Katharine Graham, une veuve issue de la haute bourgeoisie, qui s’était retrouvée à la tête du Washington Post après la mort de son mari. Dans les années 1960, il paraissait inconcevable qu’une femme puisse diriger un journal. Les administrateurs et les partenaires financiers du Post tenaient Madame Graham pour quantité négligeable et elle-même avait apparemment l’habitude de laisser les hommes parler à sa place. Pourtant, en 1971, quand Nixon a fait interdire la publication dans le New York Times d’un rapport secret sur l’intervention politique et militaire des Etats-Unis au Vietnam (les „Pentagon Papers“), c’est elle qui a décidé de prendre le relais du Times afin de révéler au public américain les mensonges de plusieurs présidents successifs.

L’épisode des „Pentagon Papers“ représentait donc pour Liz Hannah le moment crucial où Katharine Graham prend son destin en main. Quand elle écrivait cette histoire, personne ne croyait encore à l’élection de Donald Trump. Mais tout a changé après la victoire de ce dernier. Le scénario de Liz Hannah a alors attiré l’attention de Spielberg qui a vu dans les „Pentagon Papers“ un parallèle évident à la situation actuelle : un président paranoïaque qui tente de museler la presse. Mais celle-ci se lance dans la bataille et la démocratie finira par triompher. C’est du moins ce qu’insinue Spielberg quand il cite à la fin, plan par plan, le début de All the President’s Men (Alan J. Pakula, 1976), grand film sur le scandale du Watergate qui décrit comment celui-ci a abouti à la démission de Nixon. On imagine que Spielberg rêve du même sort pour Trump.

Katharine Graham derrière Ben Bradley (c) Universal Pictures

Dans la réécriture demandée par Spielberg, le cheminement de Katharine Graham (interprétée par Meryl Streep avec une belle intelligence et un jeu plus nuancé que le scénario) reste présent mais passe au deuxième plan. Madame Graham et Meryl Streep se font voler la vedette par Ben Bradlee joué par Tom Hanks qui s’est visiblement beaucoup amusé à camper un rédacteur en chef archétypal au verbe haut et volontiers grossier, ultra-compétitif mais droit dans ses bottes quant il s’agit de défendre la liberté de la presse. Un personnage à la Capra en somme, Frank Capra étant le réalisateur qui, dans les années 30 et 40, exaltait dans des films sentimentaux et très populaires (notamment la trilogie Mr. Deeds Goes to Town – 1936, Mr. Smith Goes to Washington – 1938 et Meet John Doe -1941) les valeurs démocratiques de l’Amérique.

Les hommes du Post, version 2018 (c) Universal Pictures

La quasi-totalité des critiques ont encensé The Post, espèrant avec Spielberg qu’il redorera le blason de la presse sans cesse attaquée par Trump et ses sbires. Peu d’entre eux ont souligné à quel point c’est par ailleurs un film archaïque, engoncé dans une mise en scène certes efficace mais ultra-conventionnelle, un film où tout fait ‘décor’, où toute idée est traduite en émotion, toute nuance écartée, toute réflexion évitée. Le vrai film, celui qui aurait posé des questions autrement plus dérangeantes, était peut-être ailleurs, dans un personnage qui n’apparaît ici qu’en marge du récit: Dan Ellsberg, l’homme à l’origine de la fuite des „Pentagon Papers“. Lanceur d’alerte avant la lettre, il a inspiré Edward Snowden (lire l’interview conjointe de Snowden et Ellsberg dans le Guardian). Or, si la liberté de la presse est une valeur consensuelle, le rôle des lanceurs d’alerte l’est beaucoup moins.

On l’a dit, Spielberg fait directement référence All the President’s Men, l’un des grands films politiques à une époque qui en regorgeait. A l’opposé du classicisme hollywoodien, lourdement didactique, de Spielberg, Pakula avait opté pour un style beaucoup plus factuel, restituant l’enquête des deux journalistes Carl Bernstein (Dustin Hoffman) et Bob Woodward (Robert Redford) à la manière d’un implacable thriller politique. Il célèbre tout autant que Spielberg le rôle de la presse comme quatrième pouvoir mais le fait de manière nettement plus subtile, laissant au spectateur son propre espace de réflexion. Signe des temps toutefois : Katharine Graham n’apparait pas dans le film et son nom n’est cité qu’une seule fois, lorsqu’un des hommes du président lâche à son encontre une remarque particulièrement sexiste!

Les hommes du Post, version 1976 (c) Warner Bros.

The Post passe actuellement dans les salles luxembourgeoises, All the President’s Men est disponible sur dvd et au Luxembourg sur Itunes.

 

 

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