Cannes, Jour 4 : Lost in Translation

Peut-on comprendre – sans même parler d’analyser, voire de juger – une oeuvre issue d’une culture étrangère ? Cette question, rarement discutée, est particulièrement pertinente à Cannes. On y parle à longueur de journée de films venus de pays où la plupart des festivaliers n’ont jamais mis les pieds et qu’ils ne connaissent que très imparfaitement. Quand on voit les erreurs d’interprétation que font parfois les critiques français en parlant de films allemands parce qu’il leur manque des références culturelles (et vice-versa), on mesure l’abîme qui peut s’ouvrir face à un film chinois dont certains n’hésitent pourtant pas à vous expliquer doctement les tenants et aboutissants.

Pour ma part, je déclare forfait face à Ash is Purest White de Jia Zhang-Ke (en compétition). Vu par des yeux occidentaux (et sous l’influence du débat #me too), c’est l’histoire de Bin (Liao Fan), un caïd de province qui n’aime pas la violence car, dit-il, ceux qui vivent par la violence mourront par elle, adage qu’il a peut-être appris dans les films de gangsters qu’il visionne avec ses collègues. Au moment où il prononce cette phrase, il a déjà été attaqué par deux jeunots (qu’il a épargnés) et marche avec des béquilles ce qui, au cinéma, équivaut à un symbole d’émasculation. Sa maîtresse, la jeune Qiao (Zhao Tao), lui prend alors le revolver des mains et tire un coup.

Ash is Purest White de Jia Zhang-Ke

Elle en tirera un second un peu plus tard, sauvant la vie de Bin lors d’une nouvelle attaque, et écopant dans la foulée de cinq ans de prison à sa place, pour port d’armes illicite.

Quand elle sort de prison, elle s’attend à ce qu’il soit là pour l’accueillir. Mais ce n’est pas le cas et elle va commencer un long périple à travers une Chine en rapide évolution. Et tandis que l’ancien caïd tombe de plus en plus bas, Qiao va monter dans la hiérarchie du crime tout en conservant jusqu’au bout sa loyauté à Bin qui l’avait trahi. La femme est-elle l’avenir de la Chine?

Selon le dossier de presse, le pitch est un peu différent. Il nous apprend que le titre chinois signifie Sons and Daughters of the Jianghu et est emprunté à un projet de Fei Mu. Sans doute ne connaissez-vous pas Fei Mu. Moi non plus mais c’était un grand cinéaste chinois dans les années 30 et 40, mis au ban au moment de la Révolution culturelle et redécouvert récemment. Le Jianghu (terme qui apparaît dans les sous-titres anglais mais jamais dans la version française qui traduit ‚jianghu‘ par le mot plus banal de ‚pègre‘) recouvre apparemment des notions complexes et une longue tradition dans l’histoire et la littérature chinoises, englobant le monde du crime mais aussi des artistes martiaux et plus généralement des personnes vivant en marge de la société et régis par des codes d’honneur précis. Quant à Qiao, elle est inspirée à la fois d’une personne réelle et de personnages interprétés par la même Zhao Tao dans des films précédents de Zhang-Ke. Le dossier de presse insiste aussi sur l’importance des régions géographiques que parcourt Qiao, des différents accents des gens qu’elle rencontre et même des endroits où elle ne va pas, toutes choses qui sont pratiquement impossibles à saisir par un public occidental qui pourra être intrigué et intéressé par les personnages mais n’a aucune chance de saisir toutes les nuances et significations du film de Jia Zhang-Ke.

Heureusement, il y a aussi des films belges sur la Croisette! Dans Un Certain Regard, on a vu aujourd’hui Girl de Lukas Dhont, l’histoire touchante de la jeune Lara qui rêve d’être danseuse étoile. Sauf que Lara s’appelait autrefois Victor et qu’en plus du très dur entraînement à l’école de danse et des interrogations habituelles de l’adolescence, elle subit un traitement hormonal dans l’attente d’une opération qui va définitivement faire d’elle une femme. Malgré un père aimant et une famille qui la soutient, elle a du mal à faire face au regard des autres et surtout à contempler dans le miroir ce corps encore masculin qu’elle déteste. L’école de danse devient alors aussi pour elle un moyen de le martyriser sous les yeux de son père impuissant qui ne sait comment aider Lara.

Ce premier long métrage réussit à être à la fois pudique et direct, en restant toujours du côté de Lara dont on ressent physiquement la douleur et le courage. Malgré quelques longueurs et une fin est un peu trop dramatique (et peu crédible), Girl est un film sincère et beau, porté par le jeune acteur Victor Polster dont c’est le premier rôle mais qu’on reverra certainement à l’écran!

Girl de Lukas Dhont

 

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