Cannes, Jour 5 : Honneur aux femmes, oui mais…

Et voilà comment, avec les meilleures intentions du monde, on nuit aux causes qu’on prétend soutenir…

Cela avait pourtant bien commencé. Emmenées par la présidente du jury officiel, Cate Blanchett, 82 femmes sont montées les mythiques marches de Cannes hier soir. Elles représentaient les 82 réalisatrices invitées en compétition officielle depuis le 1er festival en 1946. Si l’on voulait faire la même chose pour les hommes, il faudrait ajouter quelques mètres carrés au tapis rouge car ils sont… 1688! Cate Blanchett et Agnès Varda ont ensuite pris la parole pour réclamer l’égalité des droits, des salaires et des opportunités de carrière dans le cinéma et dans les autres industries.

Ensuite, le film pour lequel on était venu a démarré et les choses se sont gâtées. Les filles du soleil a été réalisé par une femme, Eva Husson, et raconte le combat des femmes kurdes contre l’Etat islamique. Malheureusement, pour ce faire, il accumule les clichés et le pathos en noyant le tout sous une affreuse et tonitruante musique. Golshifteh Farahani interprète une femme yézidie dont le mari a été tué sous ses yeux et le fils enlevé par Daesh tandis qu’elle-même a été violée et vendue comme esclave sexuelle. Après être parvenue à s’évader, elle se met à la tête d’une troupe de combattantes kurdes et part libérer une école (dans laquelle elle soupçonne qu’est tenu prisonnier son fils) en compagnie, entre autres, d’une journaliste française jouée par Emmanuelle Bercot. Husson parvient à ne donner aucun relief à ses protagonistes (même les islamistes ne font pas peur!), tous les dialogues sont lourdement appuyés („tu vas écrire la vérité?“ demande à la fin la Kurde à la Française) et l’on finit – ce qui est quand même gênant – par pleurer davantage sur les malheurs de la journaliste française que de la combattante kurde. Gênant aussi que les protagonistes soient toutes définies par la relation à leur mari (mort) ou à leurs enfants prisonniers, éloignés ou à naître. Le film ne dit rien ni de cette guerre-là en particulier (les mots ‚Daesh‘, ‚islamiste‘ ou ‚yézidie‘ ne sont jamais prononcés!) ni de la guerre en général.  Il ne nous apprend rien, ne pose pas de questions et n’arrive même pas à nous rapprocher des femmes qu’il prétend dépeindre. Mis à part Pierre Schoendoerffer (La section Anderson) et Bertrand Tavernier (Capitaine Conan), les Français n’ont jamais vraiment su filmer la guerre et Eva Husson ne fait malheureusement pas exception.

Mettre ce film en compétition, c’est desservir la cause des femmes cinéastes sans rendre justice aux femmes kurdes.

Les filles du soleil d’Eva Husson

Le même soir, Jafar Panahi, cinéaste iranien qui ne peut quitter son propre pays (son fauteuil à la séance officielle est resté vide) et n’a pas le droit de faire des films, présentait le bien plus modeste mais beaucoup plus intéressant 3 visages qu’il a tourné clandestinement comme déjà ses trois films précédents. Et il y est aussi question de la condition féminine. Comme dans Taxi, qui lui a valu l’Ours d’or en 2015, Panahi se joue ici lui-même, gommant ainsi dès le début la frontière entre fiction et réalité, une tradition dans le cinéma iranien et un dispositif apprécié d’Abbas Kiarostami dont Panahi fut l’assistant.

Panahi reçoit sur son portable la vidéo désespérée, adressée à l’actrice Behnaz Jafari (elle aussi dans son propre rôle) d’une jeune femme qui explique en pleurant que sa famille l’empêche de devenir comédienne et l’a mariée de force. A la fin, elle annonce que puisque Jafari n’a pas répondu à ses appels précédents, elle n’a d’autre issue que de se pendre. L’image bascule alors et la vidéo s’arrête. Est-ce un montage, un ‚fake‘? Où bien cette femme, qui se trouve dans la même situation que Panahi, prisonnière de son village et dans l’impossibilité de faire du cinéma, s’est-elle vraiment suicidée? Behnaz Jafari et Panahi qui veulent en avoir le coeur net se rendent dans le village en question, à la frontière turque, à la recherche de la jeune femme… ou de son cadavre. D’abord surpris et ravis de voir une actrice connue débarquer chez eux, les villageois sont nettement plus partagés quand ils apprennent les raisons de sa venue.

Il est beaucoup question de virilité (il y a notamment des exposé assez surréalistes sur un taureau et la meilleure façon d’utiliser le prépuce après la circoncision) mais face aux patriarches traditionnalistes et au grand frère qui croit devoir sauver l’honneur de la famille, Panahi plaide, sans colère mais avec une tranquille obstination, pour le libre choix et se range du côté des femmes et des comédiennes, méprisées car encore moralement douteuses aux yeux de beaucoup. Entre la jeune fille qui rêve de faire du cinéma (et qu’il se permet de montrer pendant deux secondes tête nue comme pour appeler de ses voeux un avenir où les femmes et les actrices n’auront plus besoin de se voiler) et Behnaz Jafari, le réalisateur insère un beau portrait en creux de Shahrzad, actrice célèbre du temps du shah et, elle aussi, interdite de tournage depuis la révolution islamique. Ces trois visages de femmes, dont l’un reste caché, en disent beaucoup plus long que ceux des Filles du soleil.

3 visages de Jafar Panahi

 

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