Cannes, Jour 9 : Péter les plombs

Un brave homme se fait longtemps humilier par un ‘méchant’ qui finit par lui prendre ce qu’il a de plus précieux. Alors, un jour ou l’autre, le brave homme pète les plombs et se venge.

On aura reconnu le scénario du sous-genre, très apprécié dans le cinéma d’action populaire, du « revenge movie». Deux œuvres présentées hier en compétition au festival repensent et détournent ce schéma pour traiter de la violence sociale dans le monde moderne.

Dogman de l’Italien Matteo Garrone (Gomorra, Grand Prix au Festival de Cannes 2008) s’attache à un coiffeur de chiens, métier plutôt inattendu pour un petit homme qui complète ses fins de mois par le trafic de drogues dans une station balnéaire déglinguée, quelque part en Italie. D’emblée, le face à face entre Marcello (Marcello Fonte) et une espèce de pitbull énorme, tout en muscles et canines exhibées, fait froid dans le dos. Mais le gentil Marcello dompte le mastodonte en lui faisant un brushing qu’il semble apprécier. Marcello croit à tort que la gentillesse, ou peut-être la soumission, peuvent pareillement venir à bout de Simoncino, une brute épaisse qui terrorise le quartier et qui utilise Marcello comme homme à tout faire tout en le cognant à la moindre protestation. Lorsque Simoncino commet un hold-up, c’est Marcello qui va en prison à sa place. Quand il en sort, il a tout perdu, son magasin et la sympathie de ses voisins qui lui importait tant.

Garrone dépeint une Italie glauque où règne la loi du plus fort et où la lâcheté prévaut. Matteo ne trouve de la gentillesse que dans le regard de sa fille à laquelle il offre des vacances de plongée payés avec l’argent de la drogue, et la loyauté des chiens qui observeront le déchaînement de violence final alors que les humains préféreront, comme toujours, détourner les yeux. Car Marcello, qui n’était pas un saint, ne sera pas davantage un héros, nous ne sommes pas dans un film américain. A la fin, il reste seul, seul avec la violence qu’il avait cru dompter en lui et qui désormais le hantera à jamais.

Dans Burning du Coréen Lee Chang-Dong, le personnage principal est Jongsu (Ah-in Yoo), jeune homme introverti, écrivain en herbe qui gagne sa vie tant bien que mal en se faisant exploiter dans un hangar de stockage. Quand il se fait draguer dans la rue par la jolie vendeuse Haemi (Jong Seo Jun) qui prétend le connaître, l’invite chez lui, lui fait l’amour et le prie de nourrir son chat pendant qu’elle part en voyage, il n’en croit pas sa chance. Il a raison car quand Haemi revient de ses vacances, elle s’est trouvé un nouvel ami, Ben (Steven Yeun), jeune nouveau riche aussi arrogant que mystérieux. Ben traite aussi bien Haemi que Jongsu avec un léger dédain ce que Haemi ne semble pas remarquer. Pour ne pas la perdre, Jongsu accepte un temps de jouer la cinquième roue du carrosse mais quand Ben vient le narguer chez lui, et que Haemi se met à danser seins nus dans le soleil couchant devant eux (l’une des plus belles séquences de coucher de soleil qu’on ait vues depuis longtemps dans un film !), il perd le contrôle sur lui-même et insulte la jeune femme qui disparaît de sa vie. A tort ou à raison – car il y a dans ce film beaucoup de points de suspension, des moments où le spectateur n’est pas sûr si ce qu’il voit relève de l’imagination de Jongsu ou de la réalité – Jongsu soupçonne Ben d’être responsable de cette disparition.

Librement adapté d’une nouvelle de Haruki Murakami, Burning est une sorte de thriller au ralenti – malgré sa beauté formelle, il faut beaucoup de patience pour apprécier ce long film de deux heures et demie – qui décrit la recherche de sens et le malaise de la jeunesse actuelle. Alors que dans Dogman, les personnages sont tous issus du même milieu, celui de la mafia de quartier où les rangs hiérarchiques sont déterminés par la violence dont chacun est prêt à user contre tous les autres, Lee Chang-Dong insiste sur la différence de classes qui existe entre Ben d’un côté, Jongsu et Haemi de l’autre. Tandis que Jongsu, le fils de paysan, cherche un sens à son existence dans l’activité intellectuelle et Haemi croit le trouver dans une danse africaine, Ben revendique pour lui le nihilisme des super-riches persuadés que tout leur est permis (Trump n’apparaît pas pour rien dans une séquence au début du film!). Ben proclame ainsi brûler en toute impunité des granges (appartenant à des fermiers) pour son plaisir, alors que le père de Jongsu écope de 18 mois de prison pour avoir attaqué un fonctionnaire. Chang-Dong pousse cette logique jusqu’au bout et lui oppose la rage refoulée des pauvres qui amènera Jongsu à son acte final. Mais comme Marcello, il n’en tirera aucune gloire, juste un grand vide face à la violence qu’il découvre lui aussi au plus profond de lui-même.

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