Le festival de Cannes fait de la résistance. Ce n’est pas nouveau, le festival a régulièrement invité, au fil des ans, des cinéastes censurés ou emprisonnés dans leur pays. Cette année, deux réalisateurs en compétition sont assignés à résidence chez eux : l’Iranien Jafar Panahi dont le film Trois visages est programmé samedi et le Russe Kirill Serebrennikov. Putin a poliment répondu à une demande émanant du gouvernement français qu’il ne pouvait malheureusement pas permettre à Serebrennikov de quitter le pays, vu que le cinéaste a été condamné par un tribunal (officiellement pour corruption) et que la justice est, comme chacun le sait, indépendante en Russie.
Réalisateur et metteur en scène d’avant-garde, Serebrennikov paie aussi et sans doute surtout ses déclarations critiquant l’annexion de la Crimée et soutenant la cause homosexuelle. Il a envoyé en Compétition officielle un film tourné avant sa condamnation qui s’intitule Leto et qui célèbre… la liberté d’expression artistique.

Leto de Kirill Serebrennikov
Peut-être n’avez-vous jamais entendu parler de Viktor Tsoi – j’avoue en tout cas mon ignorance totale quant à l’existence de ce musicien qui est pourtant une icône du rock de l’ancienne Union soviétique. Chanteur du groupe Kino, il a connu une carrière fulgurante et un destin à la James Dean, mourant à 28 ans dans un accident de voiture. Mais c’est à ses débuts que s’intéresse Serebrennikov, s’arrêtant à l’été 1980 quand Tsoi (Teo Yoo) commence à chanter dans des « clubs de rock », soutenu par son aîné Mike Naoumenko (Roma Zver) du groupe Zoopark et la femme de celui-ci, Natalia (Irina Starshenbaum). Ces trois personnages sont liés dans le film par une relation amoureuse à la Jules & Jim (en plus platonique) mais le film se démarque moins par cette douce histoire d’amour que par l’énergie vitale dont il regorge dès la première séquence quand les groupes et leurs fans se déchaînent, sagement dans les parties « réalistes » et plus furieusement dans d’autres dont un personnage extradiégétique s’empresse de nous préciser qu’elles ne se sont jamais passées comme cela. Sans s’appesantir sur ces aspects, Serebrennikov reconstitue en arrière-fond le contexte social (les appartements communautaires), la surveillance idéologique et la peur de la conscription au moment de la guerre en Afghanistan. Le film fourmille certainement de 1001 autres détails qui seront appréciés d’un public russe. Le tout est filmé dans un noir et blanc où dominent les nuances de gris qui rappellent certains films soviétiques classiques, la couleur ne surgissant que quelquefois, dans des images de format amateur, comme volées à la réalité. Malgré ou à cause de ce tonus, le film paraît souvent confus, exubérant et surtout beaucoup trop long.
Leto de Kirill Serebrennikov
Dans Yomeddine (Compétition), Beshay (Rady Gamal) résiste aussi, mais bien malgré lui. Cet homme vit dans une léproserie en Egypte, un endroit qui semble sorti de la nuit des temps, mais où il a fait sa vie jusqu’au jour où sa femme meurt. Beshay décide alors de retrouver et de confronter son père qui l’avait abandonné dans ce lieu quand il était encore enfant. Guéri mais marqué par les cicatrices laissées par la maladie, Beshay doit d’abord confronter le regard des gens « normaux » qui le voient comme un monstre ou, au mieux, comme un malade contagieux (ce qu’il n’est plus). En compagnie du petit orphelin Obama (Ahmed Abdelhafiz) et de son fidèle âne, il se met en route vers sa ville natale.
Le film est né d’un documentaire que le réalisateur A.B. Shawky avait tourné à la léproserie où il a aussi trouvé son acteur principal. Et alors que Beshay apparaît d’abord comme un personnage simplet, il révèle bientôt non seulement un solide bon sens et un vrai courage mais également une ironie souvent dirigée contre la religion en laquelle Beshay ne semble pas avoir une grande foi. C’est le seul aspect intéressant de ce road-movie par ailleurs très classique qui recèle quelques jolis moments mais également des épisodes très prévisibles et un peu trop de bons sentiments. Au final, Yomeddine se regarde comme un feel-good movie sympathique mais bien trop convenu pour avoir sa place en compétition.

Yomeddine de A.B. Shawky
On peut en dire autant de Rafiki, programmé plus judicieusement dans Un Certain Regard. Sauf qu’ici la popularité du genre choisi (l’histoire d’un premier amour) sous-tend une oeuvre engagée, tellement engagée qu’elle a été censurée dans son pays d’origine, le Kenya, qui n’a donc pas pu se réjouir de la toute première sélection d’un film national à Cannes. La réalisatrice Wanuri Kahiu (présente au festival) s’en est montrée désolée. Elle a voulu montrer une passion amoureuse vécue dans la sincérité et la joie, sauf que cet amour lie deux jeunes femmes et que l’homosexualité est illégale au Kenya. Son film, plein de musique et de couleurs, est un hymne à la vie et à l’amour et une dénonciation de la bêtise, de la méchanceté ou de la frustration qui empêche certaines personnes d’accepter les autres comme ils sont.

Rafiki de Wanuri Kahiu
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